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LA

NATIONALITÉ BULGARE

D'APRÈS LES GHANTS POPULAIRES

I. J. Bogojev, Pesth 1842. II. Grigorovitch dans le Kolo, Zagabria 1847. III. Berzonov, Moscou 1855. - IV. Verkovitch, Belgrade 1860. - V. D. et C. Miladinovac, Zagabria

1861.

Les poésies nationales des Bulgares sont restées tellement inconnues à l'Europe occidentale, qu'une étude sur ce sujet aura, nous l'espérons, quelque opportunité dans un temps où l'on s'occupe si fréquemment des aspirations du peuple bulgare. Il nous a semblé qu'il valait mieux, plutôt que de lui prêter des idées et des sentimens qui lui sont trop souvent étrangers, interroger les poètes naïfs qui ont été constamment ses véritables organes. Cette étude, qui ne sera pas inutile à ceux qui s'occupent de l'histoire littéraire, encore si obscure, des populations orientales, ne sera pas non plus dénuée d'intérêt pour les hommes politiques.

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La péninsule orientale était, au temps où florissaient les républiques grecques, occupée par les Hellènes, les Illyriens et les Thraces. A l'est du Danube, les Daces, qui semblent avoir été un rameau de la famille thrace, s'étendaient jusqu'au-delà des Karpathes. Les Illyriens, peuple d'origine pélasgique, étaient unis

aux Hellènes par des liens qui devinrent intimes en Épire. Ce peuple étant encore représenté de nos jours par les Albanais, on a pu remonter à son origine; mais il a été impossible de reconstruire la généalogie des Thraces. Cette population mystérieuse, qui semble avoir eu peu d'aptitude pour la civilisation, a, malgré sa farouche bravoure, subi avec la même facilité, tant les divisions intérieures la paralysaient, la domination de la Perse, de la Macédoine, de Rome et de Byzance. Les Daces étaient déjà latinisés complétement lorsque les Slaves, franchissant le Danube, effacèrent ce qui pouvait subsister de la nationalité thrace, et refoulèrent les Illyriens et les Hellènes vers le sud de la péninsule. Les Serbes et les Bulgares, qui occupent maintenant le territoire des Illyriens septentrionaux et des Thraces, ne sont point, comme on le croit généralement, une population en tout semblable. Si les Serbes ont toujours été et sont encore une nation purement slave, les Bulgares appartenaient primitivement, non pas à la race âryenne, mais à la race touranienne. Les Finnois, leurs ancêtres, qui se nomment eux-mêmes Souomalaines, et que les Russes appellent Tchoudes, se divisent en quatre groupes, le groupe ougre, le groupe permien, le groupe bulgare et le groupe finnois proprement dit. Cette population, d'abord nomade et plus tard essentiellement agricole, descendit de l'Altaï à une époque inconnue, traversa l'Oural et se répandit en Europe, où les Hellènes paraissent leur avoir donné le nom de Scythes, nation qu'ils distinguaient soigneusement des Sarmates.

Une fraction de la race finnoise, les Voulgares ou Bulgares, venue du fond de l'Asie septentrionale, occupait dans la Russie actuelle le pays que les auteurs byzantins nommaient tantôt GrandeBulgarie, tantôt Bulgarie-Noire. Les Occidentaux se servaient aussi des mêmes expressions, et Rubruk dit que l'Itil (le Boulga ou Volga, l'Itel ou Athil des Tartares, l'Atal de Théophane), « grand fleuve, très profond et quatre fois plus large que la Seine, vient de la Grande-Bulgarie, » et ce moine voyageur ajoute que « de cette Grande-Bulgarie sortirent les Bulgares, qui sont au-delà du Danube, du côté de Constantinople (1). » Les Bulgares, chassés des bords du Volga par d'autres barbares, s'avancèrent vers la MerNoire et la mer d'Azof, et à la fin du ve siècle ils firent pour la première fois des excursions au sud du vaste fleuve. Les Romei (à cette époque, le latin était encore la langue officielle de Byzance) éprouvèrent à leur approche la terreur que les Aryas de l'Iran res

(1) Itinéraire de G. de Rubruk dans les pays orientaux, p. 264 et 275, édition de la Société de géographie de France.

