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abstention. Tout auteur dramatique redoute les oppositions que soulèveraient chez une partie quelconque des spectateurs des susceptibilités étrangères à l'art lui-même. Aussi, quand on ne peut absolument se dispenser d'ouvrir momentanément la porte à l'élément religieux, se borne-t-on à en saisir les données les plus générales, celles qui font partie de la confession de foi de tout le monde. Il est évident que sous ce rapport le théâtre contemporain ne donne qu'une image incomplète de la société du XIXe siècle.

Cet état de choses changera-t-il un jour? Peut-être, car nous marchons, non vers un retour à la confusion, mais vers la conciliation des contraires dans une synthèse supérieure. Ce sera dans tous les cas l'œuvre du temps, d'un temps très long. Qu'on ne s'avise pas de vouloir hâter ce changement par une réforme artificielle que décréteraient d'impatiens amis du progrès. Rien ne résiste plus opiniâtrément que le théâtre à une réforme venant du dehors. Il est moins maître de lui-même que le livre, qui ne craint pas la contradiction et souvent la provoque. Le théâtre ne se modifie que dans la mesure où la société se transforme elle-même. Pour que l'élément religieux reprenne au théâtre, non pas sans doute son ancienne puissance d'absorption, mais une place proportionnée à celle qu'il tient dans la vie réelle, il faut que la tolérance règne autre part que dans les articles de la constitution, que l'opinion ne voie plus dans la religion un à parte dans l'existence individuelle et sociale, mais conçoive qu'elle est aussi naturelle dans l'histoire de l'humanité et dans le développement de l'âme humaine que l'art, la morale, la politique, la science; il faut que de son côté l'art scénique se purifie de ses accointances trop intimes avec un certain culte dont il n'est pas assez émancipé, j'entends celui qui se célébra jadis à Paphos, à Cythère et autres lieux célèbres; il faut que la religion devienne à la fois plus intense et plus rationnelle, plus sérieuse chez les uns et plus spiritualiste chez les autres; il faut... il faut tant de choses que nous ne les verrons pas, et nos enfans non plus.

ALBERT RÉVille.

LA

PHYSIOLOGIE FRANÇAISE

ET

M. CLAUDE BERNARD

1. Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale en France, par M. Claude Bernard; Paris 1867. II. Leçons sur les propriétés des tissus vivans, par le même; Paris 1866. III. Leçons sur la Physiologie générale et comparée du système nerveux, par M. A. Vulpian, rédigées par M. Ernest Brémond; París 1866. IV. Rapport sur les progrès récens des sciences zoologiques en France, par M. Milne Edwards; Paris 1867.

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On sait que le ministère de l'instruction publique a publié, à l'occasion de l'exposition universelle de 1867, une série de rapports sur les progrès des sciences et des lettres en France. Le soin de rendre compte des progrès de la physiologie générale a été confié à M. Claude Bernard, qui, en rappelant les pénibles débuts de l'expérimentation physiologique et les découvertes importantes qu'elle a faites avec des ressources bien médiocres, avait le droit de dire, comme le héros troyen,

Quæque ipse miserrima vidi

Et quorum pars magna fui.

Aussi le premier soin du rapporteur est-il de demander avec instance la fondation de grands laboratoires de recherche où l'investigation scientifique puisse trouver tous les secours qui lui sont nécessaires. C'est au gouvernement qu'il s'adresse pour recommander cette institution, puisqu'en France c'est le gouvernement que nous char

geons de tout faire. Le rapport de M. Claude Bernard embrasse l'ensemble des travaux qui ont marqué ces vingt ou trente dernières années, et son œuvre propre y tient naturellement une grande place. « Les découvertes et les travaux que j'ai publiés, dit-il, sont souvent à l'état de simples ébauches ou même parfois d'indications insuffisantes. Je crois qu'ils n'en ont pas moins exercé une influence utile sur la marche de la science en suscitant des recherches nouvelles de la part d'un grand nombre d'expérimentateurs; mais je désire qu'on sache que les obscurités, les imperfections et l'incohé– rence apparente qu'on peut y trouver ne sont que les conséquences du manque de temps, des difficultés d'exécution et des embarras multipliés que j'ai rencontrés dans le cours de mon évolution scientifique. Depuis plusieurs années, je suis préoccupé de l'idée de reprendre tous mes travaux épars, de les exposer dans leur ensemble afin de faire ressortir les idées générales qu'ils renferment. J'espère maintenant qu'il me sera permis d'accomplir cette deuxième période de ma carrière scientifique. » Tout le monde fera des vœux pour que l'œuvre d'ensemble qui est ainsi annoncée soit menée à bonne fin; mais tout le monde sait aussi que les « travaux épars » dont M. Claude Bernard nous entretient ont suffi dès maintenant pour lui faire un nom important dans les lettres aussi bien que dans les sciences. M. Claude Bernard en effet n'est point seulement un expérimentateur, il est encore, et ce n'est point aux lecteurs de la Revue qu'il faut l'apprendre, un penseur et un écrivain. En exposant lui-même avec une grande netteté quelques-unes des conclusions où l'ont mené ses recherches, il a pris place dans la lutte des idées contemporaines; il a mérité ainsi d'être compté comme un des représentans les plus autorisés et nous pourrions dire comme le porte-drapeau de cette phalange de travailleurs à laquelle on a donné le nom d'école expérimentale. Cette école du reste, à part quelques démêlés sans importance, vit en assez bons termes avec les métaphysiciens de nos jours; elle les a séduits par sa réserve et son esprit de conciliation; elle a ouvert pour bien des questions irritantes une sorte de terrain neutre où les opinions contraires peuvent se rencontrer et se pénétrer. Y a-t-il entre l'école expérimentale et les doctrines métaphysiques qui l'entourent de divers côtés un véritable traité de paix ou seulement une trêve, un modus vivendi? C'est ce qu'il serait fort intéressant d'étudier de près. On discernerait sans doute, à côté de sérieux motifs de concorde, des compromis ou des malentendus d'où la guerre peut sortir un de ces jours.

