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I. MONUMENT DE NINIVE, découvert et décrit par M. P. E. Botta, mesuré et dessiné par M. Eug. Flandin; ouvrage publié par ordre du Gouvernement, sous la direction d'une commission de l'Institut, livraisons 1-87, Paris, Imprimerie nationale, gr. in-f, 1847-49. II. NINEVEH AND ITS REMAINS: with an Account of a visit to the Chaldean Christians of Kurdistan, and the Yezidis or Devil-Worshippers, and an Inquiry into the manners and arts of the ancient Assyrians, by Austen Layard, esq., London, 1849, 2 vol. in-8°. III. THE MONUMENTS OF NINEVER from Drawings made on the spot by Austen Layard, illustrated in one hundred Plates, London, 1849, gr. in-fo.

DIXIÈME ARTICLE.

Le dieu que nous avons signalé comme remplissant, dans la religion assyrienne, le rôle de médiateur, d'arbitre, de modérateur suprême, entre les deux principes contraires, ne peut être que celui que les sculptures de Ninive nous ont montré sous une forme si imposante, dans deux de ses images, d'une proportion colossale2, qui ont pu être transportées dans notre musée du Louvre, où elles forment le principal ornement de notre Galerie assyrienne3. Il y est représenté debout, le corps tourné de côté, le visage de face, vêtu du costume assyrien, consistant ici en une tunique courte, serrée par une ceinture vers le milieu du corps et ornée de franges sur les bords, la tête nue, avec cette chevelure et cette barbe soigneusement tressées en une multitude de petites boucles régulièrement disposées d'une manière artificielle, qui ont constitué de tout temps l'usage des peuples asiatiques. Ce personnage tient de la main gauche un lion qu'il presse contre son corps, et qui se débat en vain contre la puissante étreinte qui l'étouffe; et sa main droite abaissée est armée d'un instrument, d'une forme particulière".

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Voy., pour le neuvième article, le cahier de février, p. 80. - Botta, Monuments de Ninive, pl. XLV, XLVII. 'Longperrier, Notice, p. 18-19, n° 3 et 4.Cet instrument est décrit par l'auteur de la Notice, citée à la note précédente, comme une arme recourbée, dont la poignée se termine en tête de génisse. Dans mon Mémoire sur l'Hercule assyrien, p. 154, 2), j'ai émis la conjecture que cette arme était la harpé, figurée comme elle l'est sur plusieurs cylindres babyloniens, dont un, publié à la suite de ce Mémoire, pl. vII, n° 2, représente le dieu assyrien combattant le lion unicorne ailé, et armé de la harpé. D'autres de ces cylindres, qui offrent le même, dieu, avec le même instrument, ont été publiés par M. Lajard, Recherch. sur Mithra, pl. x111, 1, 3; xv, 1, 4; xvi, 7 c; LIV, B, 6.

dont il ne fait aucun usage. A de pareils traits, il est impossible de méconnaître un dieu, triomphant, dans toute la plénitude de sa puissance, dans toute la supériorité de sa force, du principe malfaisant, personnifié par l'animal symbolique. La disproportion de la figure du lion avec celle du dieu, qui rend cette image plus énergique et plus sensible, est un procédé familier de toute antiquité à l'art asiatique, et puisé à cette source par l'art grec; et l'on en avait eu, dans les sculptures de Persépolis1, un exemple qui avait été méconnu, faute d'avoir fait cette réflexion naturelle, en l'absence du modèle assyrien que l'on ne possédait pas encore. L'intention de cette figure de dieu qui étouffe un lion est donc évidente, et le motif d'une pareille représentation ne peut avoir été puisé que dans l'ordre d'idées que j'ai exposé. Le visage de face, avec un corps de profil, ou, du moins, avec les jambes tournées de côté, est encore une circonstance qui ne saurait être accidentelle ni indifférente, encore moins attribuée à l'impéritie de l'artiste, dans un art si accompli, mais qui doit tenir à ce système d'imitation conventionnel, dont tous les éléments avaient dû être fixés par l'autorité sacerdotale; et l'on en a la preuve par une de nos sculptures de broderies2, qui représente le dieu, vêtu du costume assyrien et pourvu de quatre ailes, placé entre deux groupes du lion déchirant le taureau, et tenant de chaque main le lion dompté par une patte de derrière. Or, dans cette image, que je regarde comme la plus belle et la plus expressive de toutes, comme celle qui résume de la manière la plus complète et la plus significative toute la doctrine assyrienne sur ce point capital, le dieu, modérateur suprême des forces vitales de la nature, apparaît, tourné à gauche, appuyé en terre sur le genou droit, et, dans cette attitude, consacrée par l'art assyrien, où il a le corps de profil, il montre le visage de face, avec la tête pareillement nue et avec la même barbe artificiellement frisée que nous voyons à nos colosses de Khorsabad; d'où il suit bien évidemment que ce mode de représentation tenait à un système de convention hiératique, où il avait un objet déterminé.

