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Du moment où la justice de nos réclamations était ainsi reconnue, nous devions espérer qu'un jour ou l'autre il nous serait donné de réparer les désastres causés dans nos collections par Libri et par les pourvoyeurs de Barrois. Cette occasion, trop longtemps cherchée, s'est enfin présentée, et le bienveillant appui de votre prédécesseur nous a mis à même d'en profiter.

Un libraire honorablement connu dans toute l'Europe, M. Trübner, vint à Paris, le 30 septembre 1887, m'entretenir du projet qu'il avait conçu de rendre à la France les manuscrits dont la perte nous était si sensible, et en même temps de placer dans une bibliothèque publique d'Allemagne un volume jadis conservé à Heidelberg, qui avait été incorporé en 1656 dans la bibliothèque du roi, avec les collections des frères Dupuy (le recueil de poésies allemandes, formé vers la fin du XIIIe siècle par les soins de Rudiger Manessé, dont l'histoire a été racontée en détail par F.-H. von der Hagen). Contre l'abandon de ce volume et le payement d'une somme d'argent dont le montant restait à fixer, M. Trübner se faisait fort de nous ménager la restitution des 166 manuscrits réclamés par nous dans la bibliothèque du comte d'Ashburnham.

La cession d'un volume tel que le recueil de Manessé constituait évidemment une dérogation aux règlements et aux usages de la Bibliothèque nationale. Plusieurs précédents pouvaient cependant la justifier.

En 1878, l'abandon au Musée britannique d'une collection de copies faites et reliées pour Colbert, dont nous avions, je me hâte de le dire, un autre exemplaire, nous a permis de récupérer les feuillets ou les cahiers enlevés en 1707 par Jean Aymon dans quatre de nos plus précieux manuscrits, et notamment dans la célèbre Bible de Charles le Chauve.

A la même époque, nous pûmes obtenir de la bibliothèque royale de Copenhague un curieux manuscrit à peintures, sorti du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, en échange d'un fragment de Saxo Grammaticus trouvé dans une reliure et dont le fac-similé a été publié en 1879 par M. Chr. Bruun.

Enfin, tout récemment, nous avons été autorisés à céder à la bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg un fragment de manuscrit slave pour rentrer en possession d'un feuillet qui avait été volé en 1791 dans un de nos plus fameux manuscrits latins, celui qui est connu sous le titre de Psautier de saint Germain.

Deux considérations pouvaient d'ailleurs atténuer les regrets que devait nous inspirer le départ du volume demandé comme une partie importante de la rançon de nos 166 manuscrits exilés en Angleterre depuis une quarantaine d'années. Il offre infiniment moins d'intérêt pour la France que pour l'Allemagne, et nous devons à la munificence du grand-duc de Bade une excellente reproduction photographique des 856 pages dont il se compose, reproduction qui, pour les travaux philologiques et littéraires, équivaut à l'original.

Je ne repoussai donc pas les ouvertures de M. Trübner, et, après quelques jours de pourparlers et de réflexions, je me décidai à solliciter de votre prédécesseur, M. Spuller, l'autorisation de céder le volume de Manessé et de payer une somme de 150,000 fr. pour obtenir la remise immédiate de nos 166 manuscrits des fonds Libri et Barrois. Cette autorisation me fut accordée.

Restait à trouver la somme offerte à M. Trübner, somme très inférieure à celle que ce libraire avait primitivement demandée, mais encore bien supérieure aux ressources ordinaires dont nous pouvons disposer. Assurément, la Chambre des députés et le Sénat, qui ont si souvent manifesté leurs sympathies pour les grands établissements scientifiques, n'auraient pas refusé le crédit extraordinaire que votre prédécesseur était disposé à demander pour effacer la trace des mutilations et des spoliations perpétrées dans nos bibliothèques il y a bientôt un demi-siècle.

Mais les circonstances pressaient, et un ajournement pouvait compromettre le succès de la négociation. C'est alors que l'idée me vint d'appliquer à la rançon de nos manuscrits le capital d'une rente de 4,000 fr. en 3 p. 100, provenant d'un legs fait sans aucune condition à la Bibliothèque nationale par feu le duc d'Otrante. Un décret rendu le 16 novembre 1887, sur avis du Conseil d'État, autorisa l'aliénation de cette rente, sous la condition d'en affecter le produit au rachat des manuscrits Libri et Barrois. Jamais plus noble emploi n'aurait pu être fait de la fondation du duc d'Otrante, dont le nom restera ainsi associé à l'un des plus notables événements des annales de la Bibliothèque nationale au XIXe siècle.

