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«dant à dire que, si l'on veut bien écarter tout préjugé, on trouvera « peut-être deux raisons solides et propres à justifier le roi Charles. Il << ne pouvait, en premier lieu, se promettre aucun repos, tandis qu'il <«< aurait laissé subsister un jeune prince........... capable des plus grandes << entreprises..... et, à part l'intérêt de Charles, le bien public deman«dait la mort de Conradin..... une prison perpétuelle, ce sont là de «ces tempéraments presque toujours funestes à ceux qui s'y livrent..... «Quand il y a deux concurrents, un des deux ne saurait avoir trop tôt «la tête tranchée 1. »

Cette argumentation de Giannone est plus vulgaire que concluante; nous la trouvons à l'usage de toutes les violences, sans qu'elle en ait jamais justifié aucune, et maintes fois l'événement l'a victorieusement réfutée. La mort de Conradin est restée un de ces actes de sanglante politique, que le vainqueur environne des formes judiciaires sans pouvoir leur donner l'apparence de la justice. Depuis Charles d'Anjou jusqu'à nos jours, des faits, sinon semblables, au moins analogues, ont été enregistrés plus d'une fois par les historiens. Si on examine avec soin, et sans passion, les faits et les résultats, on trouve que de telles sévérités, pour ne pas leur donner un autre nom, ont flétri d'une tache ineffaçable ceux qui les ont commises; elles ont peu servi leur cause et beaucoup nui à leur mémoire.

M. de Saint-Priest ne va pas si loin que Giannone. «Excuser Charles « d'Anjou serait coupable, dit-il; l'expliquer est nécessaire2. » Et puis il consacre à cette explication une douzaine de pages qu'il termine ainsi: «L'histoire a prononcé. A son tour, elle a changé l'accusateur « en accusé; elle a condamné sans indulgence celui qui condamna sans pitié. Le péril de Charles était réel et pressant; nous l'avons prouvé. «Pour s'y dérober, il n'avait guère le choix des moyens. Il est juste « de tenir compte à sa mémoire d'une situation qui le forçait à l'hé«roïsme. Mais l'histoire n'entre pas dans les motifs particuliers, dans « les nécessités personnelles qui poussent les puissants de la terre à « enfreindre les lois immuables de la morale et de l'humanité. Elle ne

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'Histoire civile du royaume de Naples, traduite de l'italien de Pierre Giannone; avec de nouvelles notes, réflexions et médailles, fournies par l'auteur et qui ne se trouvent point dans l'édition italienne, La Haye, 1742, in-4°, t. II, liv. XIX, c. 4, § 2. Imprimée à Genève, sous la fausse date de La Haye, cette traduction qu'on attribue à Desmouceaux, à Louis Bochat ou à Beddevolle, a paru pendant que Giannone était retenu dans la prison où il a langui les vingt dernières années de sa vie. Le passage que nous citons ici est un de ceux qui ont été ajoutés dans la traduction; il ne se trouve point dans les textes que nous avons pu consulter. 2 Hist. de la conq. de Naples, t. III, p. 167.

<«<leur demande pas s'ils ont fait une faute; il lui suffit de savoir qu'ils << ont fait un crime1. »

On a pourtant cherché une excuse à Charles d'Anjou dans la férocité de son temps. Mais, si ce meurtre sauvage était alors si conforme à l'esprit des populations, comment se fait-il qu'à peine connu, il frappe tout le monde d'étonnement et presque de consternation? Que la conscience des contemporains s'en effraye et s'en indigne, et qu'une clameur universelle s'élève de toutes parts contre cet impitoyable échafaud? M. de Saint-Priest l'a remarqué lui-même. «L'impression fut aussi ra« pide que terrible2. »

Et quand même de nombreux témoignages n'attesteraient pas l'effet que produisit alors en Allemagne, en Italie et même en France, la mort du jeune Conradin, on en tirerait encore l'irrécusable certitude de toutes les circonstances romanesques que les chroniqueurs et les historiens ont inventées pour environner cette catastrophe d'une solennité plus tragique, d'un intérêt plus touchant. Il fallait que la vérité eût déjà bien vivement saisi les esprits pour que l'imagination des écrivains se soit si fort évertuée à y joindre tant de fabuleuses inventions. On ne s'occupe si unanimement et si longtemps que des choses qui ont profondément ému les populations; et rien en effet n'était plus capable de les émouvoir, que cette fin lamentable d'une vie si courte, et que la fatalité avait douée avec une triste prédilection d'infortunes si douloureuses et si dignes d'intérêt.

