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goûter le livre, c'est le livre qui y a fait goûter le catholicisme. Ce jounal d'une jeune fille a paru plus puissant que bien des livres de controverse. Des théologiens ont avoué qu'ils voyaient un danger dans cette série de simples confidences fraternelles écrites au jour le jour au fond d'une campagne du Languedoc (1).

Voilà donc un livre bien anglais par la forme, mais il l'est encore plus par les pensées qui en composent le fond, s'il est vrai que nos voisins se plaisent dans l'expression ingénue du bonheur conjugal. Assurément l'amour dans le mariage est un sentiment universel, et nous n'y sommes pas plus étrangers que les autres, bien que notre littérature nous ait un peu calomniés. Sur notre théâtre, dans nos romans, nous en faisons un beau et noble devoir, un héroïsme quelquefois sublime; cependant il nous semblerait superflu et même affecté de le représenter comme une source de plaisirs. Peindre le bonheur dans le mariage serait presque du mauvais goût. La Fontaine seul l'a pu faire, parce que de sa part c'est comme une amende honorable, et il a dit des ménages modèles :

Ils s'aiment jusqu'au bout malgré l'effort des ans.
Ah! si... Mais autre part j'ai porté mes présens.

Pour nous en tenir à la pensée particulière qui anime les pages de ce journal, nous aussi nous trouvons dans nos poètes l'association du sentiment de la nature et de l'amour, cette liaison d'un cher souvenir avec les lieux qui en sont remplis. C'est un des nôtres qui a dit avec une poésie éloquente:

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé!

Mais l'amour exprimé dans ce vers, quelque pur qu'il soit, est un amour libre, dégagé de tout lien, même sacré. L'auteur du Journal de notre vie dans les Highlands a dans sa littérature nationale quelque chose de mieux approprié à la tendresse conjugale et qui semble fait pour lui et pour sa vie, heureuse d'abord, puis désolée. Il peut dire comme l'Ève de Milton : « Avec toi, tout me sourit et me plaît, le souffle du matin est doux, doux également le chant matinal des oiseaux; il est beau ce soleil quand il répand ses premiers rayons sur cette campagne aimable, sur le gazon et sur l'arbre, sur le fruit et sur la fleur, qui tous sont brillans de rosée. Elle est parfumée cette terre féconde après les douces ondées, elle est douce l'heure qui ramène le soir, douce également la nuit silencieuse avec les graves accens de cet oiseau qui chante, avec cette

(1) Voyez, dans The Contemporary Review de février 1867, un article de M. J. C. Colquhoun.

belle lune, avec ces pierres précieuses du ciel qui lui font une robe étoilée... Mais sans toi ni le souffle du matin quand il s'élève avec la chanson matinale de l'oiseau, ni le lever du soleil sur cette campagne, ni gazon, ni fruit, ni fleur, avec les gouttes de rosée brillante, ni parfum de la terre après la pluie, ni soirée calme, ni silencieuse nuit avec le chant grave de l'oiseau, ni promenade au clair de lune, ni étoiles scintillantes, rien de tout cela n'est doux sans toi... >>

