Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

mode d'alimentation le plus convenable pour en accroître la quantité et la qualité. Le mal est, que ces découvertes ne s'obtiennent que progressivement, l'une après l'autre; et que chacune, au moment où elle s'annonce, est présentée, presque toujours, comme une panacée absolue, infaillible, universelle; toutes choses qui ne tardent pas à être contestées, et démenties par des recherches ultérieures, dans ce qu'elles avaient d'exclusif. Par exemple : les agronomes avaient cru, à peu près généralement, que la fertilité des terres dépend surtout de ce composé complexe, et peu étudié, que l'on appelle vulgairement le terreau, ou l'humus. L'intérêt qu'excitent aujourd'hui, dans le public, les problèmes agricoles, attire sur ce sujet l'attention d'un chimiste justement célèbre, qui n'a, peut-être, jamais cultivé un pouce de terre. L'analyse comparée des végétaux lui apprend qu'ils contiennent tous, en forte proportion, les mêmes éléments qui existent gazeux dans l'atmosphère; éléments qu'ils ont dû s'approprier par l'action de la vie. Il les y voit constamment associés à des substances minérales, constituées sous forme de sels, tant solubles qu'insolubles, lesquels concourent à l'assimilation des gaz, la favorisent, et sont même indispensables pour l'existence du végétal. Maintenant, lorsque ce dernier entre dans l'alimentation des animaux, il y porte les éléments constitutifs des os, du sang, de la chair, non-seulement réunis, mais déjà préparés, et groupés à peu près comme ils doivent l'être pour passer dans l'organisation animale, qui n'a plus qu'à se les répartir et se les rendre propres, par une dernière élaboration. D'après cela, ce que nous avons à faire paraît bien facile. Puisque la source des principes gazeux se présente naturellement indéfinie et inépuisable dans l'atmosphère, il ne nous reste évidemment qu'à fournir aux plantes, en abondance, ces sels minéraux qui les complètent, et qui excitent leur action absorbante. Elles n'ont pas besoin d'autre chose. Avec des sels, vos greniers vont rompre. Voilà tout le mystère de la fertilisation et de l'engraissement révélé. L'humus n'est qu'un accessoire: c'est, à la vérité, un réservoir, d'où la plante pourra extraire un utile approvisionnement d'acide carbonique, si elle est convenablement excitée; mais c'est surtout un espace libre et meuble où elle pourra s'étendre, et mettre en réserve les principes ultérieurement nécessaires à son développement. Tel est, en abrégé, le brillant système, qu'un des expérimentateurs les plus distingués de notre époque, annonce aux cultivateurs. Celui-ci ayant parlé, et recueilli les applaudissements qu'obtient toujours une doctrine savante, qui semble trancher une grande question naturelle, il se présente d'autres chimistes, pareillement habiles, et qui ont vu aussi de plus près les pratiques agricoles. Alors, nous voilà loin de compte! A leurs

yeux, les sels minéraux, et l'humus, ont bien quelque utilité. Mais le principe fertilisant fondamental, universel, c'est l'azote; et la valeur relative des engrais doit se mesurer par les quantités absolues qu'ils en contiennent, combinées, du moins on le suppose, avec leur aptitude à le fournir. Ainsi, une simple table numérique, calculée sur leur dosage en azote, exprimera leurs rapports d'efficacité. C'est donc à se procurer ce principe, et à le fixer, qu'il faut que l'on s'applique; tout dépend de là. Prenez seulement garde d'en trop mettre; vos blés verseraient. Ceci donne à la question une tout autre face. Que faut-il croire? Voilà les esprits suspendus et incertains, entre ces deux graves autorités. Une Académie de département, plus rapprochée que d'autres des idées pratiques, celle de Rouen, propose la discussion comparative des deux doctrines, pour sujet de prix, et reçoit un mémoire qu'elle couronne. L'auteur est encore un habile chimiste, moins célèbre peutêtre que les précédents, mais aussi plus libre, n'étant personnellement engagé dans aucun système. Des analyses précises, consciencieuses, lui font voir que l'une et l'autre opinion est juste, quant à la cause particulière de fertilité qu'elle signale; mais que chacune est inexacte dans ce qu'elle a d'absolu et d'exclusif. De sorte que l'azote, les sels, et l'humus, concourent simultanément à l'efficacité de la production, par des réactions mutuelles extrêmement complexes, qu'il faudra suivre et apprécier soigneusement dans leurs détails, pour comprendre et prévoir l'effet total qui doit en résulter. En somme, la question que l'on croyait résolue, devra être reprise par de nouveaux travaux; et sa solution finale, semble devoir être beaucoup moins simple et moins prochaine qu'on ne l'avait espéré. La conclusion, pour vraie qu'elle paraît être, n'est pas flatteuse; et elle fera probablement moins de bruit, dans le monde scientifique, que n'en ont fait les systèmes exclusifs, dont elle découvre le côté vulnérable. Maintenant, comment s'étonner que l'homme des champs, le véritable cultivateur, ait l'oreille dure à ces préceptes contradictoires, et ne songe pas même à les essayer? En cela, il ne se montre pas inintelligent; il n'est que sage. L'expérience a dû lui apprendre, parfois bien rudement, que la conduite d'une exploitation agricole est essentiellement une entreprise financière, fort complexe et périlleuse. Pour y réussir, que dis-je, pour ne pas y trouver sa ruine, il lui faut, à la pratique de la culture, joindre toutes les qualités d'un commerçant l'activité, l'ordre, l'économie; la connaissance des conditions de débit, favorables ou défavorables, dans les marchés qui sont à sa portée; la prévision des circonstances prochaines, qui feront hausser ou baisser les prix de telle ou telle denrée, pour en

