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vais état où est le gouvernement. » Les penseurs appellent cette révolution, sans en construire encore la théorie; le peuple en pose déjà la pratique. « Dans les provinces, la détresse était au comble et provoquait des émeutes à Rennes, à Bordeaux, en Languedoc. En Touraine, la misère était, disait-on, pire qu'en 1709. A Arles, des milliers de paysans armés se présentèrent à l'hôtel de ville pour demander du pain. A Paris, on trouvait sous les portes et jusques sur les escaliers des maisons des billets où l'on disait de s'emparer de la personne du roi, de rouer le contrôleur général et de pendre la Pompadour. » (p. 145). En 1750, il y a une émeute à Paris à propos de la disparition d'un certain nombre d'enfants enlevés, disait-on, pour peupler les colonies. « Aussitôt que ces rapts furent connus, il se produisit dans les faubourgs une révolte comme on n'en avait pas vu depuis le commencement du règne. Plusieurs archers furent tués. La foule se porta vers la maison du lieutenant de police. Dans sa fureur, elle voulait le massacrer et lui manger le cœur. Ce magistrat, « pâle comme un noyé », ne sauva sa vie qu'en livrant aux émeutiers un exempt qui fut à l'instant traîné dans le ruisseau et assommé... Le peuple ne parlait de rien moins que d'aller brùler le château de Versailles élevé, disait-il, à ses dépens » (p. 136). Or, à cette époque, 1750-1751, Voltaire était en Prussé où il travaillait au Siècle de Louis XIV, Diderot n'avait fait paraître que le premier volume de l'Encyclopédie, Raynal était à peine connu et Rousseau ne l'était que par son discours de Dijon (p. 147-148). — Mais, si les philosophes n'ont pas provoqué par leurs écrits cet état révolutionnaire de la société, leurs écrits en sont le signe le plus manifeste, et, après l'avoir constaté, ils l'excitent et lui impriment sa direction.

Dans leurs luttes aveugles, les jésuites et les jansénistes se servaient de toutes les armes. Ils usèrent et abusèrent du ridicule, et, comme l'esprit du siècle était à la raillerie et à la critique, ils se raillèrent mutuellement et s'attaquèrent avec les armes du siècle. «On s'était fort amusé d'un mandement de l'archevêque de Pâris, publié en 1731 contre les miracles de M. Pâris et dans lequel étaient intercalés, par manière d'arguments, des rapports de médecins et de chirurgiens expliquant, au plus clair, certains détails de la santé des femmes (p. 80)... » L'évêque de Soissons composa une Vie de Marie Alacoque. « Ce fut dans toute la France une hilarité universelle à laquelle le roi lui-même prit part. Pendant quelque temps, on ne parla que de Marie Alacoque ou de la mère aux œufs » (p. 81 ). Voilà de ces traits, et il y en a par centaines dans le livre de M. R., qui expliquent comment éclata la polémique voltairienne et la faveur qui l'accueillit. La polémique politique n'était pas moins bien préparée. Il parut, en 1732, un mémoire sur l'origine et l'autorité du Parlement. On y lisait : « Quand il s'agit d'une chose où le peuple a intérêt, ce n'est pas dans le conseil du Roi qu'elle peut être résolue. Le Roi ne peut contracter avec ses peuples que dans le sein du Parlement... Il importe peu que le Roi soit présent à son conseil; il n'y assiste pas pour