Pour faire une pareille étude, on n'aurait qu'à examiner les idées générales que M. Claude Bernard a introduites dans la discussion

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philosophique. Il a eu la bonne fortune de tracer en quelques traits principaux une sorte de programme pour lequel les doctrines extrêmes montrent un égal respect. C'est ce programme qu'il faudrait discuter. Toutefois ce n'est pas là le but que nous nous proposons aujourd'hui, et nous avons pour nous abstenir, entre autres motifs, une raison capitale. Ce programme sera sans doute magistralement développé et commenté dans une occasion prochaine, à la séance où M. Claude Bernard, récemment élu membre de l'Académie française, prendra place parmi ses nouveaux collègues. Le récipiendaire, avec cette modestie qui est comme le costume propre de ces solennités, s'excusera d'abord de l'honneur qu'il a reçu, et le renverra tout entier à cette école physiologique qu'un travail opiniâtre a conduite à des vérités nouvelles. « Non, monsieur, répondra le directeur de l'Académie, ce n'est point une école de physiologie que nous avons voulu récompenser, ce n'est même pas à l'auteur de plusieurs découvertes importantes que nous avons donné nos suffrages; celui que nous avons appelé parmi nous, c'est l'écrivain qui, d'une main à la fois ferme et délicate, a marqué les droits et les méthodes de la libre recherche. » Nous verrons sans doute après cet exorde un exposé complet de ces droits et de ces méthodes, et voilà pourquoi nous nous abstenons d'en parler aujourd'hui.

Nous allons faire une œuvre beaucoup plus modeste. Nous voulons seulement, en nous tenant sur le terrain des faits, chercher dans le rapport officiel sur les progrès de la physiologie française quelles sont les principales découvertes que l'école expérimentale peut inscrire à son crédit. Nous aurons ainsi occasion de rappeler des travaux connus; mais on ne saurait trop insister sur les faits, sur ceux surtout qui servent de point de départ à des discussions théoriques. Il est un spectacle en effet qui nous est donné journellement dans les controverses qu'amènent les progrès de la science. On voit souvent les conclusions grossir peu à peu et s'enfler jusqu'à perdre toute proportion avec les données d'où elles sont parties. D'abord les auteurs de découvertes expérimentales sont quelquefois portés à s'en exagérer l'importance. Ils connaissent du moins le terrain sur lequel ils se sont placés, et, s'ils en sortent, c'est à bon escient. Ceux qui n'ont pas fait les expériences, qui en ont lu seulement la relation, n'ont plus le sentiment net des restrictions nécessaires; ils s'aventurent beaucoup plus aisément, et peuvent arriver ainsi à des généralités téméraires. Les plus audacieux, les plus terribles, sont ceux qui ne connaissent en aucune façon les faits originaux, qui prennent les conclusions à demi formulées, et tout d'abord les poussent à l'extrême. Il ne sera donc pas inutile de rappeler

avec quelque précision les principales données que l'école expérimentale a récemment introduites dans la science. Dans ce cadre tout pratique, l'œuvre de M. Claude Bernard se mettra d'ellemême au rang qui lui appartient. Il ne s'agit point ici de faire un cours de physiologie, et nous n'aborderons que quelques sujets; nous ne pourrons même pas toujours les classer bien rigoureusement. Nous commencerons cependant par les indications qui sont relatives au système nerveux et au système sanguin; nous terminerons par les phénomènes qui intéressent plus particulièrement le développement de l'être, nous voulons dire la nutrition et la génération.

I.

L'étude du système nerveux tient sans contredit la première place dans la physiologie moderne. Il y a un demi-siècle environ qu'on signala une différence fonctionnelle entre les racines antérieures et les racines postérieures des nerfs rachidiens. Ce fait fondamental, indiqué par Magendie, est devenu particulièrement fécond entre les mains de ses successeurs. Aussi est-ce par l'histoire de cette grande découverte que commence le rapport de M. Claude Bernard. Les fibres nerveuses sortent de la moelle épinière sous forme de deux racines distinctes qui se réunissent ensuite pour former un cordon unique. Cette division des racines a été fort heureuse pour la physiologie; sans elle, il eût sans doute été fort difficile d'apprendre qu'une des parties du cordon est chargée de transmettre aux centres nerveux les impressions périphériques, l'autre de porter aux muscles les excitations motrices. L'expérience de Magendie fut faite en 1822 sur des chiens. Il mit la moelle épinière à nu, et coupa d'abord les racines postérieures des nerfs rachidiens; il vit qu'alors la sensibilité se trouvait éteinte dans les parties où ces nerfs se ramifiaient. Il coupa sur d'autres sujets les racines antérieures des mêmes nerfs, et constata que le mouvement se trouvait alors aboli. Enfin il s'assura que la section simultanée des deux ordres de racines détruisait à la fois la sensibilité et le mouvement dans les parties du corps où les nerfs se rendaient. De l'ensemble de ces essais, Magendie conclut que les racines antérieures président au mouvement, les racines postérieures au sentiment. Cette donnée, acquise d'abord pour les nerfs rachidiens, fut généralisée plus tard, à l'étranger par les travaux de T. Müller, de Stilling, de Valentin, de Van Deen, en France par ceux de M. Longet, et ainsi se trouva introduite dans la science la distinction fondamentale des nerfs moteurs et des nerfs sensibles. Dès l'année 1842, cette distinction était systématiquement établie dans un

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