étendre à propos la production, ou la restreindre. Enfin, il faut qu'il sache proportionner prudemment ses spéculations aux habitudes physiques et morales de la population dont il dispose, comme instruments de travail manuel. Il a bien assez de pourvoir à tant de choses, urgentes, certaines, nécessaires, sans se lancer dans des hasards théoriques. La science de cabinet ne connaît pas les exigences auxquelles il est soumis. Par exemple: en principe général, vous lui conseillez la culture en grand des racines, pour varier son assolement, accroître le nombre de ses bestiaux, et augmenter la masse de ses engrais. Tout cela serait, en effet, très-désirable. Mais, en lui supposant assez de capitaux disponibles, pour avancer les frais de main-d'œuvre considérables que ces 'cultures exigent, si la population environnante n'y est pas depuis longtemps accoutumée, et si elle n'a pas le sentiment du devoir qu'impose un engagement contracté, ce qui est aujourd'hui chose commune en France, le voilà gravement compromis. Que les ouvriers manquent une seule fois de venir sarcler ses champs au moment prescrit; qu'ils tardent de quelques jours à effectuer l'arrachage, toute la récolte sera en péril, et pourra être entièrement perdue; non-seulement celle-là, mais la suivante, si la saison se trouve trop avancée pour les labours ou les semailles, qui doivent succéder. Dans de telles circonstances, le cultivateur prudent tâchera de se rendre, le plus possible, indépendant des bras auxiliaires. Il fera des céréales et des prairies artificielles, qui ne demandent que des labours exécutables par des chevaux. Alors le théoricien revient à la charge. Au moins abjurez vos routines. Couvrez votre terre de récoltes perpétuelles; ne la laissez jamais inutile; renoncez à l'improductive jachère. C'est fort bien dit. Mais, sans jachères partielles, à quoi occupera-t-on les attelages, entre les intervalles des récoltes? Et cependant il faudra toujours les nourrir, pour qu'ils soient prêts à les rentrer vite et sans retards, en leur temps. Toutes ces nécessités se tiennent comme les fils d'une toile, qu'il faut craindre de déchirer. Croira-t-on pour cela que je veuille blâmer, ou déconsidérer, les recherches purement scientifiques et spéculatives, qui s'appliquent à l'agriculture? J'en suis fort loin. Je les regarde, au contraire, comme pouvant, comme devant avoir, dans l'avenir, des conséquences très-importantes et très-utiles pour les applications. Mais je pense, et je suis fermement convaincu, que ces bons effets ne sauraient s'obtenir, par la transmission immédiate des vues théoriques, à la masse des agriculteurs. Il y aurait pour eux trop de péril à les suivre. Il faut qu'elles soient préalablement étudiées, essayées, et, si je l'ose dire, élaborées dans un milieu intermédiaire, d'où elles se propagent jusqu'à

eux, par le succès et par l'exemple, sans conseil. C'est ce que peuvent faire, avec autant de fruit que de plaisir, les propriétaires, non pas seulement riches, mais aisés, qui ont la sagesse ou le bonheur de passer une partie de l'année aux champs, dans leurs terres. Au lieu de s'y alanguir dans l'inutilité d'une vie oisive, qu'ils imitent les hautes classes de Ï'Angleterre, de l'Écosse, et le petit nombre d'hommes éclairés qui, chez nous, ont commencé d'entrer dans cette voie. Qu'ils se réservent l'exploitation 'd'une portion restreinte de leur domaine, où ils pourront essayer en petit, à peu de frais, les innovations les plus essentielles que la science propose. Dans ces conditions, une expérience isolée, qui échouera, leur portera peu de préjudice; et elle préviendra, pour d'autres, de graves mécomptes. En cas de succès, ils n'ont pas besoin de se mettre en peine, on se hâtera de les imiter. Le bien se propagera tout de suite, et rien le bien. Si l'on va me que dire que ceci est encore une utopie scientifique, on aura tort. Pendant dix-sept années, j'ai rempli de mon mieux cet office d'expérimentateur communal, au milieu d'une population laborieuse, dans un délicieux petit vallon qui m'appartenait. Je tâchais, pour ma réputation, de ne faire pas trop de méprises, et j'avais d'aussi beaux blés que personne. Les champs s'y parent encore des cultures que j'y ai importées; et, ce qui fut alors pour moi un amusement, me vaut aujourd'hui de bons souvenirs. On prend souvent beaucoup de peine pour obtenir moins 1.