Admirable destinée pour ce grand poète de faire partie pour ainsi parler de la vie morale de sa nation, d'être à chaque instant la force ou la consolation du riche comme du pauvre, de la reine comme de la dernière de ses sujettes! Qui pourra dire combien de jeune filles ont rêvé de ce soleil se levant sur l'Éden, de cette lune et de ces étoiles confidentes d'un bonheur légitime? Une fois en leur vie au moins, elles retournent à ce bonheur primitif, elles se revêtent de cette splendeur native que l'imagination du poète a retrouvée. Qui pourra dire aussi combien de veuves ont pleuré sur cette page immortelle, combien, et des plus humbles, ont rebâti pour un instant dans leur pensée leur Éden perdu? Voici qu'une reine en vient grossir le nombre et peut y lire sa propre destinée. Elle aussi, elle a décrit son paradis terrestre avec toute la simplicité d'une âme plus habile à sentir qu'à exprimer. Le journal de la reine Victoria, malgré la distance infinie qui l'en sépare, est un commentaire de la page de Milton. Pour finir par où nous avons commencé, elle a pu apporter à sa peine un adoucissement légitime et qui lui est commun avec tant d'autres. Il a fallu chez nous des révolutions pour nous apprendre « combien de larmes pouvaient contenir les yeux des rois. » La princesse dont nous parlons règne sur une nation qui fait du loisir à ses souverains en gouvernant elle-même ses affaires, et elle a pu consoler sa douleur privée par les moyens que permet la vie privée. Si pourtant l'on est tenté de condamner encore l'obstination de la tristesse en un rang si élevé, son livre semble dire « Voilà la félicité dont je jouissais et dont je suis privée; jugez maintenant si l'excès de ma douleur est pardonnable! >>

LOUIS ÉTIENNE.

JEAN DE CHAZOL

SECONDE PARTIE (1).

VII.

A l'heure même où je reçus la visite du Marulas, j'attendais les deux Savenay; ils venaient chasser une semaine à Chazol. Je n'étais pas fâché de la diversion qu'ils apportaient aux événemens qui m'avaient préoccupé malgré moi depuis quelques jours. Je commençais à être fatigué de l'isolement dans lequel je vivais. J'aurais eu peine à trouver deux meilleurs compagnons; leur arrivée fut donc une véritable fête pour moi. Le temps était merveilleux pour essayer mes nouveaux équipages. Tout cela manque d'ordre et a besoin d'être formé. Nous n'en fimes pas moins deux ou trois belles chasses; puis plusieurs diners au château, où j'eus quelques voisins, vieux amis de mon père un peu oubliés et avec qui je renouai la chaine de mes anciens souvenirs, — entre autres d'Amblay, toujours vert et vif, qui m'a beaucoup parlé de toi, — quelques visites obligées enfin, m'établirent un nouveau train de relations. Je fus donc assez occupé pour n'avoir pas le loisir de songer aux péripéties qui avaient un instant troublé ma quiétude. Un matin, nous étions avec les Savenay sous la vérandah, lisant les journaux et notre correspondance, quand Toby, mon valet de chambre, arrive avec ces façons circonspectes que tu lui connais, et qui semblent toujours annoncer une catastrophe; il me dit à l'oreille que la Viergie me demandait.

(1) Voyez la Revue du 15 juin.

-

-Tiens, tiens! dit Étienne avec un sourire malicieux, est-ce que la Viergie n'est pas cette belle fille dont parlait de Mauron l'autre jour?

- Oui, répondis-je; mais ne prends pas ton air de finesse. C'est la Viergie, voilà tout!

- Alors fais-nous-la voir, reprit Albert.

Ne voulant point éveiller leurs conjectures en donnant à la venue de cette fille une apparence de mystère, je dis à Toby de l'amener. Au bout d'un instant, la Viergie apparut avec lui. Portant sur sa tête une corbeille que soutenait son bras nu, elle s'avançait, marchant légère sur le sable, sa robe blanche relevée sur le côté. - Corbleu, mon cher, s'écria Étienne, mais c'est une nymphe de Tempé que cette fille-là! quelle pureté de lignes, quelle beauté !... Elle arriva près de nous; intimidée de la présence des deux étrangers, elle déposa sa corbeille. Ce sont des fruits de notre verger qu'on m'envoie vous porter, me dit-elle un peu rougissante et avec un clair sourire auquel ses grands yeux baissés donnaient je ne sais quelle grâce si étrange et si pudique qu'Albert et Étienne se levèrent instinctivement devant cette singulière paysanne.