détruire les lois; le rôle du souverain consiste à les maintenir. C'est là son serment; c'est là le contrat qu'il a fait avec ses peuples. » En 1753, les idées et le langage ont déjà fait de singuliers progrès : « Si les sujets doivent obéissance aux rois, disait le Parlement, les rois, de leur côté, doivent obéissance aux lois... C'est par l'altération des lois que se préparent les révolutions dans les États. » En 1759, le Parlement proteste contre les lettres de cachet; il les représente «< comme des voies irrégulières du pouvoir absolu», comme contraires aux lois et au droit de la nation. Je pourrais multiplier ces exemples. Je signale, en particulier, les pages où M. R. nous montre, en 1754 et en 1771, tous les signes de la révolution prête à éclater. Elle n'éclata point, parce que le pouvoir, tant affaibli qu'il fût, avait encore assez de prestige pour calmer l'opinion par une transaction et assez de consistance pour réprimer les désordres; parce qu'en même temps l'opposition était trop incertaine dans ses desseins. et trop ignorante de ses forces pour exploiter contre la monarchie tous. les éléments de révolte populaire qui s'étaient amassés. « Quand Louis XV mourut, dit M. R., la France n'était pas seulement révolutionnaire par ses idées, elle l'était par son tempérament, que soixante ans d'agitations croissantes avaient enfin modifié. Il suffit de considérer les premières années du règne de Louis XVI pour se convaincre que, dans quelque voie que ce prince se fût engagé, la Révolution ne pouvait être évitée » (p. vi).

M. R. a puisé à deux sources diverses: Les arrêts du Parlement, qui censurent ou condamnent des actes ou des livres; les mémoires des témoins, mémoires publiés comme ceux de d'Argenson, Marais, Barbier correspondance de Grimm, etc., et mémoires inédits: Journal de Regnault (3 vol. in-4°) et journal de Hardy (8 vol. in-folio) conservés à la Bibliothèque nationale. Il résulte de ces textes inédits un certain nombre de faits curieux; mais là n'est pas l'intérêt principal de l'ouvrage. Il est dans le dépouillement et le classement des faits et des idées répandus, disséminés dans tant de volumes, et dans les rapprochements instructifs qui en résultent. «< Interprète fidèle des documents, dit M. R. (p. xi), nous n'avons accompagné que de rares appréciations le récit des évènements dont ils nous ont fourni la trame. Notre dessein n'a été ni de défendre une cause ni de soutenir une thèse. » La thèse se dégage d'elle-même et, quelque soin que M. R. ait pris de se renfermer dans son rôle d'annaliste, le sujet même qu'il a choisi montrerait déjà de quel côté sont ses sympathies: elles sont tout entières pour la liberté de conscience et la liberté politique, et elles apparaissent en plus d'une page de son livre. Il est parfaitement certain qu'il n'en ressort ni une apologie de l'Eglise, ni surtout une apologie de l'Etat sous l'ancien régime; mais ce n'est pas cela qu'il a voulu faire. Il faut juger son étude d'après l'objet qu'il s'était proposé : cet objet était très-intéressant et M. Rocquain l'a atteint.

L'appendice qui termine l'ouvrage : Liste des livres condamnés de 1715 à 1789, est un document bien instructif. Il ne renferme que

les livres condamnés par le conseil d'Etat, le Parlement de Paris, le Châtelet et le grand Conseil : c'est suffisant pour juger des progrès et de la transformation des idées. On en peut prendre un aperçu d'après ce résumé (p. 489, note): « De 1715 à 1743, les arrêts de condamnation se rapportent tous, sauf de rares exceptions, aux querelles soulevées par la bulle Unigenitus. De 1743 à 1752 on voit, à côté de brochures relatives à cette bulle, les premières productions de la philosophie, et nommément le dictionnaire de l'Encyclopédie. De 1752 à 1757 (attentat de Damiens), les ouvrages condamnés ont trait presque uniquement aux refus de sacrements. De 1757 à 1770, dominent les brochures concernant les jésuites et les livres de philosophie. De 1770 à 1774, les écrits sont, pour la plupart, de nature exclusivement politique et se rattachent au coup d'Etat de 1771. » A partir de 1774, la politique domine à peu près ex clusivement.

Albert SOREL.

100.

Le Puy-de-Dôme en 1793 et le proconsulat de Couthon, par M. Francisque MÈGE, I vol. in-8° de 708 p. Paris, Aubry, 1877. - Prix : 9 fr.