Je saisis avec empressement l'occasion de mentionner ici une excellente institution, qui est propre au département de la Seine-Inférieure, où elle réalise, avec tous les avantages désirables, cette transmission prudente de la théorie à la pratique agricole, dont je viens de signaler la nécessité. Dans la ville de Rouen, chef-lieu de ce département, il se fait à l'école municipale, un cours de chimie industrielle. Le professeur est M. Girardin, chimiste habile, et homme très-pratique. Le conseil général a chargé M. Girardin d'aller faire tous les ans, dans les chefs-lieux de canton, des conférences agricoles, qui sont publiques, et annoncées d'avance par des affiches. Les fermiers et les propriétaires, sont fort assidus à y venir, sachant qu'on ne leur apportera point de vaines théories, exprimées en termes scientifiques; mais qu'on leur présentera des faits certains, des expériences positives, et des méthodes sûres, appropriées à leurs besoins, à leurs intérêts, à leur mode local d'exploitation. M. Girardin leur expose, très clairement et très-simplement, les principes raisonnés qui doivent diriger les opérations les plus importantes de la culture pratique : la disposition des étables, l'alimentation et l'entretien des bestiaux, la fabrication du cidre, la manipulation et l'emploi des engrais. Tout cela est dit, dans leur langage, avec les mots dont ils se servent. Il n'y intervient d'autre science que le bon sens, l'expérience, la discussion critique des pratiques vicieuses; la démonstration des bonnes, par le raisonnement et les résultats. M. Girardin demeure ainsi plusieurs jours dans chaque canton, accueilli avec empressement par les propriétaires, qui aiment sa personne, et font leur profit de ses conseils. Il visite, dans ses tournées, les prin

Mais la vie des champs, même quand on l'a connue de bonne heure et qu'on en comprend le charme, ne convient pas à la jeunesse libre etriche. Son activité ne doit pas trop tôt s'y ensevelir. Alors, avant que l'heure d'en jouir soit venue, elle peut se préparer, fructueusement pour elle et pour les autres, à y remplir, dans toute son étendue, ce rôle de guide éclairé que la destinée lui réserve. L'étude, les lectures, les voyages, lui feront acquérir la connaissance des faits, des théories, des pratiques utiles, qu'elle se trouvera un jour en position de répandre. Même, avant qu'elle arrive à en faire des applications personnelles, les notions qu'elle aura ainsi recueillies, étant présentées aux théoriciens et à l'administration publique, comme propositions ou comme conseils, pourront déjà porter d'honorables fruits. Je sais bien que cette association des idées sérieuses et des faveurs de la fortune est difficile et rare, parmi notre jeunesse dorée. Mais il n'en est que plus à propos de la faire remarquer et d'y applaudir quand on la découvre. L'ouvrage de M. d'Hervey montre qu'elle n'est pas impossible; car l'auteur et le livre, sont précisément dans les conditions que je viens de signaler.

M. d'Hervey s'est déjà fait connaître au monde littéraire par une traduction très-facilement écrite, de l'ouvrage du duc de Rivas, sur la révolte de Naples, qui porta si soudainement, des derniers rangs, au premier de l'échelle sociale, ce singulier personnage appelé Mazaniello,

cipales fermes, y prend ses exemples, et fait même sous les yeux des cultivateurs, des expériences chimiques à leur portée, qui leur montrent avec évidence le bon aménagement, ou la déterioration, de leurs engrais; ce qui met la preuve au bout du précepte. M. Girardin s'aide aussi de figures imprimées, pour rendre sensibles les conditions de bonnes ou de mauvaises constructions, qu'il veut faire comprendre. Ces utiles conférences sont, quelque peu, oserais-je dire trop peu rétribuées, par une allocation spéciale que le conseil général a votée, et qui est indépendante du traitement affecté au cours de la ville. Enfin, M. Girardin jouit d'un beau laboratoire, entretenu aussi aux frais de la ville, pour effectuer les recherches d'application que son habileté lui suggère, ou qui lui sont demandées dans l'intérêt public, soit par le conseil municipal, soit par le conseil général. Voilà certes une administration qui entend judicieusement ses intérêts; et il n'y aurait qu'à souhaiter de voir se multiplier des institutions pareilles, si leur réussite n'était attachée à une condition, dont l'accomplissement est très-difficile; c'est de trouver des savants qui réunissent les qualités de M. Girardin. Or, sans cela il n'y faudrait pas penser. Car, dans ces matières, la fausse science est pire que l'ignorance; et l'on paye toujours trop cher, le mal qu'elle fait. Ici, le profit est tout clair. Depuis deux ans que les conférences de M. Girardin sont établies, plus de cinq cents cultivateurs ont rectifié leurs mauvaises pratiques d'aménagement des fumiers. Chaque localité réclame, longtemps d'avance, son tour de visite; et plusieurs sont déjà en instance, pour l'année prochaine. Le conseil général doit trouver l'affaire bonne. I place là son argent, à un fort denier.

« VorigeDoorgaan »