Avec Conradin avait été pris Frédéric de Baden, duc d'Autriche, compagnon de son enfance, ami de sa jeunesse, et qui, après avoir partagé sa misère et ses périls, devait partager aussi son échafaud. On a écrit que, pour frapper deux fois Conradin, on avait fait tomber devant lui la tête de son ami; que l'infortuné jeune homme, ayant relevé cette tête palpitante dont les lèvres convulsives murmuraient encore le nom de Marie, la couvrit de baisers et de larmes, lui adressant parmi ses sanglots désespérés un discours qu'Encas Sylvius Piccolomini a fait le plus pathétique qu'il a pu 3.

On a raconté que, du haut de l'échafaud, Conradin, jetant son gant au milieu de la foule avait proclamé le roi d'Aragon pour son successeur, et qu'un noble allemand, ayant ramassé ce gant, l'avait porté à l'Aragonais comme le témoin de cette suprême investiture. A ce gant de Conradin d'autres chroniqueurs ont substitué un anneau d'or qu'il

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'Hist. de la conq. de Nap., t. III, p. 180. Ibid., III, 165. - 3 Historia rerum Frederici imperatoris. Argentorati, 1685, p. 33-37. M. de Saint-Priest en cite, dans son appendice, six pages, où il signale neuf erreurs graves.

aurait tiré de son doigt pour le lancer au hasard, et qui aurait été recueilli par un sujet fidèle.

Les poëtes ont ajouté leurs inventions à celles des chroniqueurs, et tel était l'immense intérêt qu'excitait de toutes parts cette mort tragique, que ces poëmes devinrent aussitôt populaires. Un auteur, cité par M. de Saint-Priest1, s'écrie: «O prodige capable de frapper d'ad«miration et de stupeur! Indigné du supplice du royal patient, un aigle se précipita du haut des airs, trempa son aile au sang de la vic«<time, et d'un vol rapide emporta dans les cieux ce sang fumant encore, « aux regards étonnés de la foule qu'avait rassemblée autour de l'échafaud ce terrible spectacle. »

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Le Dante lui-même a, dit-on, consacré par son immortelle poésie une fable « tellement insensée (ajoute M. de Saint-Priest), que, pour oser <«la produire, il n'a fallu rien moins que l'impunité du génie. Sur quel«ques vers, au demeurant très-obscurs, de la Divine Comédie, plusieurs «< commentateurs du Dante, Boccace à leur tête, ont prétendu que « Charles d'Anjou, poussé par une superstition (d'origine italienne et << entièrement inconnue en France), crut conjurer la vengeance de «mânes irrités en mangeant une soupe magique sur les corps mutilés de << ses victimes 2. >>

Les fables des poëtes se réfutent d'elles-mêmes; quant aux contes

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Vers dont M. de Saint-Priest donne cette traduction littérale :

Sache que le vase (ou le char) que le dragon a brisé fut et n'est plus; et que celui qui a commis la faute croie bien que la vengeance de Dieu ne craint pas les

⚫ soupes. »

Il faut dire que rien, dans ce chant du Dante, n'indique que le poète fasse allusion à Charles d'Anjou; c'est Boccace qui nous a révélé la pensée du poëte, si telle fut en effet sa pensée. Quelques commentateurs ont voulu voir dans ce passage une allusion au saint sacrifice de la messe, mais presque tous ont adopté l'explication de la superstition florentine donnée par Boccace; ils auraient mieux fait d'avouer tout simplement qu'ils ne comprenaient pas ce tercet. Et ils pouvaient se demander, d'ailleurs, pourquoi le Dante aurait enveloppé ici le nom de Charles d'Anjou dans l'obscurité de ces vers apocalyptiques, tandis qu'au vingtième chant du même poëme il avait nommé ce prince sans aucun ménagement, en lui imputant non pas seulement le meurtre de Conradin, mais encore l'empoisonnement de saint Thomas-d'Aquin.

tations des chroniqueurs, d'autres chroniqueurs se trouvent ordinairement qui rétablissent la vérité altérée. Ainsi Saba Malaspina 1, Ricordano Malespini2, et d'autres contemporains passent sous silence les romanesques inventions que nous venons de rappeler; Ricobaldi de Ferrare dit positivement que le jeune duc d'Autriche ne fut frappé qu'après Conradin : «Dux Austriæ, ut vidit Conradini propinqui cer«vicem feriri, quanta potuit indignantis animi voce rugitum emisit3..... » Francesco Pipini raconte la même chose dans les mêmes termes". Le chroniqueur de Parme n'a pas même nommé Frédéric 3.

Quant à l'investiture par le gant ou l'anneau, les chroniqueurs les plus dignes de foi n'en font aucune mention.

