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quatrième volume de son Tacite, d'une profession de foi analogue, bien que conçue en termes moins absolus et autrement motivée. « Ce n'est pas, dit Burnouf, que j'aie mis de l'amour-propre à refaire autrement ce qui était bien fait; mais, dût ce jugement paraître sévère, j'ai eu trop rarement à me défendre de cette tentation. » Tel n'est pas tout-à-fait, on le voit, le cas du traducteur d'Oppien, qui, non sans doute par amour-propre, mais par « scrupule », s'interdit absolument tout emprunt. Ce qu'ajoute ensuite Burnouf: « D'ailleurs, tout homme qui écrit a son style propre, etc. », pourrait plutôt être allégué en faveur de M. B. Mais j'avoue que les arguments de Burnouf ne me paraissent ni décisifs, ni même parfaitement intelligibles. Ce sont, si je ne me trompe, de ces raisons comme on en trouve toujours après coup, le jour où l'on éprouve le besoin de justifier par une théorie une pratique où l'on se complaît. Un homme qui a tenu une place honorable parmi les humanistes de notre pays, M. Bernard Jullien, était, sur ce point, d'un avis tout opposé. Il allait jusqu'à condamner à priori toute traduction proprement nouvelle, prétendant que refaire les anciennes était le seul moyen que l'on eût d'arriver à en donner une bonne. C'était aller trop loin. Nous ne reprocherons pas à M. B. de ne s'être pas borné à corriger Limes et Belin de Ballu car leur système ne serait plus de mise aujourd'hui; c'est dire que ce qu'ils ont fait était à recommencer. Cependant, il suffit de jeter les yeux sur leurs traductions (on vient de voir que M. B. le reconnaît lui-même) pour y trouver des expressions justes, heureuses, et qui coïncident assez exactement avec l'original, pour pouvoir s'adapter sans violence à toute traduction exacte, telle qu'on les aime aujourd'hui, telle que les fait M. B. N'a-t-il pas dû arriver parfois que le nouvel interprète, alors qu'il venait de traduire un passage de manière à se contenter lui-même, ait ensuite sacrifié une expression qui se trouvait être la seule bonne, uniment parce que Limes ou Belin l'avait employée avant lui? Je ne citerai qu'un exemple, le premier qui me tombe sous les yeux. Il s'agit vers le commencement du quatrième livre des Cynégétiques, d'une fosse que l'on creuse pour prendre les lions. Asλepòv xács, dit Oppien. « Gouffre insidieux », traduit Belin de Ballu. Rien n'empêche de croire que M. B. avait d'abord trouvé le même mot. Quoi qu'il en soit, on ne peut s'empêcher de regretter qu'il ait cru devoir remplacer « gouffre insidieux », qui est joli, par « gouffre perfide » qui est banal et insipide.

Quand j'aurai ajouté maintenant qu'à mes yeux, lorsqu'il s'agit d'un Oppien, fût-ce même du meilleur des deux, c'est-à-dire d'un auteur qu'aucun homme un peu familier avec Homère ne peut lire dans fatigue dans le texte original, l'élégance soutenue et la rapidité de la traduction n'ont qu'une médiocre importance, et qu'en pareil cas l'exactitude qui rend le sens dans une phrase correcte vaut mieux qu'une beauté de forme qui serait elle-même une infidélité, j'aurai notablement réduit la portée des objections qui précèdent, et il ne me restera plus qu'à rendre justice à tout ce qui recommande le travail de M. B. Parmi

les écrits qui ont les Oppien pour sujet, M. B. paraît avoir mis à profit les plus récents, ceux de Ferdinand Peter, de Th. Henri Martin, de Th. Lohmeyer, d'A. Ausfeld. Grâce aux nombreux emprunts qu'il a faits, soit à ces travaux, soit à la traduction de Limes, grâce aussi à ses recherches personnelles, ses notes doivent renfermer, selon toute apparence, le meilleur commentaire continu sur la faune d'Oppien. Enfin, si j'en juge par les comparaisons que j'ai pu faire (Halieutiques, I, v. 1-55. Cynégétiques, IV, v. 77-110), sa traduction des Halieutiques (le plus important des deux poëmes) est infiniment plus exacte que celle de Limes, sa traduction des Cynégétiques, plus exacte que celle de Belin de Ballu: et encore serait-il juste de faire entrer en ligne de compte l'avantage marqué que leur système d'interprétation libre assure aux anciens traducteurs dans une telle comparaison. M. Bourquin dit avoir tiré grand parti de la version latine jointe à l'édition de Lehrs. Cependant il ne l'a pas suivie partout; et on ne peut que l'en louer car cette version ne paraît point irréprochable. Il est évident d'ailleurs que la sienne a été faite directement sur le texte grec: mérite qui naguère encore n'était pas si commun chez nous, qu'il n'y ait pas lieu de le signaler là où on le rencontre. Je n'ose promettre aux hellénistes philologues qu'ils devront à ce travail beaucoup de lumières nouvelles. Ils pourront regretter qu'il n'y soit fait nulle part mention des scholies dans la préface, ni, ce semble, dans les notes; et aussi que les difficultés du texte, que les variantes provenant soit de manuscrits, soit de conjecture, y soient si rarement discutées. Je pense du moins qu'ils n'y rencontreront pas ou n'y rencontreront que rarement de grosses erreurs. En somme, cet ouvrage fort estimable d'un véritable helléniste doit être recommandé, de préférence à tout autre, à ceux de nos compatriotes qui ne pourront ou ne voudront pas lire les deux Oppien en grec; et, pour ma part, je me rangerais volontiers dans l'une de ces deux catégories.

