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LA PIÈCE D'OR (1),

Séance de Hariri, traduite de l'arabe par M. GARCIN DE

TASSY.

'JE me trouvais un jour dans une assemblée compo. sée d'hommes aussi spirituels qu'aimables. Parmi eux le briquet du génie ne manquait jamais de donner des étincelles, et le feu de la dispute n'élevait point ses flammes dévorantes. La conversation roulait sur des objets littéraires, lorsque tout à coup un boiteux, portant la livrée de la misère, pénètre dans la salle où nous étions. Il s'avance vers nous, nous fait avec la plus rare éloquence le récit des malheurs auxquels il était en proie, et finit par implorer notre générosité (2).

A ces paroles, touché de compassion pour lui, je voulus soulager sa misère; et, frappé de la manière dont il nous avait tracé le tableau de son infortune, et du choix heureux de ses expressions, il me vint dans l'idée d'essayer s'il serait en état d'improviser des vers. Je tirai donc de ma bourse une pièce d'or, et la faisant briller à ses yeux, tiens, lui dis-je, si tu

(1) Voyez ce Journal, Tome I, p. 292.

(2) Je n'ai pas besoin d'avertir que, dans le texte, cet homme tient un long discours, plein de jeux de mots et de métaphores intraduisibles, qui finit par ces mots : « Oui, j'en jure par celui qui m'a fait venir de la tribu de Caïla, je suis le frère de la pauvreté. De là vient que Hariri a donné à cette séance le titre de Caïla. On lit, dans plusieurs manuscrits, Séance de la pièce d'or.

te sens capable de faire à l'instant même en vers l'éloge de cette pièce, elle est à toi. Je n'avais pas achevé ma proposition, que ces vers, semblables à des perles, découlèrent de sa bouche:

« Quelle agréable couleur; qu'une pièce d'or est une jolie chose! L'or traverse tous les pays, il a par

tout la même valeur; il donne le contentement, il fait réussir l'homme dans toutes ses entreprises: sa vue seule réjouit, et l'amour violent qu'il inspire ne peut s'exprimer; aussi celui dont il remplit la bourse estil fier et superbe, car l'or peut lui tenir lieu de tout. Que de gens, qui par son moyen trouvent partout des esclaves prêts à exécuter leurs ordres, seraient sans lui condamnés à se servir eux-mêmes. Que d'affligés dont il dissipe l'armée des noirs chagrins; que de beautés il parvient à séduire; que de colères il appaise; que de captifs dont il brise les chaînes et dont il sèche les larmes. Oui, si je n'étais retenu par les sentimens religieux, j'oserais attribuer à l'or la puissance de Dieu même. »

que

le

Après avoir proféré ces vers, le poète tendit la main demandant la pièce d'or. « Celui qui est bien né, dit-il, tient ce qu'il a promis, de même nuage envoie la pluie après avoir fait entendre le tonnerre. » Je m'empressai de lui remettre aussitôt le dinar. Notre étranger se disposait à partir après m'avoir remercié ; mais j'étais si content de la manière dont il avait fait l'éloge que je lui avais demandé, que tirant de ma bourse une nouvelle pièce d'or, je lui dis : « Pourrais-tu faire actuellement des vers con

th

tre cette pièce, et je te la donnerai. » Il improvisa alors sur-le-champ ces nouveaux, vers:

« Fi de cette pièce trompeuse qui a deux faces comme le fourbe, et présente à la fois et la couleur brillante des belles étoffes qui parent la jeune amante, et celle du visage hâlé de son ami, que l'amour a décoloré. La malheureuse envie de posséder l'or entraîne l'homme à commettre des crimes qui attirent sur sa tête l'indignation de Dieu. Sans l'or la main du voleur ne serait point coupée (1); sans l'or plus d'oppression, plus d'oppresseur; l'avare ne froncerait point le sourcil, lorsque, durant la nuit, on vient lui demander l'hospitalité ; le créancier ne se plaindrait point des retards de son débiteur. On n'aurait point à craindre l'envieux qui attaque avec les flèches acérées de la médisance. D'ailleurs j'aperçois dans l'or un défaut palpable et bien propre à le déprécier, c'est qu'il ne peut être utile dans le besoin qu'en sor tant des mains de celui qui le possède. Honneur l'homme qui le méprise! Honneur à celui qui résiste à ses perfides appâts (2). »