L'histoire de la Révolution française ne sera bien connue que le jour où les archives de tous nos départements auront été dépouillées, et la province, depuis quelques années surtout, se met à l'œuvre avec une intelligence et une activité remarquables. Au premier rang des chercheurs intrépides que rien ne rebute se placent les savants de l'Auvergne, et en particulier MM. Marcellin Boudet et Francisque Mège. Le travail de M. Boudet sur Dulaure et celui de M. Mège sur le Puy-de-Dôme et Couthon en 1793 ont une véritable importance, et l'on ne saurait trop encourager ce genre d'études. Nous n'avons à examiner ici que le dernier de ces deux ouvrages, et nous éprouvons une vive satisfaction à montrer quelle en est la grande valeur historique.

M. Fr. M. s'est attribué un rôle bien modeste : il a coordonné les documents innombrables qu'il a su trouver soit à Clermont, soit dans les collections particulières, soit enfin aux Archives nationales, et il est parvenu à présenter ainsi à ses lecteurs un tableau saisissant de la basse Auvergne en 1793. Le grand reproche que nous ferons à M. M. est même d'avoir poussé la modestie beaucoup trop loin; on aimerait à voir un historien de ce mérite prendre plus souvent la parole en son nom; on voudrait avoir l'opinion de M. M. sur tel ou tel fait, sur tel ou tel personnage, mais on se heurte à un parti pris de l'auteur. Au lieu de juger l'œuvre de Couthon et de Maignet, M. M. nous dit avec un laconisme étudié (p. 310): « leur proconsulat avait duré trois mois; » et c'est bien autre chose encore à la fin du livre, car voici la conclusion générale de M. M. « C'est ainsi que s'était passé dans la basse Auvergne l'an premier de la République française. » Etant donné le talent de M. M.,

nous ne lui pardonnerons pas d'avoir ainsi poussé l'impartialité jusqu'à l'indifférence, et nous regretterons qu'il n'ait point résumé ses belles études en quelques pages nerveuses: la seule exception que M. M. ait cru devoir faire en jugeant les Girondins et les Montagnards (p. 61 et sq.) n'est pas assurément pour diminuer nos regrets.

La lecture de cet ouvrage est fort instructive, et ceux qui ne connaissent la Révolution française que par les histoires générales pourront en lisant M. M. perdre quelques-unes de leurs illusions les plus chères. Vous parlez volontiers du patriotisme de 1792, et vous aimez à vous représenter les Français d'alors volant à la frontière pour défendre la patrie menacée; M. M. vous montrera, pièces en main, que le fameux volontaire de 1793 était, en bien des endroits, même en Auvergne, ce qu'on pourrait appeler le volontaire malgré lui (p. 84). Vous croyez que la Marseillaise a fait partout des miracles, et que l'enthousiasme républicain de nos pères ne connaissait point de bornes; M. M. vous prouvera que les paysans de ce temps-là ressemblaient beaucoup aux nôtres. En Auvergne, comme ailleurs, les gens de la campagne « sont peu susceptibles d'exaltation et de violence; » ils suivent en aveugles le mouvement que Paris imprime à toute la France; ils sont avec la même apathie, républicains après le 10 août, montagnards au lendemain du 31 mai, et thermidoriens après la chute de Robespierre; l'intérêt seul peut les tirer de leur torpeur : ils résistent quand on prétend les enrôler ou quand on taxe les denrées, et leur résistance opiniâtre est alors pour le gouvernement une cause d'embarras très-sérieux.

Mais si le populaire montre peu ou point d'empressement à sauver la patrie, il n'en est pas de même des petits bourgeois qui composent les corps administratifs, et le livre de M. M. est encore très curieux à examiner à ce point de vue. Les gardes nationales, toujours au service. de la Loi, apparaissent également sous un jour favorable, et rien n'égale l'abnégation de ces braves pères de famille que l'on fait marcher comme de vieilles troupes pour réprimer ou pour empêcher les désordres.

