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ce bras de mer fut creusé par les Tyriens eux-mêmes, ils eurent seulement besoin de lui donner une largeur suffisante pour que les traits lancés par les machines ennemies ne pussent atteindre les remparts.

Ce qui confirme mon hypothèse relativement au détroit comblé par Alexandre, ce qui semble indiquer que ce détroit n'offrait pas une large coupure pratiquée par la nature, mais un ouvrage entrepris à la hâte, dans l'intérêt de la défense de la place, c'est que, suivant l'assertion des écrivains d'Alexandre, ce canal, du côté de la terre ferme, n'avait presque aucune profondeur, puisque l'on y enfonçait sans peine des pièces de bois, et que, du côté de l'île, le profondeur ne dépassait pas trois brasses. Et, à cette occasion, je relèverai une assertion émise par M. de Bertou, et qui ne paraît pas complétement exacte. Cet estimable voyageur, voulant défendre son hypothèse relativement au canal, qui, suivant lui, communiquait du port septentrional de Tyr au port méridional, cite un passage extrait d'un périple manuscrit, intitulé Liber riverarium, et dans lequel on lit, en parlant de la ville de Tyr: «Quæ sita est in cor «< maris fere hinc inde in eurum a mare præcisa. » M. de Bertou commente ainsi ce passage: «Bien que l'expression fere puisse impliquer que le <«< canal ne traversait pas l'île dans toute sa largeur, il paraît du moins probable que cela avait eu lieu à une époque précédente, alors que «l'on se servait de ces bassins. » Mais je ne saurais admettre cette interprétation, et je ne crois nullement qu'il s'agisse ici du canal qui traversait l'île. Si je ne me trompe, le passage doit être rendu ainsi : « Cette « ville est située au milieu de la mer, qui, du côté de l'est, la sépare « presque entièrement de la terre ferme.»

J'ai dit plus haut que, suivant mon opinion, le palais des rois de Tyr se trouvait dans la partie orientale de cette ville, et peut-être sur le terrain qui avait été enlevé à la mer. J'ai dit que l'histoire de la fuite d'Elisa ou Didon appuyait cette hypothèse; car, ainsi qu'on le voit, cette princesse fit dire à Pygmalion, son frère, qu'elle irait s'établir auprès de lui, afin de fuir une maison qui lui rappelait la mort cruelle de son mari. Ce récit s'explique parfaitement, si l'on se représente que le mari de Didon, comme prêtre d'Hercule ou Melkarth, habitait dans le voisinage du temple de ce dieu, c'est-à-dire à l'extrémité occidentale de l'île de Tyr. En fixant son séjour à l'extrémité opposée, elle devait se trouver à une assez grande distance de sa demeure primitive. Et le récit de la prise de Tyr par Alexandre vient encore confirmer cette assertion. Ce prince, ayant escaladé le rempart qui avoisinait le port égyptien, se dirigea, en suivant les créneaux des murs, vers le palais, attendu que de là il pouvait facilement descendre dans la ville. En effet,

comme le palais, suivant toute apparence, servait en même temps de citadelle, on conçoit qu'Alexandre avait un intérêt majeur à occuper ce poste important. Les Tyriens, voyant leurs remparts au pouvoir de l'ennemi, se réunirent dans le lieu nommé Agenorium, et tentèrent de là un dernier et malheureux effort contre le vainqueur. Comme, suivant les traditions des Grecs, Agénor avait été le fondateur de Tyr, on peut croire que; dans ce passage, les mots palais et Agenorium désignent un même édifice, la citadelle de la ville; ou bien l'Agenorium devait être dans le voisinage du palais, puisqu'il s'agissait de repousser Alexandre qui était ou allait être en possession du boulevard de Tyr.