(1) « Autrefois on coupait (chez les Arabes ) la main à un homme qui avait volé quatre pièces de monnaie d'argent ou une somme plus considérable. Pour un second larcin, il devait perdre le pied gauche, ensuite la main gauche, enfin le pied droit. Cette loi n'est guère en usage parmi les Turcs. La bastonnade est la peine ordinaire du vol. Souvent aussi on tranche la tête au voleur. Ce crime est bien rare dans les villes de Turquie; mais le défaut de police le rend fréquent sur les grands chemins, et surtout dans les déserts.» Savary, traduct. du Coran, t. I. p. 105.

(2) Voici la traduction de quelques vers sur le même sujet, qu'on

Lorsque notre improvisateur eut cessé de parler, je lui exprimai ma vive satisfaction. De son côté, il demanda avec empressement cette seconde pièce. Je la lui donnai, et lui dis : « Récite en actions de grace la première surate du Coran (1). » Il s'en retourna alors ne pouvant contenir sa joie, et je m'aperçus que c'était Abou-zéid, et qu'il ne boitait que par

feinte.

trouve dans l'Anvari soheili. On s'apercevra, en les lisant, de la différence qui existe entre la littérature arabe et la littérature persane; différence que j'ai essayé de caractériser dans mon Coup d'œil sur la littérature orientale.

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Acquiers de l'or à quelque prix que ce soit ; car l'or est ce qu'on estime le plus au monde. On prétend que la liberté est préférable; ne le crois pas ; c'est l'or seul qui renferme la vraie liberté..........

» La pièce de monnaie de ce beau métal a les joues riantes comme le soleil, et brillantes de pureté comme la coupe de Gemschid *; c'est une beauté estampée au visage vermeil, un objet de bon aloi précieux et agréable. Tantôt l'or entraîne dans le crime les belles au sein d'argent; tantôt il les arrache à la séduction. Il réjouit les cœurs affligés; il est la clef de la serrure des événemens fâcheux du siècle. »

(1) Ebn-Rachik a dit aussi en parlant d'une jeune fille :

Vers.

<< Sa taille est régulière, l'ensemble de son corps est bien proportionné. Ses jouès sont d'une couleur de rose si parfaite, que, si l'on y mettait des feuilles de rose , on ne pourrait pas les distinguer de celles de son teint. Que celui qui est émerveillé de sa beauté, récite la première surate du Coran. »>

* L'ancien roi Gemschid, le Salomon des Perses, avait une conpe, disent les auteurs orientaux, par le moyen de laquelle il connaissait toutes les choses naturelles, et quelquefois même les surnaturelles. Herbelot, Biblioth. or. au mot giam.

Comparaison du Basque avec les Idiomes asiatiques, et principalement avec ceux qu'on appelle Semitiques.

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LE Basque est un des idiomes les plus singu liers de l'Europe. Au premier coup d'œil il ne paraît offrir aucune ressemblance avec les autres langues connues, si l'on excepte toutefois les termes gothiques et latins qui s'y sont introduits postérieurement. Sans partager l'opinion des admirateurs du Cantabre qui le regardent comme l'idiome le plus parfait de l'Univers et comme la mère de tous ceux de l'ancien Continent, j'ai cru qu'il serait intéressant de le comparer tant avec les langues asiatiques qu'avec les différens dialectes des Berbers, ou des habitans du mont Atlas. Pour arriver à ce but, j'ai soumis à un examen scrupuleux le petit Vocabulaire basque, rédigé par M. le baron Guillaume de Humboldt, et inséré dans le quatrième et dernier volume du Mithridates d'Adelung. Il contient à peu près six cents articles, parmi lesquels j'ai trouvé cent cinquante mots qu'on peut rapporter à des racines asiatiques et principalement semitiques. Les coïncidences avec le Berber sont presque nulles. Sans vouloir tirer de conséquences de ces observations, j'ai l'honneur de les présenter au Conseil de la Société Asiatique. Il me reste à remarquer que les formes bizarres de la grammaire basque n'offrent aucune analogie avec les semitiques. Je ne crois donc

T. III.

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