Quant au personnage dont M. M. a fait pour ainsi dire le centre de sa composition, il nous serait assez difficile de dire ce que M. M. pense de lui. Cet historien par trop scrupuleux relate jour par jour les faits et gestes de Georges Couthon, mais il évite soigneusement toute parole qui ressemblerait à un éloge ou à une critique du fameux proconsul. Et pourtant le livre de M. M. jette une vive lumière sur la conduite et sur le caractère de Couthon, qui apparait là comme un homme très supérieur aux autres terroristes, et surtout à Robespierre. Envoyé par la Convention pour soulever l'Auvergne, et pour jeter sur la ville de Lyon révoltée « les rochers de son pays, » Couthon s'acquitte de cette mission difficile avec un patriotisme, une activité et un talent d'organisation des plus remarquables. Il pense à tout, il prévoit tout, et les soldats improvisés qu'il envoie contre les Lyonnais sont, grâce à lui, bien armés, bien vêtus, bien nourris et encouragés de toutes manières (p. 204, 260

et sq.) Cet avocat paralytique est véritablement, en septembre 1793, une sorte de Carnot, et l'on peut dire de lui qu'il organise la victoire. Victorieux, ce même Couthon fait preuve d'une modération suprenante (p. 275), et s'il demande son rappel, c'est que le parti de la férocité l'emporte sur celui de la justice; il cède la place à Collot-d'Herbois et à Fouché de Nantes, aux démolisseurs et aux mitrailleurs.

Il n'en est pas de même en Auvergne, où Couthon est au contraire un odieux tyran, plus intolérant et plus révolutionnaire que le Comité du salut public, dont il outrepasse constamment les instructions (p. 221). Et cependant si on le compare aux Albitte, aux Pocholle, aux Carrier, aux Lebon et à tant d'autres proconsuls, ce n'est pas un tigre, c'est plutôt ce que La Fontaine appellerait « un loup rempli d'humanité qui n'est cruel que par nécessité », il épure les administrations, il destitue, il emprisonne, il déporte, mais a peine pourrait-on lui reprocher trois ou quatre «< assassinats juridiques, » entre autres celui de l'admirable Molin, assassinat que peut-être il a voulu éviter.

On ne saurait dire qu'il résulte des faits si clairement exposés par M. M. une réhabilitation de Couthon; c'est chose impossible, et M. M. n'y a pas songé un seul instant; l'homme qui, trouvant la procédure de Fouquier-Tinville trop lente, a fait voter la loi du 22 prairial an II, ne saurait être réhabilité. Mais quand on a lu l'ouvrage de M. M. on ne peut refuser à Couthon, durant son proconsulat en Auvergne, des qualités d'homme supérieur : une intelligence rare, une activité prodigieuse, et un vrai désintéressement, qualités que gâta malheureusement une ambition sans bornes et un orgueil insensé.

M. M. a très-bien fait ressortir les différents côtés de son sujet, et la seule question qu'il n'ait pas traitée, ce me semble, avec assez de développement, c'est la question religieuse. La plupart des historiens semblent croire que la destruction du culte, en novembre 1793, s'est faite sans grande résistance, excepté dans la Vendée. M. M. dit en quelques lignes que les insermentés étaient populaires en Auvergne tandis que les constitutionnels étaient «honnis, méprisés, maltraités même » (p. 20 et 21); c'est à peine s'il nomme en passant l'évêque constitutionnel Perrier, et il ajoute en note que ce prélat n'imita pas Gobel, « qu'il refusa de se prêter à une apostasie » (p. 235.)

Cependant l'église constitutionnelle du Puy-de-Dôme n'a pas été sans jouer un certain rôle en 1793, et j'ai sous les yeux quelques lettres originales qui pourraient modifier les opinions de M. M. à cet égard. Ainsi l'assertion de M. M. relative à Fr. Perrier n'est pas exacte. << L'exercice du culte lui étant interdit, il se borna, dit M. M. (p. 335) à demander à la municipalité de Clermont un certificat de civisme qui lui permît de n'être pas inquiété. Ce certificat lui fut accordé le 29 frimaire an II. » Or, l'évêque Perrier fut quelque peu inquiété; comme tous les ecclésiastiques étrangers par leur naissance au département du Puy-de-Dôme, il reçut l'ordre de se retirer dans son

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