1 Le bas-relief que j'ai en vue est un de ceux qui décoraient les montants des portes du palais de Darius, du côté oriental. Niebuhr, qui l'a dessiné, t. I, pl. xxv, fig. d, le décrit, p. 112, comme une figure qui lève un jeune lion de la terre et le serre fortement contre son corps. C'est aussi comme un jeune lion, ein junger Löwe, que le savant Heeren a vu le même animal, Ideen, etc., t. I, 1, p. 240, 4° édit., où Rhode, trompé par sa petite taille, avait cru voir un chien, Die heilige Sage, etc., p. 226. Nous en possédons maintenant, dans le Voyage en Perse de MM. Čoste et Flandin, pl. 122, un dessin qui ne laisse rien à désirer pour l'exactitude et pour le caractère, et qui rend désormais toute méprise impossible. Layard, The Monuments, etc., pl. 9.

Ce trait d'archéologie assyrienne, rendu si remarquable par l'emploi qui s'en fit dans les colosses de Khorsabad, certainement les deux morceaux de sculpture les plus imposants qui soient sortis des ruines de Ninive, mérite, par plus d'un motif, d'être signalé à l'attention de nos lecteurs. D'abord, il constitue, pour les figures à qui l'on donnait ce visage de face, avec un corps de profil, une exception à tout un système graphique, où le corps humain était toujours représenté de profil. C'était là une notion depuis longtemps acquise pour l'art égyptien, où l'on ne voit jamais de figures de face, mais toujours des figures tournées de côté; et nous venons d'acquérir, par tant de centaines de bas-reliefs assyriens, la preuve, que nous possédions déjà par tant de cylindres babyloniens, que l'art asiatique était constitué sur le même principe.. Nous savons enfin, par les nombreux bas-reliefs de Persépolis, où il ne se trouve pas une seule figure de face, et où toutes sont représentées de profil, que l'art des Perses avait suivi la même tradition. Une figure, représentée de face, au milieu de figures, toutes de profil, sur un monument de l'art assyrien, est donc une exception qui doit tenir à une intention particulière. Nous en avions un exemple sur un beau cylindre de Babylone, de la collection de Rich1, où se voit une déesse, sans doute la grande Déesse-Nature, la Mylitta babylonienne, assise de côté sur un trône et présentant sa tête de face. Or c'est précisément la même circonstance qui s'est offerte, sur un bas-relief du plus ancien palais de Nimrod, celui de l'angle nord-ouest, bas-relief représentant une pompe d'idoles portées sur les épaules de personnages assyriens 2, de la manièrequi est décrite dans le passage de la lettre sí curieuse du prophète Jérémie, insérée à la suite du livre de Baruch3. Ces figures de dieux y sont au nombre de quatre, dont trois, une debout et deux assises, sont représentées de profil, et une seule, qui se reconnaît pour une déesse, à son costume, à sa chevelure et à sa physionomie, et qui a le corps de profil, comme les autres, et tourné dans le même sens, montre le visage de face, de manière à ne permettre aucune sorte d'incertitude sur la réalité de cette conception extraordinaire d'un visage de face sur un corps de profil. Maintenant, qu'il y ait eu un motif dans ce type consacré par l'autorité sacerdotale, c'est ce que l'on ne peut raisonnablement révoquer en doute; et que cette intention ait pu être de rappe

Ce cylindre, acquis et publié par Rich, d'abord dans les Fundgruben des Orients, III, 3, Taf. 11, n° 11, puis dans son Memoir on the Ruins of Babylon (London, 1839, in-8°), pl. x, n° 10, a été reproduit par Münter, Religion der Babylonier, Taf. 1, n° 5, p. 63 et 101.- Layard, The Monuments, etc., pl. 65. Jerem. Epistol. § 25 : Επ' ώμοις φέρονται, ἐνδεικνύμενοι τὴν ἑαυτῶν ἀτιμίαν τοῖς ἀνθρώποις.