sentaient quand se montraient à leur frontière les féroces Touraniens. On crut revoir les hordes d'Attila, et la « race impure des Bulgares » fut après les Huns, peuple composé de Finnois et de Mongols, considérée comme un « fléau de Dieu. » A l'exemple des Huns et des autres nomades, ils vivaient à cheval, aussi prompts à s'avancer en cas de succès qu'à disparaître en cas de défaite. L'épouvante qu'ils inspiraient a quelque chose de prophétique, puisque la civilisation était destinée à disparaître dans la péninsule orientale sous les pieds des hordes du Touran, effroi éternel des Aryas. Les Bulgares étaient l'avant-garde des Turcs. Les corbeaux, qui flairent les cadavres, précédaient les hordes affamées des steppes. La présence de ces sinistres compagnons, les conjurations de leurs sorciers, assez puissantes pour fasciner les Byzantins superstitieux, leur luxure sans frein, favorisaient l'opinion qui voyait en eux des agens d'un pouvoir malfaisant. Sans s'apercevoir que leur sobriété, la rapidité de leurs mouvemens, l'adresse à manier des arcs énormes et à lancer en courant un filet aussi redouté que leurs longues flèches et leur coutelas de cuivre, le mépris de la mort, commun chez les barbares, étaient la principale cause de leurs triomphes sur des populations déjà fort amollies, on disait que cette nation « hideuse et sale » qui menaçait l'empire et l'église avait fait un pacte avec les puissances infernales, et qu'elle leur devait ses victoires.

Les Ouar-Khouni, connus sous le nom d'Avares, branche collatérale des Huns, ayant à leur tour franchi le Volga (555) et étendu leur domination sur les rives de la mer d'Azof, les Bulgares durent comme les Slaves se résigner au rôle d'instrumens de la politique avare; mais Koubrat (le Crobatus des Occidentaux) secoua le joug du kha-khan des Avares, et se fit si bien respecter des barbares et des Romei que l'empereur Héraclius lui donna le titre de « patrice de l'empire,» titre dont le roi des Franks Clovis était si fier. Koubrat, qui semble avoir eu quelques-unes des qualités du mérovingien, comprit mieux que lui le danger des partages. Au lit de mort, il conjura ses cinq fils de rester unis dans l'intérêt de la nation. Ces conseils étaient au-dessus de l'intelligence des chefs finnois. Les fils de Koubrat se partagèrent ses soldats. L'aîné, qui resta dans le pays natal, ne put résister aux Khazars, nation finnomongole, dont il devint tributaire. Le troisième, Asparukh (on place son.règne vers 660), s'établit vers les bouches du Danube, où sa horde devint le noyau de la puissance bulgare.

Constantin VII Porphyrogénète rend compte lui-même, dans son Traité de l'administration de l'empire, de l'entrée des Bulgares, << nation réprouvée de Dieu, » dans la Mosie inférieure, à laquelle

TOME LXXVI.

1868.

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ils ont donné leur nom. « Le passage définitif du Danube par les Bulgares, dit-il, eut lieu vers la fin du règne de Constantin Pogonat, et ce fut alors aussi que leur nom se fit connaître. Auparavant on les appelait Onogoundoures (1). » Cette partie de l'ancienne Thrace était occupée, au moment où les Bulgares vinrent s'y établir, c'est-à-dire vers la fin du vir siècle, par des populations d'origines très diverses. C'étaient d'abord les Severenses (Sewères), puis les « sept peuples, » dont l'origine slave n'est pas contestée, les Roumains, installés là par Aurélien. Des rangs des Roumains étaient sortis les empereurs Galérius (Dara), Licinius et Justinien (Oupranda). L'influence slave, qui se fit d'abord sentir sur des populations encore hostiles au christianisme, fut assez forte pour décider les Bulgares à renoncer à leur langue. Quoique Schafarik atteste que beaucoup de mots finnois subsistent encore dans la langue bulgare, quoique le savant professeur Ascoli (2), d'accord avec les Allemands, y retrouve des débris de thrace, cette langue est devenue slave. Le type physique, le caractère et les habitudes ont subi également de graves transformations. Il en est résulté une population intermédiaire qu'on distingue au premier coup d'œil des Serbes. Comme aspect, ils rappelleraient plutôt les Turcs. Ils sont petits, vigoureux, leur front est haut, leurs cheveux sont bruns et bouclés, leurs yeux peu ouverts et fendus obliquement, le nez est aquilin, la barbe noire et bien fournie. Comme les Finnois, ils ont pour le travail des champs un goût malheureusement trop rare dans la péninsule orientale; mais, malgré la solidité de leur constitution, ils sont bien loin d'avoir l'énergie militaire des Serbes. Naturellement pacifiques, les Bulgares sont exposés par cela même aux vexations ou aux railleries de toutes les races qui les entourent. Les Turcs sont disposés à abuser de leur douceur, les Hellènes et les Roumains ont l'habitude de tourner en dérision leur extrême simplicité, les Albanais se moquent de leur prudence, les Serbes ne les estiment pas beaucoup plus à cause de la placidité avec laquelle ils supportent la domination ottomane. Peut-être cette résignation a-t-elle pour cause quelques affinités entre les Bulgares et les Turcs. Ces deux peuples en effet appartiennent à la race finno-mongole, et se sont également, depuis leur établissement dans la péninsule, modifiés par de perpétuelles alliances avec les Indo-Européens.

