Extrait du cinquième chapitre de la seconde partie de Meng-tseu; traduit du chinois par M. Stanislas JULIEN. Kao-tseu. S. Ier. La nature de l'homme ressemble au saule, et la justice à une coupe; le philosophe tire de la nature de l'homme la justice et l'humanité, comme un artiste habile tire la coupe du saule. Meng-tseu. Pourriez-vous laisser le saule dans son état primitif, et façonner une coupe? Ne faut-il pas auparavant le mutiler et le détruire? Faudra-t-il aussi anéantir l'homme pour obtenir de lui la justice et l'humanité? Kao-tseu. S. II. La nature de l'homme ressemble à l'eau resserrée dans un vaste bassin; si on l'épanche à l'orient, elle coulera vers l'orient; si on l'épanche à l'occident, elle coulera vers l'occident. Ainsi la nature de l'homme est indifférente à faire le bien ou le mal, comme l'eau à couler vers l'orient ou vers l'occident. Meng-tseu. Il est bien vrai que l'eau est indifférente à couler vers l'orient ou vers l'occident; estelle donc aussi indifférente à monter ou à descendre? La nature de l'homme est nécessairement bonne, de même que l'eau tend nécessairement vers les lieux bas; vous ne trouverez pas un homme qui ne naisse par faitement bon, pas un fleuve dont les eaux ne tendent vers les lieux bas. Cette eau cependant, si vous la frappez avec la main, et que vous la fassiez jaillir, vous la verrez s'élancer au-dessus de votre tête; si une digue arrête l'impétuosité de son cours, elle ira baigner le sommet d'une montagne. Direz-vous que ce phénomène vient de la nature de l'eau et non de l'impulsion qu'elle a reçue? Les hommes aussi peuvent être entraînés au mal, mais c'est quand la violence des passions pervertit et étouffe l'excellence de leur nature. S. III. Kao-tseu. La vie s'appelle la nature et une commune existence assimile entr'eux tous les êtres sensibles. Meng-tseu. Dit-on que la vie est la nature, comme l'on dit qu'un objet blanc est blanc? Kao-tseu. Sans doute. Meng-tseu. Une plume blanche ressemble donc à de la neige; la neige ressemble donc au jaspe blanc? Kao-tseu. Sans doute.. Meng-tseu. Si cela est, la nature du chien est donc la même que la nature du boyf; celle du bœuf la même que celle de l'homme? S. IV. Kao-tseu.-Quand nous jugeons d'un mets ou d'un tableau, le plaisir de la vue et du goût réside en nous, les saveurs et les couleurs dans les objets; ainsi je dirai : l'humanité est intérieure, la justice est exté Comment cela? Kao-tseu. - Cet homme est avancé en âge et je le respecte; avant que je le visse, ce respect n'existait pas en moi. Cet homme est blanc, et je le juge blanc (1); voilà pourquoi je disais que la justice est extérieure. Meng-tseu. Le respect inspiré par l'âge diffère entièrement de l'affirmation de la blancheur; car la blancheur d'un cheval ne diffère nullement de la blancheur d'un homme; mais vous imaginerez-vous que je respecterai un cheval pour son grand âge, comme je respecte un vieillard? que faut-il en conclure? Que le respect ne naît point du calcul des années, mais d'un sentiment de vénération inné dans tous les hommes. Kao-tseu. J'ai de l'affection pour mon frère, je n'en ai point pour un habitant de Tsin; et cette préférence est une inspiration de mon cœur ; c'est pourquoi je dis que l'humanité est intérieure. Je respecte un vieillard du pays de Tsou, aussi bien qu'un parent avancé en âge, parce que leur vieillesse éveille en moi le même sentiment; c'est pourquoi je dis que la justice est extérieure. Meng-tseu. Voici deux plats de chair rôtie; l'un est préparé par moi, l'autre par un homme de Tsin; (1) C'est d'autrui et non de moi que je tire cette idée de blancheur. |