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ler le disque lunaire dans ce visage de face, donné à la figure d'une divinité, qui représentait la nature et qui personnifiait la lune1, c'est une conjecture qui peut paraître plausible; mais ce n'est qu'une conjecture, sur laquelle il ne me convient pas d'insister; et je me borne à signaler le fait, très-digne par lui-même, et à part toute autre considération, d'attention et d'intérêt, puisqu'il ne peut manquer d'avoir eu une haute signification. J'y ajouterai pourtant une considération nouvelle, c'est qu'il existe, sur une stèle égyptienne du Musée britannique2, la figure en pied d'une déesse, représentée nue, de face et debout sur un lion, trois circonstances tellement étrangères à l'art égyptien et tellement propres à l'art asiatique, qu'il est à peu près impossible de considérer cette figure autrement que comme celle d'une de ces divinités asiatiques dont le culte avait pu être importé en Égypte, vers l'époque de l'invasion des Pasteurs. Aussi M. Prisse, à qui nous devons la publication de ce monument curieux, et qui a observé que les images de cette déesse, désignée sous le nom égyptien de Ken ou de Koun, non plus que celles du dieu Renpo qui l'accompagne, ne se trouvent que sur des pierres votives, et jamais dans les temples, est-il porté à croire que ce sont des dieux étrangers à l'Égypte, dont le culte et l'idole y auraient été introduits, par suite des conquêtes de Ramsès II. L'analogie de cette déesse Ken, qu'il prend pour la Mylitta babylonienne, avec la déesse assyrienne du bas-relief de Malthaiyah, représentée pareillement debout sur un lion, mais vêtue et de profil, avait aussi frappé M. Layard, qui a rapproché les deux images sur une des pages de son livre, et qui n'hésite pas à dire que la déesse asiatique, représentée comme nous la voyons sur un monument égyptien, n'a pu être admise dans le panthéon égyptien qu'au temps de la xvII dynastie, par suite des rapports qui s'établirent alors entre l'Assyrie et l'Egypte. Quoi qu'il en soit de cette conjecture, qui revient à l'opinion de M. Prisse, le seul point sur lequel je crois devoir insister en ce moment, c'est que tous les éléments de cette représentation, particulièrement l'attitude de face, et la circonstance d'être debout sur un lion, éléments si importants, si caractéristiques, dont cependant il n'avait été tenu aucun compte jusqu'ici, tendent à revendiquer avec toute certitude la figure qui nous occupe à l'archéologie assyrienne5.

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1 C'est bien certainement une divinité solaire, puisqu'elle porte un grand astre sur sa tiare; et c'est, d'ailleurs, la condition propre à toutes les divinités de la religion. assyrienne, qui avait pour objet l'adoration des corps célestes. Wilkinson, A sec. Series of the Manners, etc., t. III, pl. 69, 1, 2, 3.– 3 Monuments égyptiens, etc., pl. xxxvII. Nineveh, etc., t. II, p. 212. — 5 Cette stèle a été l'objet de quelques

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Mais c'est surtout dans la figure du dieu que représentent nos colosses de Khorsabad que ce visage de face doit avoir eu une intention particulière, puisque c'est le seul exemple de cette particularité que présentent nos sculptures de Ninive, tant de Khorsabad même que de Koyounjuk et de Nimrod, où toutes les figures, sans exception, se montrent de profil. Il fallait donc que le dieu dont l'image décorait, sous une forme si imposante et dans une attitude si caractéristique, la façade du palais de Khorsabad, se reconnût à ce trait autant qu'à son action même d'étouffer le lion; et ce qui prouve bien qu'en effet cette attitude se rapportait à cette action, et qu'à ce titre, elle était propre au personnage qui nous occupe, c'est que, sur de nombreux cylindres et autres monuments de la glyptique babylonienne, cônes, sceaux, amulettes, où le même personnage nous était déjà apparu dans la même action de combattre ou de terrasser le lion, il s'y montrait avec le visage de face. J'avais publié moi-même quelques-uns de ces monuments1, où la particularité que je signale m'avait surtout frappé par l'imitation qui en avait été faite sur des monuments de la haute antiquité grecque et étrusque 2, où elle me paraissait venir à l'appui de la tradition historique d'un empire assyrien établi dans l'Asie Mineure, et de l'influence d'une civilisation assyrienne sur les origines de la société grecque et étrusque. Mais, depuis la publication de mon travail, un bien plus grand nombre encore de ces ⚫ monuments de l'art assyrien, où le dieu qui combat le lion se montre avec un visage de face, ont été acquis à la science par les soins de M. Lajard3; en sorte que ce trait si remarquable de l'archéologie assyrienne ne saurait plus aujourd'hui donner lieu au moindre doute.

Il en est de même pour le rapport que j'avais signalé entre la figure d'un dieu à face gorgonienne, qui nous est connu par de nombreux monuments égyptiens de la dernière époque, et celle de notre dicu assyrien,

observations de la part de M. Michelange Lanci, dans ses Lettres à M. Prisse, p. 19, suiv., pl. 1. Le savant philologue ultramontain s'attache uniquement aux caractères égyptiens qu'il trouve à la déesse Koun et au dieu Renpo, qui sont, suivant lui, l'expression du principe femelle et du principe mâle. Mais, sans entrer ici dans la discussion des idées qui lui sont propres, relativement à un tétragrammate (sic) égyptien, auquel il rattache aussi les noms de Koun et de Renpo, je me borne à dire que je maintiens l'origine asiatique que j'ai assignée à la déesse Koun, d'après ses caractères archéologiques, dans mon Mémoire sur l'Hercule assyrien, p. 338, 2); et je présume que M. Lajard s'en est fait à peu près aussi la même idée, puisqu'il a reproduit son image parmi les monuments à l'appui de ses Recherches sur Vénus, pl. xiv E. -Mémoire sur l'Hercule assyrien, etc., pl. v, 11, 17, 18.— Ibid., p. v, no 3, 19, 20.Recherches sur Mithra, pl. xxv, 2, 3; xxvi, 2, 5; XXVIII, 13; XXXII, 1; XXXVI, 7; XXXVII, 3; LXVIII, 19, 20, 22; LXIX, 2, 3, 4.

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