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la diversité des impressions qu'elles ont inspirées aux hommes dès l'origine. En même temps que le désir d'échapper aux tyrannies de la nature sauvage les portait à déclarer aux arbres une véritable guerre d'extermination par le fer et même par le feu, un sentiment de vénération ou plutôt de terreur superstitieuse les amenait à considérer les forêts comme la demeure de puissances cachées et redoutables. On peut dire que tout un culte est né de ce sentiment. Depuis l'autel qu'Abraham construisit à Jéhovah dans le bocage sacré de Mamré jusqu'à l'adoration qu'avaient pour les arbres les Persans, les Hindous et plus tard les peuplades européennes, Pélasges, Grecs, Germains, Gaulois, depuis le ficus religiosa des banians jusqu'au chêne des druides, partout se retrouve la même dendrolâtrie, si profondément ancrée dans l'esprit des peuples qu'elle fut un des plus grands obstacles qu'eut à vaincre le christianisme naissant. Pendant longtemps, en certains cantons de l'Allemagne, ce n'était qu'après s'être agenouillé devant l'arbre qu'il allait abattre que le bûcheron se décidait à lui porter le premier coup de hache, et il n'y a qu'un petit nombre d'années qu'en France plusieurs arbres étaient encore entourés d'une vénération presque religieuse, entre autres ce vieux chêne des environs d'Angers qui était l'objet d'un véritable culte et dans lequel chaque ouvrier de passage était tenu d'enfoncer un clou, en sorte que cet arbre en avait l'écorce littéralement couverte jusqu'à une hauteur d'environ dix pieds.

L'histoire des forêts de la Gaule, bien qu'intéressante dans son ensemble, n'en présente pas moins une sorte de monotonie. Tout se résume à constater qu'au temps de la conquête romaine la Gaule était presque entièrement recouverte de forêts immenses, dont celles qui restent aujourd'hui, même les plus considérables, ne sont que d'insignifians débris. Sans doute d'importans défrichemens avaient été faits du temps. de César, et l'on trouvait déjà de vastes espaces à demi boisés où des habitations entourées de champs multipliaient les clairières; mais à côté de ces terrains découverts s'étendaient des forêts qui devaient ressembler sur certains points aux forêts vierges du Nouveau-Monde. C'est l'histoire de chacune de ces grandes agglomérations végétales que raconte M. Alfred Maury, armé des documens les plus authentiques. C'est d'abord l'immense forêt des Ardennes qu'il nous présente. Elle s'étendait des bords du Rhin, à travers le pays des Trévires jusque chez les Nerviens, sur une longueur de plus de 500 milles. Sans cesse démembrée, elle n'en demeura pas moins pendant des siècles la « sombre et formidable Ardenne, » que l'imagination épouvantée de nos pères peuplait de toute sorte de monstres fantastiques. Les forêts du Jura, dont la célèbre forêt de la Serre n'était qu'un fragment, se rattachaient par-delà les pays des Chattuares et des Curions à celle de la Thuringe, si importante et si belle qu'on l'appelle encore aujourd'hui en Allemagne « la forêt » sans autre désignation, c'est-à-dire la forêt par excellence. Non loin de là, car elles