M. de Bertou et, d'après lui, M. Movers ont supposé que l'île de Tyr avait perdu une partie de son étendue. Suivant eux, cette catastrophe fut l'ouvrage des tremblements de terre. Il est certain, comme je l'ai dit plus haut, que la Phénicie et la Syrie ont été souvent ravagées par suite de ces terribles commotions. Les auteurs anciens remarquent, d'une manière expresse, que la ville de Tyr eut fort à souffrir de ces tremblements de terre, et qu'elle en fut presque renversée. Et, en effet, on conçoit parfaitement que cette ville, resserrée dans un espace très-circonscrit, avec ses rues étroites et ses maisons excessivement hautes, dut être exposée plus que d'autres aux ravages de ces horribles fléaux; mais doit-on en conclure que des tremblements de terre aient englouti dans les eaux de la mer une partie de l'île de Tyr? c'est ce qui n'est attesté par aucun auteur de l'antiquité; et la chose ne me paraît nullement probable; car les historiens n'auraient pas manqué de rapporter un fait aussi extraordinaire. Et, à cette occasion, je ferai remarquer une faute commise par M. Movers. Il atteste que, suivant le témoignage de Grégoire Bar-Hebræus, Tyr fut détruite sous le règne de Cambyse; il en conclut que cette ruine fut causée par un tremblement de terre. Mais, d'abord, je demanderai si l'on doit aller chercher dans les écrits d'un historien du XII° siècle des faits qui concernent le règne de Cambyse. En second lieu, je dois dire que le texte de Bar-Hebræus n'a pas été bien compris par M. Movers. L'écrivain syriaque ne parle nullement d'un tremblement de terre; il raconte que, sous le règne de Cambyse, les Scythes, c'est-à-dire les Turcs, firent une invasion dans la Syrie, et détruisirent la ville de Tyr. A coup sûr, le fait est inexact; l'invasion des Scythes remonte plus haut que le règne de Cambyse. Mais bien certainement il n'est pas question, dans ce passage, de ravages occasionnés par un tremblement de terre. M. Movers a pensé que, dans le m siècle de notre ère, une commotion du même genre avait englouti sous les eaux de la mer les terres avec lesquelles on avait comblé

le canal qui séparait l'île de Tyr d'avec celle sur laquelle était placé le temple de Melkarth. Suivant lui, c'est à raison de ce phénomène que l'on voit reparaître, sur les médailles de Tyr, les deux îles appelées par Nonnus Αμβροσίαι πέτραι; mais le fait me parait completement invraisemblable. Aucun écrivain n'atteste cet empiétement de la mer; et, si des médailles présentent ces deux rochers, c'est que ceux qui avaient fait frapper ces pièces avaient eu à cœur de rappeler une tradition qui se rapportait aux antiquités de cette ville, dont un poëte grec, Nonnus, s'était plu à conserver le souvenir. J'ai montré, je crois, que l'île où existait le temple de Melkarth n'avait point été engloutie sous les flots de la mer, mais qu'elle formait encore la partie occidentale de la presqu'île qui renferme les tristes débris de l'antique ville de Tyr.

Quant au nom de Sara, ou Sarra, d'où s'est formé l'adjectif Sarranus, et l'expression de Juvénal Sarranum ostrum, ce mot est-il une altération de celui de 1%, nom de la ville de Tyr? Faut-il, à l'exemple de M. de Bertou, appliquer cette dénomination à la ville de Palætyr? C'est ce que je ne saurais admettre. Si je ne me trompe, le mot Sara est emprunté au périple de Scylax, où on lit, dans la plupart des éditions, Σάρα, εἴτα ἄλλη πόλις : M. Gail fils a admis Σάραπια : Sans doute, dans ce passage, il est question, non pas de la ville de Palætyr, mais de celle de Sarapta. Toutefois la première leçon paraît la plus ancienne. Et des écrivains postérieurs auront supposé un peu légèrement que ce nom, qui offrait l'abréviation de celui de Sarapta, se rapportait à Tyr, capitale de la Phénicie.

QUATREMÈRE.

HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE NAPLES, par Charles d'Anjou, frère de saint Louis, par le comte Alexis de Saint-Priest, Paris, Amyot, sans date (1848), 4 vol. in-8°.

TROISIÈME ET DERNIER ARTICLE 1.

L'échafaud de Naples avait achevé la victoire d'Alba; le vaincu avait été décapité et ne laissait pas d'héritier; le vainqueur vit le champ libre ouvert à sa vengeance, et nul compétiteur n'apparaît qui puisse lui faire craindre à son tour un vengeur et imposer du moins la prudence à sa colère. Le gouvernement de Charles d'Anjou, après la défaite de

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Conradin, est assurément la part la moins glorieuse mais la plus instructive de ce règne tragique, c'est celle qu'il faut étudier pour en comprendre l'esprit, pour en recueillir l'enseignement et en apprécier la catastrophe.

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A peine Charles d'Anjou sent la couronne raffermie sur sa tête qu'il met les bourreaux à l'œuvre; c'est peu que la joie du triomphe, il lui faut la joie des supplices. Nous ne rechercherons point pour l'accuser des témoignages ennemis; l'impartialité consciencieuse de son historien, qu'un sentiment de patriotisme ferait volontiers incliner vers l'indulgence, rend à la vérité un assez éclatant témoignage : « Le fiel qui dévorait son <«< cœur, même au milieu du triomphe, dit M. de Saint-Priest, le jeta « dans des actions toutes également sévères; les unes nécessaires et justes, « les autres odieuses et inutiles. Il purgea les grands chemins des brigands dont ils étaient infestés, mais en même temps il fit une appli«cation fréquente de l'atroce pénalité qu'il avait trouvée établie dans ses États, et dont les gouvernements précédents avaient fait souvent usage « dans le cas de haute trahison. Lorsque le crime n'emportait pas la pri<«<vation de la vie, on coupait un pied et on arrachait un œil au coupable! Charles d'Anjou avait condamné à ce supplice cent trente <«<barons convaincus de félonie; puis, se ravisant, non par humanité, <«< mais parce que cela était de meilleur conseil (consilio saniori), pour ne << pas étaler un spectacle trop horrible, et surtout pour en finir d'un coup « avec des prisonniers dont il ne savait que faire, il révoqua ses premiers « ordres. Du château de Genzano, où ces malheureux étaient renfermés, <«il ordonna qu'on les tranférât dans une baraque en bois, et les y fit << tous brûler vifs. Il commanda aussi l'exécution de Gualvano Lancia et « de Galeotto son fils, en ayant soin de faire périr le fils le premier, pour «< rendre plus poignante la douleur du père 1. »

