Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

les employait, comment on les administrait, quelles vicissitudes les finances de cette province ont subies depuis Richard II jusqu'à Philippe-Auguste, tel fut l'objet de son étude sur les Revenus publics en Normandie au XIIe siècle. En parcourant ces pages, malheureusement restées inachevées, on ne sait trop ce qu'il faut le plus admirer de l'étonnante clarté de l'auteur, dans une matière aussi complexe, ou de la richesse et de la sûreté de la documentation.

Que de travaux normands nous pourrions encore signaler aux débuts de cette brillante carrière, travaux analysés par M. P. Le Cacheux dans son étude sur L. Delisle, historien normand, et rappelés par M. Georges Dubosc dans le Journal de Rouen (1).

Je ne saurais cependant passer sous silence les remarquables Etudes sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie au moyen âge. Couronnées par la Société libre de l'Eure, qui avait proposé le travail en 1849, elles valurent à leur auteur le premier prix Gobert. M. Delisle avait alors vingt-cinq ans. Dans cette œuvre d'érudition, universellement estimée, qui présente ce caractère particulier qu'elle est à la portée de tous, je ne veux aujourd'hui recueillir qu'un seul témoignage (2). Le servage, dont on trouve des traces évidentes en Normandie au XIe siècle, disparaît complètement au siècle suivant. Là encore, la Normandie ducale a précédé

(1) Journal de Rouen, no du 2 août 1910.

(2) Compte rendu de M. Ch. de Beaurepaire, Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. XIII (1851), p. 394.

de deux siècles la France elle-même dans la voie de la

civilisation.

A cette époque, Léopold Delisle avait compulsé presque tous les fonds anciens de nos archives provinciales et possédait déjà la copie de la plupart des chartes normandes antérieures à la conquête de Philippe-Auguste. D'ailleurs, il le déclarait lui-même, les dépôts lui avaient été ouverts dans des conditions ultra-libérales.

Le plus souvent, à Rouen ou à Caen, il se faisait enfermer dans les Archives de la préfecture et il y restait ainsi, seul tout le jour, sans que personne vint le troubler. Plus tard, dans les Archives si riches du Vatican, il pourra, avec quelques appuis, adopter la même méthode de travail. Après avoir reçu en dépôt les manuscrits qu'il désirait consulter, pour ne pas perdre un instant, il se laissait enfermer seul pendant des journées entières.

M. de Gerville, qui s'intéressait toujours aux succès de son jeune disciple, avait imaginé qu'un jour Delisle pourrait bien être l'archiviste de l'un de nos départements normands et il avait fait partager cet espoir à M. Le Prévost.

En 1851, le poste de la Seine-Inférieure allait se trouver vacant. Delisle fut informé qu'il pourrait y poser sa candidature; en même temps, M. Le Prévost l'informait que le baron Le Roy était tout disposé à le nommer archiviste du département.

M. Delisle, enchanté de la perspective, s'ouvrit de ses projets à M. Guérard qui s'empressa de l'en détour

ner; mais, en même temps, notre savant compatriote indiquait à M. Le Prévost l'un de ses meilleurs amis, désireux de regagner sa province, Normand comme lui, heureux d'être préposé à la garde de tant de documents précieux.

Au mois de novembre 1852, Delisle était nommé employé au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale. Alors commença pour lui, sous la direction de M. Guérard, cette brillante carrière où les mérites de l'administrateur le disputent aux découvertes du savant et qui devait se poursuivre pendant cinquante-trois années.

Tandis que l'administrateur enrichit graduellement l'établissement qui lui est confié, provoque des dons et des legs, grâce aux sympathies qu'il inspire, améliore le sort des employés, satisfait aux désirs des travailleurs, le bibliophile révèle l'histoire des manuscrits anciens, les décrit minutieusement, s'éprend de leur beauté, recherche par qui et pour qui ils ont été faits, quels artistes les ont décorés, en quelles mains ils sont passés, quelles aventures les ont parfois mutilés pour en disperser les fragments en des dépôts lointains.

Il ne saurait m'appartenir de rappeler tous les travaux, articles ou mémoires de M. Delisle. Sa bibliographie, publiée en 1902 par M. Paul Lacombe (1), comprenait déjà près de 1,900 numéros.

Qu'il me soit permis, cependant, de rappeler, aussi

(1) Le supplément à la Bibliographie des travaux de M. Delisle, par M. Lacombe, est sous presse; il portera le chiffre des articles à 2,101, plus 50 numéros d'additions.

brièvement que possible, les principales étapes d'une existence si bien remplie.

Peu de temps après son entrée à la Bibliothèque nationale, Delisle épousait Me Laure Burnouf, fille aînée du savant indianiste, membre de l'Institut, et, par cette alliance, il allait bientôt devenir le beau-frère du remarquable professeur, du brillant écrivain que fut Gaston Boissier.

Cette union qui, suivant l'expression de notre compatriote, mettait fin au triste isolement dans lequel il vivait, sans rien changer à ses habitudes studieuses », lui apportait le bonheur au foyer et les meilleures conditions de travail. Femme éminemment distinguée, esprit très cultivé, Mme Delisle partageait tous les goûts de son mari, et, pendant quarante-sept ans, elle devait s'associer à tous ses travaux.

Son mariage est bientôt suivi de son élection à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres : il vient seulement de passer la trentaine.

Puis, ce sont les tristesses de la guerre, les angoisses du siège et les horreurs de la Commune. Avec quel soin jaloux le jeune bibliothécaire veille sur les trésors qui lui sont confiés. Il écrit alors à l'un de ses amis dont vous percerez facilement l'anonymat :

Après les épreuves que nous venous de traverser, c'est une grande consolation quand on reçoit quelques lignes tracées par une main amie, et quand on peut échanger une lettre avec ceux qui ont bien voulu penser à nous pendant les jours de crise que nous avons vu s'écouler si lentement dans ces derniers temps.

1

Enfin, grâces à Dieu, nous sommes délivrés, et la leçon a été si rude que bien des yeux qui se fermaient obstinément à la lumière devront s'ouvrir. Espérons que les horreurs dont nous avons été témoins, et dont vous ne pouvez vous faire une idée même après les récits des journaux, ne se renouvelleront pas de longtemps, et que de toutes parts et sans arrière-pensée on va travailler à réparer les ruines morales et matérielles de notre pauvre France. Personnellement, nous avons été épargnės: nous n'avons aucun malheur à déplorer ni dans notre famille, ni parmi nos amis. Lair est cependant fort à plaindre il a vu brûler tous ses livres et jusqu'à la dernière de ses notes, dans l'incendie qui a dévoré la plus grande partie de ses entrepôts.

<<< Les Archives et les grandes bibliothèques (à l'exception de celle du Louvre, qui a été consumée sans qu'un seul volume ait été arraché aux flammes) n'ont pour ainsi dire pas souffert, mais elles ont connu les plus grands dangers.

< Avant l'entrée des troupes et l'effroyable lutte qui en a été la conséquence, nous avions eu bien des ennuist et des inquiétudes à la Bibliothèque nationale. Deux délégués de la Commune s'y sont successivement implantés, et le dernier, X... aurait tout désorganisé s'il avait encore conservé le pouvoir pendant quelques jours. La Commune m'a fait l'honneur de me révoquer parce que je m'étais formellement opposé à l'installation d'un aventurier à qui les bons patriotes voulaient confier les manuscrits orientaux; mais cette révocation ne m'a pas empêché de venir à peu près sans interruption

« VorigeDoorgaan »