se touchaient presque toutes, s'étendait, plus vaste encore peut-être, la forêt Hercynienne, le pendant de l'Ardenne, qui inspirait aux Romains une véritable terreur. Dans l'lle-de-France, des déboisemens successifs dégagèrent d'assez bonne heure les environs de l'antique Lutèce. Ces trouées toutefois n'étaient guère que de larges routes tout le long desquelles s'avançaient jusqu'aux portes de Paris les restes démembrés des forêts primitives. On les y retrouve jusqu'au XIIe siècle. Au nord s'étendaient les forêts de Sarris et de Saint-Denis, qui d'Asnières allaient jusqu'à Argenteuil et Pontoise, recouvraient la plaine de Gennevilliers et tournaient au nord-ouest jusqu'à Neuilly. L'espace qu'on appelle aujourd'hui le Paris de la rive droite était donc à la fois entouré par une large ceinture d'arbres et par un long marais circulaire, qui de la rue SaintAntoine allait jusqu'à Chaillot. Un démembrement de la forêt de Sarris, qui n'en était séparé que par la Seine, était la forêt de Rouvray, appelée plus tard bois de Saint-Cloud, et sur l'emplacement de laquelle s'étendent le village de Boulogne-sur-Seine et le bois de Boulogne actuel. La forêt de Saint-Germain était autrefois la forêt de Laye ou Leie, qui comprenait les bois de Marly, couvrait Versailles, Palaiseau et allait jusqu'à Montlhéry. Une bande forestière s'étendait au sud-est. Il en reste trois fragmens, Vincennes, Bondy et Livry. Une autre vaste forêt enfin, celle d'Iveline, se rattachant à celle-ci, couvrait tout le territoire méridional, absorbait celle de Rambouillet, d'Orléans, de Montargis et s'étendait jusqu'à celle de Fontainebleau, tandis que toutes les régions septentrionales étaient couvertes par l'immense forêt des Sylvanectes, comprenant celles de Chantilly, Senlis, Compiègne, Laigue, Coucy et Villers-Cotterets. Ainsi sont passées en revue toutes les anciennes grandes forêts, de la Normandie aux Alpes et du Rhin aux Pyrénées. On comprend quelle influence devaient exercer sur l'économie générale de la France d'aussi vastes surfaces boisées. Malgré les défrichemens progressifs, la Gaule demeura pendant bien des siècles une contrée essentiellement forestière dont le climat rude était redouté des Romains. Atrox cœlum, disait Florus en parlant aussi bien de la Gaule que de la Germanie. Il est sans doute inutile d'ajouter que les bêtes fauves abondaient sur une terre de cette nature. L'urus et le bison hantaient encore la forêt Hercynienne au temps de César. Le lynx épouvantait les chasseurs par sa férocité, l'ours de nos montagnes abondait en bien des points d'où il a pour jamais disparu, et des bandes innombrables de loups venaient jusque dans les villes dévorer les cadavres que multipliaient en tous lieux les discordes civiles, la misère, les maladies épidémiques et la barbarie des seigneurs. Bien d'autres proies encore s'offraient aux chasseurs d'autrefois. Des troupes de porcs sauvages et de sangliers erraient dans les forêts de chênes, les renards n'étaient guère moins nombreux que les loups, et les grands cerfs, les rennes, l'élan, continuaient à vivre dans les lieux où avaient vécu du temps des premiers Celtes les ruminans dont les débris abondent

dans les dépôts quaternaires. Ces divers animaux, auxquels il faut joindre tout le menu gibier que les seigneurs tenaient à conserver pour leur plaisir et qu'ils multipliaient même au moyen de leur droit de garenne, causaient à l'agriculture d'énormes préjudices. Le mal devint si grand que les rois durent s'en mêler, souvent en vain, et que de nombreux édits se succédèrent, depuis le roi Jean jusqu'aux réclamations énergiques du tiers-état, qui en 1789 appelait la réserve du droit de chasse « le plus redoutable fléau de l'agriculture. >>

Quant au déboisement des forêts, il ne fut pas effectué dans toute la France d'une manière uniforme. Les mœurs des populations, la différence des zones climatériques et plus tard la diversité des lois répressives rendirent fort inégale la dévastation des terrains boisés. Le mot de dévastation n'est pas trop fort. Entrepris avec mesure vers le vie siècle par les moines agriculteurs, le défrichement s'accrut rapidement à la fin du moyen âge et tourna au vandalisme dès le xve siècle. La multiplication des «< usagers,» auxquels les seigneurs, toujours à court d'argent, vendaient l'autorisation d'exploiter leurs forêts, engendra d'innombrables abus. Le ravinement des pentes, les éboulemens, la multiplication des eaux stagnantes, le débordement des rivières et la ruine de l'agriculture, tels furent les résultats immédiats d'un déboisement rapide et excessif; aussi fallut-il au xvne siècle que des mesures plus efficaces vinssent suppléer aux édits insuffisans de François Ier et d'Henri IV. Ces édits avaient été depuis longtemps précédés par des lois protectrices, et l'étude de cette législation forestière, si souvent modifiée dans sa forme et dans ses applications, n'est pas la partie la moins intéressante de l'ouvrage de M. Alfred Maury. Dès le ve siècle, les Germains, qui venaient d'un pays plus boisé encore que la France et qui avaient au plus haut degré le respect des arbres, sanctionnèrent par des codes rédigés sous l'influence de la civilisation romaine les usages qu'ils avaient apportés de leur patrie. La loi salique, garantissant en même temps les animaux domestiques et les forêts où ceux-ci trouvaient leur nourriture, contenait de singulières dispositions pénales. Les peines étaient plus sévères en matière de délits forestiers et agricoles que pour les attentats contre les individus (1). La loi des Lombards condamnait celui qui avait abattu un arbre de réserve à avoir tout au moins le poing coupé, sinon à perdre la vie.

