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de traduction que j'ai suivi, et provoquer, s'il m'est possible, de la part des auteurs et lecteurs de traductions, des avis qui tournent au profit de la mienne.

Ceux des lecteurs français à l'opinion desquels j'ai tâché de me conformer jusqu'à ce jour, sont bien les gens du monde les plus difficiles à satisfaire; aussi n'ai-je subi leurs lois que parce qu'elles m'ont paru fondées sur les principes de la raison et du goût. Mais si par hasard je m'étais trompé avec eux, quelle obligation n'aurais-je pas à celui qui ferait cesser mon erreur, puisqu'il rendrait en même tems ma tâche plus facile.

En permettant l'importation des idées et des productions de l'Orient, les lecteurs dont je parle repoussent impitoyablement la phraséologie orientale, et veulent qu'on écrive en français tout ce qu'on leur destine, fût-ce une version du Javanais ou du Tibétain. Je conviens qu'ils font une exception en faveur des noms propres, et je ne doute pas qu'ils ne fussent les premiers à rire du traducteur qui de Pomponius aurait fait M. de Pompone, ou du général chinois Sang le général français Dumourier (1); mais à cela près il faut leur trouver des équivalens pour tout, et Dieu sait le tems qu'on y passe. Ce n'est point par les formes du langage, dont ils se soucient peu, mais par les idées et les choses qu'ils veulent faire connaissance avec les nations étrangères. La nécessité,

(1) Le mot chinois Sang, qui forme l'un des Pe-kia-sing ou noms de famille, signifie mûrier.

souvent si commode (1), de conserver la couleur locale, n'est point une excuse auprès d'eux; ils ne font pas plus de grâce aux métaphores bizarres qu'aux locutions étranges; et s'il s'en trouve beaucoup dans une version d'un livre oriental, ils nous diront crûment que ce n'était pas la peine de la faire. Cependant ils veulent qu'un traducteur soit fidèle, et ils soutiennent qu'on peut l'être autant qu'il faut sans cesser d'écrire en français. De cette proposition vraie en spéculation, résulte un double précepte qui, malheureusement pour nous, est beaucoup moins facile à observer qu'à imposer.

Je sais qu'il y a dans le monde un assez bon nombre d'orientalistes amateurs qui jugent les traductions d'après des principes tout opposés; car ils en jouissent d'autant plus qu'elles sont moins françaises. En travaillant pour cette classe de lecteurs, il ne faudrait pas se tourmenter à chercher des équivalens ; que dis-je? ils sont si bien préparés aux formes extraordinaires, que ce serait tromper leur attente, et par suite encourir leur mécontentement, que de leur offrir des traits de ressemblance, quelque réels qu'ils fussent, entre l'Orient et l'Occident.

Ceci s'applique particulièrement à la Chine. Comme cette contrée est la plus lointaine de celles dont on cultive la littérature en Europe, ils en concluent que

(1) Il y a nombre de phrases, même en arabe, qui, traduites verbalement, ont une physionomie orientale, mais qui deviennent triviales pour nous, dès qu'on les rend par les expressions françaises qui leur correspondent réellement.

les usages de ses habitans doivent s'éloigner des nôtres plus que ceux de toute autre nation asiatique. Or, s'ils savent qu'un arabe n'appelle pas sa maîtresse mademoiselle, comment recevront-ils Mlle. Houngiu, Mlle. Lan-iu, et tant d'autres qui, par les grâces de leur esprit, ont fait les délices de Pékin, et qu'on se propose de produire incessamment à Paris? Accoutumés qu'ils sont à traiter avec des cadis, comment accueilleront-ils nos préfets et nos sous-préfets chinois? Sur le seul titre de nos personnages, ils révoqueront en doute leur origine. Nous avons, je l'avoue, un moyen bien simple de prévenir leurs soupçons et de satisfaire leur goût. Au lieu de rendre Siao-tsie par « mademoiselle » qui y correspond exactement, au lieu de traduire Tchi-fou et Tchi-hian par les mots « préfet » et «sous-préfet » qui s'en rapprochent le plus possible, il nous suffirait, en travaillant pour ces lecteurs commodes, de transcrire en lettres romaines les caractères chinois dont la version serait trop francaise; et, dussent-ils confondre les noms propres avec les termes honorifiques que le tems et la civilisation ont introduits à la Chine, nous leur ménagerions ainsi le plaisir de prononcer en nous lisant moins de français que de chinois.

Nous aurions aussi nos coudées franches dans la traduction des phrases, et c'est surtout alors que nous sentirions le prix des facilités dont ils nous font un devoir. La clarté, la précision auxquelles les auteurs du siècle dernier nous avaient accoutumés, devraient être proscrites de nos versions; car si ce sont là les

que

traits distinctifs de la littérature française, il est évident les caractères inverses doivent appartenir à la littérature des peuples qui sont situés de l'autre côté du globe. ... Assurément les lecteurs qui conçoivent ainsi notre travail sont aussi précieux pour nous que les autres sont désespérans ; et l'on me dira sans doute qu'il faudrait être ennemi de soi-même pour se donner tant de peine à faire des traductions françaises, quand par là on est sûr de déplaire aux uns sans être certain de parvenir à contenter les

autres.

Mais, quelle que soit la rigueur des préceptes auxquels je me suis soumis, je ne saurais les enfreindre volontairement avant d'avoir cessé de croire à leur bonté. Jusque-là je m'efforcerai d'écrire en français des versions fidèles; je tendrai sans cesse, quoique avec la certitude douloureuse de rester bien loin du but, vers cette double perfection dont on verra bientôt un modèle dans la traduction si impatiemment attendue du roman des Deux Cousines, par M. AbelRémusat. Toutefois, je préviens les lecteurs en général s'ils ne doivent pas s'attendre à trouver toujours dans ma version la valeur rigoureuse des phrases dont le génie de notre langue repousserait la traduction verbale, ils peuvent compter du moins que je ne substituerai jamais sciemment à un passage intraduisible des choses qui ne pourraient pas entrer dans le cercle des conceptions chinoises.

que,

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TANDIS que les ennemis de Lieou-thsing, réduits au silence par les dernières mesures de l'autorité publique, préparaient dans l'ombre une nouvelle atta> que contre la réputation de ce jeune homme, celuici n'était occupé que de Hoa-thian son défenseur.

<< Il ne m'a pas même entrevu », disait-il à sa mère; « et pour s'être arrêté une fois dans notre jardin, il m'a écrit des vers tout pleins d'amitié, des vers qui partent du cœur. Il s'est chargé de mon infortune, et s'est exposé pour moi au ressentiment de mes ennemis. Enfin, au moment de son départ, il a obțenu par sa recommandation un édit qui me place sous la protection des autorités. Fût-il mon père ou mon frère, il n'aurait pas pu faire davantage; c'est un ami tout divin. Mais après tant de faveurs reçues, je ne lui ai point encore donné le moindre signe de ma reconnaissance; comment pourrais-je goûter le repos? Heureusement il n'y a pas très-loin d'ici à Canton. J'ai dessein d'y aller pour lui faire mes remercîmens en personne, et lui montrer que je ne suis pas un ingrat. >>

— « Il serait bon sans doute », répondit Madame Yang (1), « de lui faire vos remercîmens en personne; mais vous êtes tout jeune, et n'avez jamais

(1) En prenant le titre de Fou-jin, Madame, les femmes mariées conservent en Chine leur nom de famille. Ainsi Madame Fang était Mlle. Yang avant son mariage. Cet usage n'est cependant point constant; et quelquefois les femmes prennent le nom de famille de leur mari.

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