Que les Hellènes et les Roumains, descendans des races les plus civilisées de l'ancien monde, aient exagéré la simplicité des Bulgares, il est assez naturel de le supposer. Il faut avouer cependant

(1) 'Ovoyouvôoúpot, ou Huns - Goundoures, c'est-à-dire qu'on les confondait avec d'autres Finno-Mongols, ancêtres des Magyars, les Hunugares des Latins, les Ounougoures des Hellènes.

(2) Voyez le Politecnico de Milan, mars 1867.

que le développement intellectuel de la Bulgarie fut très lent. Tandis que les Ottomans eux-mêmes créaient cette littérature dénuée d'originalité, mais féconde, dont le baron de Hammer-Purgstall a écrit l'histoire, les Bulgares ne produisaient guère que des chants populaires qui, malgré le vif intérêt qu'ils offrent à l'historien, ne peuvent assurément être mis sur la même ligne que les poésies nationales serbes. Leur langue elle-même, loin de se perfectionner, s'est corrompue de plus en plus. La passion des Bulgares pour la vie des champs, quoique fort utile à toute la péninsule orientale, n'était pas de nature à enrichir leur littérature.

A l'époque de leur entrée en Mosie, rien ne faisait encore prévoir la transformation de ces hordes sauvages en paisibles paysans. Les historiens byzantins nous fournissent malheureusement peu de renseignemens sur leur organisation sociale. Leurs rois, qui prirent plus tard les brodequins de pourpre des autocrates, la tiare de fin lin et la couronne d'or, avaient alors des habitudes plus primitives. Le terrible Krum, pour célébrer ses victoires, faisait à ses dieux des sacrifices d'hommes et d'animaux, lavait ses pieds dans la mer, dont il versait l'eau sur sa tête, puis il aspergeait ses compagnons au milieu d'acclamations bruyantes. Gibbon croit que son palais devait être une maison de bois. Ses soldats, « sales et grossiers >> comme ceux d'Attila, avaient cependant une sorte d'aristocratie composée de boyards (Théophane les nomme boïlades); ils avaient à leur tête six grands boyards qui prenaient rang après la famille du souverain. C'était une noblesse turbulente, et de fréquentes révolutions bouleversèrent les nouveaux établissemens bulgares des bords du Danube. Au milieu de ces troubles, une partie des habitans slaves de la contrée se séparèrent de ces terribles alliés, passèrent la Mer-Noire, et obtinrent de l'empereur Constantin IV Copronyme des terres en Bithynie. Cette émigration était de nature à fortifier l'influence de l'élément roumain, qui, resté jusque-là dans l'ombre, devait exercer plus tard une action prépondérante. Le règne de Krum (le Crumus des Occidentaux) est l'apogée de la période païenne en Bulgarie; aussi son nom est-il le seul de cette période qui soit connu en Occident. Ce soldat législateur, qui commença sa carrière en domptant les Avares, comprit combien le goût des Slaves pour les boissons spiritueuses pouvait être funeste à son peuple, car il ordonna de détruire toutes les vignes « et d'arracher les racines. » L'empereur de Byzance, Nicéphore Ier le Logothète, qui eut l'imprudence de provoquer le souverain des Bulgares, expia cruellement sa témérité. Il périt dans sa lutte contre Krum, qui fit orner son crâne d'un cercle d'or et s'en servit comme d'une coupe dans les festins. Il répétait, en montrant ce hideux trophée, qu'il avait fait bonne justice de « l'ennemi de la paix, d'un prince

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