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jugements analytiques et des jugements synthétiques.) Si c'est une proposition analytique, en affirmant l'existence de la chose nous n'ajoutons rien à l'idée que nous en avons, et par conséquent nous n'affirmons cette existence que parce qu'elle est déjà dans l'idée que nous avons de la même chose; ce qui n'est qu'une répétition, et ne prouve nullement que la chose dont il s'agit existe, quand même elle n'est pas donnée déjà comme existante. Disons-nous, au contraire, que la proposition qui affirme l'existence d'une certaine chose est synthétique? Mais alors il n'y a aucune contradiction à supprimer le prédicat de l'existence; car les propositions analytiques sont les seules dans lesquelles il implique contradiction de nier le prédicat, une fois le sujet supposé, et c'est précisément à ce signe qu'on les reconnaît. Ainsi il est contradictoire de supposer un triangle, si on en supprime les trois angles par la pensée, de supposer Dieu si on nie la toute-puissance, parce que ces propositions: le triangle est une figure qui a trois angles, Dieu est tout-puissant, sont des propositions analytiques. Mais, si la proposition qui affirme l'existence de Dieu, est une proposition synthétique, comment pourrait-il impliquer contradiction de supposer la non-existence de Dieu? La contradiction ne serait possible que si la proposition était analytique, et la proposition ne peut être analytique qu'à la condition de ne rien prouver.»

<«< Ainsi, conclut Kant, il s'en faut de beaucoup que Leibnitz ait fait ce dont il se flattait, et qu'il soit parvenu à connaître a priori la possibilité d'un être idéal si élevé. Dans cette célèbre preuve ontologique de l'existence d'un être suprême, tout travail est perdu, et un homme n'augmentera pas plus ses connaissances par de simples idées, qu'un négociant n'augmenterait sa fortune en ajoutant quelques zéros à l'état de sa caisse. >>

Qu'il nous soit permis de rappeler aussi ce que nous avons dit à notre tour du syllogisme leibnitzien (ibid., p. 211): « Ce syllogisme est de la régularité la plus parfaite. Ou il n'y a plus de logique au monde, ou la conclusion est démontrée. Mais de quelle nature est cette conclusion? D'après les lois mêmes de la logique, elle doit être conforme au caractère de la majeure et de la mineure réunies, des prémisses. Examinons ces prémisses. La majeure, Leibnitz lui-même le reconnaît, est un axiome identique (axioma identicum); c'est une proposition générale et abstraite. L'existence et l'essence qui y sont renfermées y sont prises au point de vue purement abstrait et logique. Quant à la mineure, elle contient une définition générale de Dieu, dans laquelle l'existence de cet être est considérée encore d'un point de vue logique,

a

et non pas comme quelque chose de réel, puisque c'est cette réalité même qu'il s'agit d'obtenir dans la conclusion, et que la supposer dans la mineure serait faire une pétition de principe. Si donc la majeure a'un caractère abstrait, et si la mineure n'ôte pas ce caractère, je le demande encore, de quelle nature doit être la conclusion? Nécessairement, une conclusion abstraite où l'existence est prise abstraitement, comme dans les prémisses. De la combinaison de deux prémisses abstraites, il ne peut sortir qu'une abstraction. Le syllogisme est donc bon en lui-même, mais il n'a et ne peut avoir qu'une valeur syllogistique. L'existence que donne ce syllogisme ne peut être que l'exi enee en général, à l'état abstrait, c'est-à-dire sans réalité véritable. » Et encore en ce même endroit, page 218: « Je suis, car je pense; je suis réellement, car je pense réellement; je suis donc une substance qui se connaît de la science la plus certaine de toutes, puisqu'elle est la plus immédiate, la conscience. Mais cette substance que je suis et que je sais être, je la sais aussi et je la sens finie et limitée de toutes parts; je la sais et je la sens imparfaite dans l'évidente imperfection de ma pensée; c'est là un fait aussi certain que celui du sentiment de l'existence. Ce n'est pas non plus un fait moins certain, qu'en même temps que je reconnais l'imperfection de mon être, je conçois un être parfait qui est le principe du mien. Comme ma raison conçoit l'être sous la pensée, ainsi cette même raison, dès que mon existence imparfaite, limitée, finie et contingente lui est donnée, conçoit un être parfait, infini, illimité, nécessaire. Elle s'élève de l'imparfait au parfait, du fini à l'infini, du contingent au nécessaire par une force qui est en elle, et qui porte avec soi son autorité, sans s'appuyer sur aucun principe étranger, sans recourir à aucune majeure. Les deux termes ici sont en contraste absolu, à savoir l'imparfait et le parfait, le fini et l'infini, le contingent et le nécessaire, dans une synthèse qui n'est ni une induction de l'expérience, ni une déduction du raisonnement. Ici, point de syllogisme; car, pour atteindre logiquement l'infini, le parfait, le nécessaire dans la conclusion, sur quelle majeure, sur quel principe s'appuierait le syllogisme? Ou ce principe contiendrait déjà l'infini, et le syllogisme ferait un cercle; ou il ne le contiendrait pas, et alors la conclusion serait impossible. Ici, non plus, il n'y a pas d'abstraction. Comme je ne pars pas d'une substance imparfaite en général, mais de l'être imparfait que je suis, par cela même l'être parfait que je conçois en opposition au mien n'est pas un être abstrait; c'est un être réellement existant dans sa perfection et son infinitude, comme l'être que je suis existe réellement dans son imperfection et dans ses limites. L'existence de cet être