Bien que les forêts communes se rencontrassent surtout chez les populations germaniques, qui leur conservèrent longtemps le caractère indivis, c'est à des princes d'origine teutonique qu'est due l'introduction du droit forestier qui restreignait la communauté des forêts. Certaines

(1) Tandis qu'on payait quinze sous pour avoir coupé ou brûlé un arbre, ou volé un porc de deux ans, et plus cher même quand il s'agissait d'un verrat, il n'en coûtait que trente sous à celui qui avait frappé un homme à la tête assez violemment « pour en faire sortir trois os. >>

étendues boisées furent destinées à l'usage spécial du roi et de ses officiers. Ces cantons, appelés foresta, furent peuplés, en vue de la chasse, de toute sorte de bêtes fauves qu'il était défendu de détruire. Ces domaines finirent par tomber aux mains des seigneurs et des principaux usagers; ce fut là l'origine de tous les abus. Les concessions de forêts accordées par les rois à des particuliers furent dans le principe très peu nombreuses, elles ne furent d'abord obtenues que par les églises et les monastères; mais les priviléges se multiplièrent et avec eux les démembremens des bois. Les droits d'usage concédés par les seigneurs dégénérèrent si bien que Philippe de Valois, par sa première ordonnance de 1348, déclara qu'il n'en serait plus accordé; mais l'on comprend combien devait être difficile l'application d'une loi qui, vu le morcellement de la France, ne pouvait être générale. Chaque seigneur établit dans ses propriétés une police spéciale de droits d'usage, et les attributions des premiers maîtres forestiers indiquées par les ordonnances de Philippe-Auguste ne furent nettement déterminées que beaucoup plus tard. Ces maîtres forestiers furent du reste les premiers à abuser des droits que leur conférait leur charge. Les usagers confondaient sciemment le bois mort, qu'on leur permettait de prendre, avec le bois vert, qui ne leur appartenait pas; or ces usagers, gros et petits, se comptaient par milliers pour chaque forêt. A ces dévastateurs plus ou moins autorisés se joignaient les paysans, qui, pour se venger des violences des nobles, s'en prenaient aux forêts, source éternelle de vexations fiscales. Une guerre sourde et continue fut déclarée à toute végétation forestière. C'est alors que les règlemens faits aux xive et xve siècles furent repris, étendus et promulgués de nouveau par François Ier, de 1518 à 1543. Le bois mort fut nettement défini, les coupes de bois furent défendues même aux évêques et aux archevêques, et c'est de ce roi que date véritablement l'établissement d'une juridiction générale. Toutes ces mesures demeurèrent cependant encore insuffisantes. Ce fut par l'ordonnance de 1669 que Colbert reconstitua sur des bases meilleures la propriété forestière de la France. Pendant huit ans, vingt et un commissaires parcoururent toutes forêts du royaume, et la réforme administrative avait été annoncée d's 1667 par la réorganisation complète du personnel des eaux et forêts. Le mal toutefois ne fut qu'enrayé. Les abus auxquels la nouvelle législation promettait de mettre un terme étaient si anciens que les usurpateurs se prétendirent injustement dépouillés; des résistances passionnées se manifestèrent jusqu'au sein des parlemens. La révolution plus tard augmenta le désordre. Les paysans et surtout les montagnards profitèrent de l'anarchie pour détruire inconsidérément les bois domaniaux en haine de leurs anciens maîtres, et la France aujourd'hui encore attend le reboisement de son sol, trop longtemps dévasté.

ED. GRIMARD.

L. BULOZ.

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