Aussi étonné que mécontent de l'attention familière de M. Marulas, je fis cependant bon visage à la Viergie, me réservant in pello d'aviser à la suppression de tels échanges d'amitié entre son père et moi; puis, après quelques instans de causerie indifférente que l'embarras de la pauvre fille autant que les regards ébahis des Savenay tout surpris de son langage me fit abréger, je la congédiai. Comme elle se retirait et que je l'accompagnais jusqu'au bout de la vérandah : J'aurais voulu vous parler, me dit-elle un peu hésitante. Si vous étiez bien bon, vous marcheriez avec moi jusqu'à la grille...

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Au ton presque ému dont elle prononça ces mots, je soupçonnai quelque nouveau tour de Marulas. Je la suivis, et lorsque nous fûmes dans l'allée, voyant qu'elle se taisait: Parlez maintenant, mon enfant, lui dis-je, vous savez que je suis votre ami.

-Je le sais, répondit-elle sérieuse; pourtant ce que j'ai à vous dire m'embarrasse beaucoup, et maintenant je n'ose plus.

Je l'encourageai en riant, comme pour ôter d'avance toute gravité à cette confidence. Elle s'enhardit enfin. Oui, il faut tout vous dire, reprit-elle avec décision; seulement ne me regardez pas tandis que je vous parlerai. Je n'oserais plus!

— Qu'à cela ne tienne! répliquai-je. Est-ce donc si difficile à conter?

- Il me semble que cela doit l'être.

Alors je ne vous regarde pas... Rassurez-vous.

Elle poussa un grand soupir, et, voyant que je restais les yeux fixés devant moi : -Eh bien ! dit-elle, il faut d'abord vous apprendre que, le soir du jour où vous êtes venu nous apporter de l'argent, ma mère a tout de suite écrit à mon père, qui est arrivé le lendemain. J'ai entendu qu'ils avaient une querelle à cause de moi, pour quelque chose qu'il voulait et que ma mère ne voulait pas. Ensuite il a pris une partie de l'or et m'a emmenée à Aix pour m'acheter des habits, nous sommes venus après chez vous pour vous remercier.

Mais tout ceci n'est pas très effrayant! dis-je gaîment.

Oh! j'avoue que j'ai été bien heureuse que vous me voyiez dans cette jolie toilette, répondit-elle ingénument; mais il paraît que vous aurez trouvé qu'elle m'allait mal, ou que je vous aurai déplu en quelque chose, car, en rentrant à la maison, mon père était furieux contre moi, et il m'a battue.

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Oh! ce n'était peut-être pas à cause de vous!... Et puis d'ailleurs je suis habituée aux coups, et ce n'est pas cela qui m'inquiète. - Qu'est-ce enfin? dis-je, voyant qu'elle s'arrêtait.

-Eh bien! reprit-elle avec effort, depuis ce temps-là il parle de m'emmener à Marseille, où il connaît des gens riches qui me feront apprendre à chanter. Ma mère refuse de me laisser partir, et moi je ne veux pas m'en aller avec lui toute seule.

Vous fait-il donc peur à ce point! dis-je, ému malgré moi par ce drame mystérieux que je ne devinais que trop.

- Je n'ai peur que de lui au monde! répondit-elle avec un accent d'effroi.

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Alors vous venez me demander de vous protéger contre lui? Oh! vous ne le pourriez pas, reprit-elle vivement, vous ne savez pas ce qu'il est; mais j'ai cru comprendre, d'après ses débats avec ma mère, que, si vous vouliez...

Si je voulais quoi?... dis-je, la voyant hésiter encore.

-Eh bien! reprit-elle d'une voix à peine intelligible, si vous vouliez me prendre à votre château,.. je crois qu'il ne m'emmènerait pas.

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Vous prendre ici, chez moi?

Elle baissa la tête, toute rouge de confusion en rencontrant mon regard surpris.

- Je sais bien que c'est difficile, balbutia-t-elle en se détournant à demi; mais enfin vous avez bien d'autres servantes...

Un soupçon me traversa l'esprit.

— Viergie, lui dis-je en la regardant dans les yeux, c'est votre père, n'est-ce pas, qui vous envoie ici pour me dire tout cela?

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