Ce fut seulement le 7 février dernier que put être signé l'acte par lequel, conformément au décret du 16 novembre 1887 et à l'arrêté du 17 du même mois, la Bibliothèque nationale devait,

contre remise de 166 manuscrits des fonds Libri et Barrois, livrer à M. Trübner le volume de Manessé destiné à une bibliothèque publique d'Allemagne et lui payer une somme de 150,000 fr., savoir 110,000 fr. au moment de la remise des manuscrits, 20,000 fr. en avril 1888 et 20,000 fr. en avril 1889. Ces deux dernières sommes seront prises sur les ressources ordinaires de la Bibliothèque.

Pour exécuter ces conventions, je me suis rendu à Londres, assisté de M. Julien Havet, bibliothécaire au département des imprimés, et de M. Henri Moranvillé, sous-bibliothécaire au département des manuscrits. Aujourd'hui même nous y avons reconnu et reçu des mains de M. Trübner les volumes ou portefeuilles formant les 166 articles du fonds Libri et du fonds Barrois, dont la liste avait été arrêtée par M. Paul Meyer, par M. Julien Havet et par moi le 9 mars 1883, communiquée le même jour à l'administration du Musée britannique et insérée dans un document dont l'impression fut ordonnée le 27 juillet suivant par la Chambre des communes1.

Nous voici donc rentrés en possession de ces manuscrits, dont la perte a fait notre désespoir pendant tant d'années. Nous allons ainsi pouvoir nous consoler d'un désastre littéraire et national, que M. Jules Ferry, dans son discours au congrès des sociétés savantes, le 31 mars 1883, avait pris solennellement l'engagement de réparer.

Nous aurons maintenant à reconstituer, autant que possible, dans leur état primitif les manuscrits dont les morceaux, plus ou moins mutilés, ont servi à former des plaquettes dans la bibliothèque de Barrois. Nous aurons aussi à nous concerter avec différents établissements sur les conditions auxquelles la Bibliothèque nationale pourra, avec votre autorisation, rétrocéder les fragments du fonds Libri qui ont jadis fait partie des manuscrits appartenant à divers dépôts publics de Paris ou des départements. Ces différentes mesures feront l'objet d'un rapport ultérieur,

1. Ashburnham manuscripts. Return to an order of the honourable the House of Commons, dated 27 july 1883; for copy of papers relating to the purchase of the Stowe Collection by Her Majesty's government. London, [1883]. In-fol. de 72 p. Dans ce document, les 166 manuscrits réclamés par nous sont comptés pour 242 volumes. La collection, telle qu'elle nous a été livrée, consiste en 255 volumes, portefeuilles ou liasses.

dans lequel j'aurai l'honneur, monsieur le ministre, de vous rendre compte de chacun des 200 volumes ou portefeuilles qui, grâce à votre administration, vont être prochainement remis à la disposition du public pour le plus grand profit des études de philologie, d'histoire, de science, d'art et de littérature.

Daignez agréer, monsieur le ministre, l'assurance de mon très respectueux dévouement.

L'administrateur général de la

Bibliothèque nationale,

Léopold DELISLE.

LES ARCHIVES

D'ARAGON ET DE NAVARRE1

L'École des hautes études, ayant bien voulu disposer en ma faveur d'une des bourses du Conseil municipal de Paris, me chargea l'année dernière, avec l'approbation de M. le ministre de l'instruction publique, d'une mission ayant pour but de rechercher dans les archives du nord de l'Espagne les documents pouvant intéresser la France, au XIII et au xiv° siècle. Mon intention était de continuer dans les archives de la Chambre des comptes de Navarre les recherches si fructueuses de mon confrère et ami, M. Brutails, envoyé en 1883 à Pampelune avec une bourse de l'École. Ces recherches devaient s'appliquer surtout à l'époque de Charles II, dit le Mauvais, roi de Navarre, et devaient être poursuivies à Barcelone dans la belle série des Registres de Chancellerie de la Couronne d'Aragon. Ces dernières archives devaient malheureusement être fermées une partie de l'année, à cause d'un récolement général des documents, aussi dus-je modifier mon projet primitif et c'est à Barcelone que je me rendis tout d'abord.

I.

ARCHIVES DE LA COURONNE D'ARAGON.

J'arrivai à Barcelone au commencement du mois de mars; les Archives de la Couronne d'Aragon ayant fermé au moment de la semaine sainte, j'ai pu y travailler pendant quelques semaines seulement. C'était bien peu de temps, quand on songe à l'impor

1. Rapport présenté en 1887 au Conseil de l'École des hautes études (section des sciences historiques et philologiques).

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