a toute la réalité du mien pour en être le principe, comme la substance de ma pensée a toute la réalité de ma pensée. Le principe du moi, réel et vivant, n'est pas et ne peut pas être une entité logique : car d'où viendrait la réalité du moi, si son principe était une abstraction? Mais les raisonnements, même les meilleurs, ne viennent ici qu'après coup. Le fait est que, primitivement, la raison, dès qu'elle conçoit l'imperfection de mon être, conçoit un être parfait : voilà le fait primitif, merveilleux si l'on veut, mais incontestable. Plus tard, la réflexion et le raisonnement s'en emparent et le produisent dans l'école sous un appareil de fornles générales, qui ont leur légitimité tant que ce fait leur sert de fondement, et qui, dès qu'on l'ôte, s'écroulent avec lui. Ce n'est point cette formule générale : l'imparfait suppose le parfait, le fini suppose l'infini, le contingent suppose le nécessaire, qui, logiquement appliquée au moi imparfait, fini, contingent, donne l'être nécessaire, infini, parfait; c'est la conception naturelle de l'être parfait, principe de mon être imparfait, que la raison porte d'abord spontanément, et qui plus tard, abstraite et généralisée, engendre des formules que la raison accepte, parce qu'elle s'y reconnaît et y retrouve son action primitive et légitime. »

Mais l'erreur principale qui est au fond de toute l'argumentation leibnitzienne, et qu'il importe le plus de relever, est une erreur de méthode dont la portée est immense. Leibnitz semble penser que la gloire en philosophie est d'inventer des preuves jusqu'à présent ignorées de l'existence de Dieu, comme si l'esprit humain avait attendu ces preuves pour croire en Dieu. C'est l'idée la plus fausse qu'on puisse se faire de la philosophie. Non, la philosophie n'invente pas, elle observe; elle applique la réflexion aux démarches naturelles de l'esprit humain, et par là elle les éclaircit et les assure. Elle n'a point à rechercher comment l'homme doit s'y prendre pour parvenir à la connaissance de Dieu, mais comment il y parvient. Or c'est un fait qu'il y parvient par une tout autre voie que celle du syllogisme. Asseoir la croyance en Dieu sur un syllogisme, ce n'est pas l'expliquer, c'est la détruire, ou du moins substituer une foi d'un nouveau genre à la foi du genre humain. Ce n'est donc pas la logique, c'est la psychologie qui doit présider à la théodicée. L'introduction de l'expérience dans la philosophie, sous le nom de psychologie, est le trait caractéristique de la philosophie moderne, tandis que la logique est le grand instrument de la scolastique. Descartes, en fondant la philosophie sur l'étude de la pensée, a commencé la psychologie; mais on a vu combien cet admirable début a été faible encore, et quelle pente fatale ramène sans cesse Descartes dans

