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Nous le trouvons à vingt ans dans une importante maison de confection de notre ville, comme employé, il y est encore aujourd'hui. Désormais, sa vie est partagée en deux zones distinctes. Dans la semaine, Guilbert est au magasin où il s'acquitte avec conscience des fonctions matérielles qui constituent l'élément principal de son gagne-pain. Il s'est marié, il a un enfant. Il se sent des devoirs supérieurs de famille, et il envisage la vie, comme elle se présente, avec netteté, avec fermeté, sans lancer à la destinée ces anathèmes virulents dont ne se privent pas Messieurs les Incompris.

Le dimanche, passez-moi le mot, il change de peau, il redevient paysagiste, il court à Croisset, à Dieppedalle, au Pré-aux-Loups, il installe son chevalet sur une pente ou dans une île et il étudie la nature avec passion. Le froid, la brume, la neige, la tombée du jour, rien ne le rebute. C'est une vraie santé de paysagiste, car il faut une singulière dose de courage, un mépris parfait des douleurs, pour travailler dehors par certains jours. Heureux les jeunes qui bravent impunément la tyrannie des rhumatismes! Pas plus tard qu'il y a un mois, par une après-midi glaciale, et un vent aigre de Nord-Ouest, nous apercevions sur le flanc des coteaux de Canteleu, une sorte d'ours brun de conte de fée, botté, encapuchonné, bataillant avec un chevalet que l'aquilon mettait à mal, et cet ours brun, fort souple d'ailleurs, oubliait tout pour traiter sa toile de vingt, comme un gladiateur enragé, à grandes estafilades de brosse et de coups de pouce nerveux, pen

dant que les nuées s'amoncelaient sur l'inondation de Bapeaume, sans qu'il parut s'en douter autrement que pour les saisir au vól. Cet enragé-là, c'était Guilbert, et il ne m'en voudra pas de l'avoir rangé momentanément dans la classe des plantigrades, car je le sais excellent cœur, parfaitement sociable, et point du tout susceptible.

J'ajoute que ces combats homériques ne constituent pas sa seule manière de procéder. Il a même une façon de travailler qui lui est commune avec tous les bons peintres. Il travaille en marchant. Vous l'avez peutêtre rencontré dans une rue de Rouen portant un paquet ou faisant une course pour la patron, dans un autre uniforme que celui de l'ours brun, vous avez peut-être cru que Guilbert profitait de la circonstance pour se reposer de penser. Détrompez-vous, il a la tête en l'air, et l'œil à l'affût. Il suit nos amusantes rues, en ne perdant ni un effet, ni une perspective. Il reluque les nuées jouant avec les cheminées des toits, il note in petto, l'enveloppe des plans. A travers l'atmosphère embrumée de nos quartiers bas, il compare les valeurs, surprend les accents, et enregistre les tonalités, il emmagasine tout cela dans sa caboche d'employé en course, et le lendemain matin, Guilbert, l'autre Guilbert, se lève dès les chats, pour courir à ses pinceaux, avant l'ouverture du magasin. Comme sa mémoire de peintre joue un rôle important dans sa méthode, il retrouve plus ou moins ses notes mentales de la veille et il leur donne alors une forme rarement dénuée de justesse.

En s'imposant de telles habitudes, Guilbert devait arriver: ses premières toiles exposées chez M. Legrip révélèrent un tempérament de coloriste, à l'encontre de Brasset, notre autre candidat, qui se montre avant tout bon dessinateur. Leurs palettes ne se ressemblent guère l'une est plus grise que l'autre ; Guilbert al'œil juste, il voit large et il est plus impressionné de la lumière que de la forme; un tournant du fleuve, des collines fuyantes, une voile de bateau d'un ton sonore, et là-dessus l'empreinte de l'heure, le souci de l'atmosphère, et voilà une jolie toile attestant déjà un tempérament. Les connaisseurs et les acheteurs le suivaient donc déjà avec intérêt même avant la fondation de la Société des artistes rouennais.

La création dans notre ville de cette institution aujourd'hui solidement établie grâce au dévouement et à la persévérance de son président, M. Marcel Delaunay, permit à Guilbert de se faire connaître plus avantageusement encore. Dès la première exposition, les toiles de notre candidat se placèrent aux premiers rangs des envois, et dans le cercle local des amateurs ou des visiteurs, son nom fut dès lors prononcé avec une réelle faveur. La presse rendit justice à ses efforts. A la dernière Exposition municipale des beaux-arts, le jury lui décerna une médaille de vermeil.

Ses patrons lui accordèrent alors quelques vacances. Il les employa â peindre des paysages de mer, des motifs de falaises; dernièrement, il poussait sa pointe à Saint-Malo, et il tressaillait d'aise en abordant pour la première fois la nature bretonne dont il importe de

pénétrer la pensée plus encore peut-être que la seule apparence. L'Académie se réjouit de constater que les mille francs du prix Pellecat vont peut-être lui servir de bourse de voyage en 1911.

Le paysagiste, en effet, a besoin de se remuer, de voir du neuf, il se lasse fatalement un jour de contempler les mêmes sites, il ne met plus autant de cœur à les interpréter peu à peu même, il en arrive à ne plus posséder la notion exacte de leur valeur. La jeunesse est ardente et curieuse. La vieillesse seule donne le privilège de trouver bien ce qu'elle voit sans cesse.

Guilbert a trop de raison pour ne pas prendre d'abord l'existence par le côté pratique; il a aussi des droits à désirer étendre le champs de ses travaux esthétiques et reculer les limites de sa production. La récompense décernée ce soir par notre Compagnie l'aidera dans cette double tâche et nous sommes sûrs qu'il fera honneur ainsi à la mémoire de M. Pellecat, au choix de l'Académie et aux espérances que ses compatriotes placent désormais en ses progrès.

RAPPORT SUR LE PRIX DE LA REINTY

Par M. ROBERT HOMAIS.

MESSIEURS,

Notre Compagnie doit décerner, cette année, un prix destiné à récompenser l'auteur du meilleur ouvrage faisant connaître l'histoire politique, sociale ou l'histoire naturelle des Antilles françaises présentement possédées par la France ou qui ont été jadis occupées par elle». Ce prix fut institué, le 11 octobre 1865, par M. le baron Baillardel de La Reinty en même temps que deux autres l'un, à attribuer à un marin de l'ancien pays de Caux, reconnu, de préférence parmi les plus âgés, comme le plus méritant par ses services, par ses actes de dévouement, par sa conduite et sa moralité » ; le second, réservé à une personne appartenant « au pays de Caux et de préférence aux communes de ce pays où ont résidé les familles Belain, Dyel et Baillardel, qui se sera fait remarquer par ses vertus ou une action d'éclat ou par des services utiles au pays de Caux, n'eussent-ils aucun caractère maritime ».

L'ensemble de ces dispositions s'explique à merveille quand on sait que le baron de La Reinty était un descendant du marin dieppois Pierre Baillardel, qui, en 1635, sur son vaisseau le Saint-Jacques, alla prendre,

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