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Ces cruautés n'étaient que le prélude de celles dont Charles d'Anjou menaçait son peuple, et qu'il s'était empressé d'annoncer aux villes dévouées de Toscane ct de Lombardie. M. de Saint-Priest cite la lettre écrite de Rome, par ce prince, à la commune de Lucques, et qui finit par ces mots : «D'ici à quelques jours, après avoir réglé les affaires, <«<nous retournerons dans notre royaume, pour apporter à tous les << traîtres l'extermination et la mort 2. >>

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'Histoire de la conquête de Naples, t. III, p. 145. — Ex inde, compositis per dies aliquot urbis negotiis, ad regnum nostrum protinus prodituri ad cunctorum proditorum exterminium et ruinam.» Cette lettre, restée jusqu'à présent inédite, est au nombre des pièces curieuses que M. de Saint-Priest a publiées dans son appendice, t. III, p. 387; il en doit la communication au commandeur Visconti,

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Était-ce donc le péril qui rendait Charles impitoyable? Était-ce une fortune douteuse qu'il fallait, à tout prix, garantir d'un funeste retour? et ce trône, relevé par la victoire, avait-il besoin d'être protégé par le meurtre et la terreur? Non; «Charles d'Anjou était monté au faîte de « la grandeur et de la puissance............ rien ne lui résistait; il se voyait l'ar«<bitre et, peut s'en faut, le maître de l'Italie..... La révolte attardée s'a« gitait bien encore dans quelque coin des Apennins ou des Abruzzes; la «Sicile grondait toujours; des capitaines d'aventure s'abritaient dans des <«< châteaux, dans des tours, au sommet de quelque roche aérienne; ils occupaient çà et là des positions stratégiques qui n'étaient pas sans im«portance, mais la cause gibeline était perdue; elle n'avait plus d'asile « même dans la conscience de ses défenseurs..... Tout avait réussi à <«<l'heureux conquérant. Les prospérités domestiques s'accumulaient au<< tour de lui avec les succès politiques et militaires 1. » Et l'historien, en traçant cette peinture de la brillante situation de Charles d'Anjou, nous montre la nature se mettant de son parti, et le débarrassant des ennemis même dont il n'avait rien à craindre, de ceux que, par une hardiesse de style, M. de Saint-Priest nomme « ses ennemis inutiles. »

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Ainsi cette triste nécessité du mal qu'invoquent la politique des tyrans, ou l'inhabileté des rois faibles luttant contre la fortune contraire, Charles ne l'avait pas pour excuse; et pourtant sa cruauté ne fut adoucie ni par le bonheur intime de ses constantes prospérités, ni par la sécurité qu'elles devaient lui donner. Charles d'Anjou n'avait pas besoin de prétextes pour être cruel; la cruauté était dans sa nature, et nous avons vu que notre historien, en distinguant deux époques dans le règne de ce prince, et en imputant à la révolte de Conradin les barbaries qui souillèrent la seconde, a reconnu que, bien avant cette provocation, les violences du gouvernement de Charles d'Anjou avaient excité contre lui une haine universelle, et que son mépris brutal pour ses sujets explique sa tyrannie 2.

Charles d'Anjou, qui éprouvait contre la Sicile une aversion instinctive, qui, dès les premiers moments de sa domination, l'avait gouvernée en maître impitoyable, qui s'était cru magnanime parce qu'il n'était que dur et sévère, devait être un tyran féroce quand il eut à punir des rebelles qu'il nommait des ingrats 3. Ses vengeances furent terribles, et qui l'a trouvée à Rome, à la bibliothèque Angelica, dans le registre de l'abbé Adenulphe, bénédictin, attaché à la cause et à la personne de Charles d'Anjou. - 'Histoire de la conquête de Naples, t. III, p. 185. — Ibid., t. II, p. 249 et 263. Voyez aussi notre premier article, cahier de février 1849, p. 95 et 99. Ibid., t. III,

p. 201.

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