les voies de la vieille philosophie. Ainsi, dans le Discours de la méthode, il part de cette remarque, que, dans toutes nos pensées, il y a de l'imperfection, que nos pensées ont beau s'augmenter et s'enrichir, cela même fait d'autant mieux paraître notre condition imparfaite, et de là il s'élève sans aucun raisonnement à l'idée d'un être parfait. Voilà le fait tel qu'il se passe dans l'esprit humain. Sur quoi la philosophie se doit proposer deux choses d'abord recueillir fidèlement ce fait, et le décrire avec la plus parfaite exactitude, sans y rien retrancher et sans y rien ajouter; puis l'analyser le plus profondément possible, reconnaître les facultés qu'il suppose, et les lois qui président à l'exercice de ces facultés. Selon nous, comme une science ainsi obtenue est la seule vraie, on la doit transporter dans l'école avec tous les procédés qui l'ont produite et qui la soutiennent : à nos yeux la meilleure méthode d'exposition est celle qui rappelle le mieux la méthode d'invention. Mais, si, cédant à un préjugé funeste, on veut exposer et enseigner d'une autre manière qu'on invente et qu'on découvre, si on croit devoir mettre les vérités auxquelles on est parvenu sous des formes logiques qui paraissent les mieux graver dans les esprits ordinaires, du moins ne faut-il pas qu'une méthode artificielle mette en péril les résultats certains que nous devons à l'emploi de nos facultés naturelles. Descartes n'aurait jamais songé à son argument, s'il n'avait fait cette remarque, que, se sentant imparfait, il conçoit un être parfait, je dis un être, et non pas un je ne sais quoi non existant dont il s'agira plus tard de démontrer l'existence. Quand donc il a formé son argument, il possédait déjà tout ce qu'il voulait en tirer. Je ne considère cet argument que comme une forme un peu plus générale, un peu plus abstraite, en un mot, la forme logique d'un fait naturel. Malheureusement, il est arrivé que cette forme, au lieu de mettre en relief le fait naturel, l'a étouffé et presque supprimé, et qu'alors, se présentant toute seule et n'ayant plus d'autre force qu'ellemême, elle a plutôt compromis l'existence de Dieu qu'elle ne l'a solidement établie. En effet, il restait toujours et il restera éternellement aux formes logiques ce terrible problème à résoudre, comment de la logique on parvient à la réalité. Descartes avait eu le tort d'abandonner beaucoup trop tôt la psychologie pour la logique, c'est-à-dire de reculer dans la route qu'il avait lui-même ouverte. Leibnitz a été plus loin dans cette marche en quelque sorte rétrograde. En perfectionnant, comme il le croit, la preuve cartésienne, en la mettant sous la forme étroite du syllogisme le plus régulier mais le plus abstrait, il s'éloigne d'autant plus de la réalité, il s'expose d'avance à la critique légitime de Kant; et, sur cet enthymème : J'ai l'idée de Dieu, donc Dieu existe,

comme sur le précédent : Je pense, donc je suis, au lieu de faire avancer la science nouvelle, la philosophie moderne, il ramène autant qu'il est en lui l'esprit humain à la vieille science, à la scolastique.

Et, en parlant ainsi, en assignant ce caractère aux Animadversiones, nous ne faisons pas tort à Leibnitz; car lui-même, dans un écrit postérieur à peine de quelques années à celui que nous examinons, il dit hautement, Lettre à un ami sur le cartesianisme, 1695 : «J'ai entrepris de réhabiliter en quelque sorte l'ancienne philosophie. »>

(La fin au prochain cahier.)

V. COUSIN.

EXPÉDITION SCIENTIFIQUE DE LA MORÉE, ordonnée par le Gouvernement français; architecture, sculptures, inscriptions et vues du Péloponnese, des Cyclades et de l'Attique; recueillies et dessinées par Ab. Blouet et ses collaborateurs; t. I, II et III, in-fol., Pa

ris, 1831-1838.

TROISIÈME ARTICLE1.

Après avoir consacré un temps considérable et un travail très-digne d'estime à l'étude du temple d'Egine, qui sera pour nous-même l'objet d'un examen particulier, nos architectes reprirent le cours de leurs explorations dans le Péloponnèse. Du port d'Égine un bâtiment les porta dans celui d'Epidaure, d'où ils gagnèrent Nauplie, de là, Argos, qui ne pouvaient leur fournir le sujet d'observations nouvelles, non plus que Mycènes, qu'ils visitèrent ensuite. C'est à partir de Mycènes, en se dirigeant vers Corinthe, que commence la nouvelle série d'études qui remplissent le troisième volume de leur ouvrage, et qui complètent l'ensemble de leurs travaux sur la Morée.

En partant de Mycènes, par la route qui mène à Corinthe, après avoir remarqué de loin, à la distance indiquée par Pausanias 2, une grotte, ouverte dans des montagnes, qui paraît devoir être l'antique repaire du lion de Némée, le premier objet qui attire leur attention est la ruine imposante du temple de Jupiter Néméen, signalée par Pausanias3 comme

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Voyez, pour le second article, le cahier d'août, p. 459. - Pausan., II, xv, .* Idem, ibid.

2

2.

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