Nous n'avons pas besoin de dire que M. de Saint-Priest a adopté le récit le plus simple et le plus vraisemblable; à un historien sérieux il faut de sérieuses autorités.

En réfutant encore quelques autres faits sans doute également controuvés, l'auteur rappelle une tradition touchante qu'il regretterait de mettre au nombre des fictions; il voudrait croire au voyage de cette pauvre mère apportant trop tard à Naples une rançon qui ne peut plus lui servir qu'à donner à son enfant une tombe qu'il fallut encore cacher; mais il ne trouve point de preuves contemporaines qui en attestent la vérité.

Après sa victoire sur Conradin et le supplice qu'il infligea à ce rival infortuné, Charles d'Anjou posséda sans compétiteur le royaume des Deux-Siciles. Il nous reste à examiner comment il usa de son triomphe et quel fut ce gouvernement qui provoqua la terrible vengeance des Vepres siciliennes. Ce sera l'objet d'un dernier article.

'Liv. IV, c. XVI, dans Murat., Rer. it. scr., t. VIII, col. 853. ibid.. col. 1015. Dans Murat., t. IX, col. 138.

5

col. 685. Ibid., col. 784.

AVENEL.

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Liv. III, c. 1x, ibid.,

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT NATIONAL DE FRANCE.

ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

L'Académie des sciences morales et politiques a tenu, le samedi 15 juin, sa séance publique annuelle sous la présidence de M. Barthélemy Saint-Hilaire.

Après un discours d'ouverture, le président a proclamé, dans l'ordre suivant, les prix décernés et les nouveaux sujets de prix mis au concours.

PRIX DÉCERNÉS.

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Section de législation, de droit public et de jurisprudence. Le sujet de prix suivant avait été proposé pour l'année 1850: Retracer les phases diverses de l'organisation de la famille sur le sol de la France depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Ce prix a été décerné à M. Koënigswarter, docteur en droit, correspondant de l'Académie.

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Section d'histoire générale et philosophique. L'Académie avait remis au concours de cette année la question suivante: « Démontrer comment les progrès de la justice criminelle, dans la poursuite et la punition des attentats contre les personnes et les propriétés, suivent et marquent les âges de la civilisation, depuis l'état sauvage jusqu'à l'état des peuples les mieux policés. Les mémoires envoyés à ce concours n'ont pas été jugés dignes du prix; mais l'Académie a accordé une première mention honorable, avec une médaille de 1,000 francs, à M. Tissot, professeur de philosophie à la faculté de lettres de Dijon, et une deuxième mention honorable, avec une médaille de 500 francs, à M. Albert Duboys, ancien magistrat à Grenoble.

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L'Académie avait proposé également, pour l'année 1850, le sujet de prix suivant: Rechercher quelle a été, en France, la condition des classes agricoles depuis le x siècle jusqu'à la révolution de 1789; indiquer par quels états successifs elles ont passé, soit qu'elles fussent en plein servage, soit qu'elles eussent un certain degré de liberté, jusqu'à leur entier affranchissement; montrer à quelles obligations successives elles ont été soumises, en marquant les différences qui se sont produites, à cet égard, dans les diverses parties de la France, et en se servant des écrits des jurisconsultes, des textes des coutumes anciennes et réformées, générales et locales, imprimées et manuscrites, de la législation royale et des écrits des historiens, ainsi que des titres et des baux anciens qui pourraient jeter quelque jour sur la question. »

L'Académie n'a point décerné ce prix; elle a remis le même sujet au concours de l'année 1853.

Section de morale. La question suivante avait été mise au concours de 1850: « Examiner comment et dans quelle mesure l'État peut intervenir dans les associations industrielles entre les entrepreneurs, les capitalistes et les ouvriers...... Aucun des mémoires envoyés n'a été jugé digne du prix. L'Académie a retiré la question du concours.

l'année

Section d'économie politique et de statistique. L'Académie avait proposé, pour 1850, la question suivante : « Déterminer, d'après les principes de la science et les données de l'expérience, les lois qui doivent régler le rapport proportionnel de la circulation en billets avec la circulation métallique, afin que l'Etat jouisse de tous les avantages du crédit, sans avoir à en redouter l'abus.» Ce prix n'a point été décerné. L'Académie a retiré le sujet du concours, et lui en a substitué un nouveau pour 1853. (Voy. Prix proposés.)

Prix quinquennal fondé par M. de Morogues. Ce prix, destiné au meilleur ouvrage sur l'état du paupérisme en France et les moyens d'y remédier, devait être décerné cette année; mais aucun des mémoires envoyés n'a mérité de fixer l'attention de l'Académie. Le concours est prorogé à l'année 1855, et le prix porté à 3,000 francs. (Voy. Prix proposés.)

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