Ed. TOURNIER.

1. J'ajoute ici quelques remarques sur la traduction donnée par M. B. des premiers vers des Halieutiques. La plupart des critiques tombent également sur les autres versions, soit latines soit françaises, antérieurement publiées. Vers 4 : xúcty « l'abîme ». « L'étendue » ou « l'immensité » serait plus exact. - 5 : évéμeta: « va chercher sa pâture ». Le sens paraît être simplement « incolere ». Cf. évveμéfovtat, ib., I, 611 et III, 546. 8: xepozλéns, « fructueuse ». L'acception navoúpyou, qu'indique une scholie, est plus ordinaire dans la langue épique. — 11: áñòs dià μétpa dάoavto doit signitier, si je ne me trompe, « ils se sont partagé (ou simplement « ils ont conquis ») les espaces de la mer ». Ainsi disparaît la difficulté signalée avec raison par le nouveau traducteur.22 : Πολλοὶ δὲ τιταινόμενοι κατ' ὄρεσφιν Ἀργύρεοι ποταμοί. M. Β. parait être le pre mier interprète qui ait rendu exactement ces mots, assez faciles à entendre cependant. «Des sources en grand nombre au pied des montagnes » (Limes), extenti per montes (traduction jointe à l'éd. Lehrs) sont des faux-sens manifestes. Peut-être, cependant, << descendent >> est-il un peu faible pour rendre tita:vóuevo! qui rappelle le « laborat.... trepidare » d'Horace. - 26. J'ai quelques doutes relativement à la traduction du mot

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164. - The Language and Literature of the Scottish Highlands, by John Stuart BLACKIE, Professor of Greek in the University of Edinburgh. Edinburgh, Edmonston and Douglas. 1876, x1-331 p. in-12. Prix : 7 fr. 50.

L'objet de ce livre est d'inspirer au public anglais et anglo-écossais (des Basses-Terres d'Ecosse, Lowlands) de l'intérêt et de la sympathie pour le peuple, la langue et la littérature des Hautes-Terres d'Ecosse (Highlands). Cette cause ne pouvait trouver un meilleur avocat que M. Blackie, à la fois érudit, poète, homme au cœur ardent, et, qui plus est, converti. M. B., en effet, est un Ecossais des Basses-Terres, professeur de grec à l'Université d'Edimbourg, qui s'était mis à l'étude du gaélique par curiosité pendant ses villégiatures dans les Highlands, mais qui, peu après, enthousiasmé des beautés de la langue et des mérites du peuple qui la parle, est devenu plus Gael que les Gaels eux-mêmes. C'est lui qui, pour combler une lacune dans l'enseignement des universités écossaises, a voulu faire établir une chaire celtique à Edimbourg et a mis en train une souscription nationale qui en fît les frais. Il fallait 10,000 livres (250,000 fr.); on les a recueillies, et la chaire va être fondée : l'honneur de cette création reviendra à l'initiative et à l'activité de M. B.

Le public anglais ne connaît guère de l'Ecosse celtique que son costume, les traditions de sa vie de clan et les souvenirs de Culloden: M. B. veut lui en faire connaître davantage. Résumons rapidement son livre : Ch. rer. La langue. M. B. raconte le cours de ses études et de ses lectures gaéliques, plaide pour l'enseignement du gaélique dans les écoles de la partie celtique du pays, engage les propriétaires à étudier cette langue pour ne pas être étrangers à leurs tenanciers qui souvent sont leur clansmen. Pour faire voir que ce n'est pas une langue de sauvages, M. B. montre ses rapports avec les autres langues indo-européennes, principalement avec le grec, le latin et les langues germaniques. Ces pages sont écrites pour les gens du monde, et on aurait mauvaise grâce à si

pta; mais je reconnais que, dans l'état actuel du texte, elle paraît la plus naturelle. — 35: åτéxμaptoι pèv že0λot me paraît signifier «< des épreuves (les tempêtes) que rien ne leur fait prévoir ». C'est dire que je préfère ici la traduction de Lehrs, improvisa certamina, à celle de M. B., « quelle incertitude dans le succès de leurs travaux ! » — 38: ǎozeta papɣalvovtt, « insatiable dans ses fureurs. » Je crois que « irrésistible » serait plus exact. 41: doúpast d'èv Baicist. « Sur quelques planches. » Le sens me paraît être plutôt «< de frêles planches. » Au même vers, deλáwv lepánovτeg est certes une bien ridicule expression. Mais c'est trop corriger son original que de traduire «< Exposés aux caprices des tempetes. » - 44 : Τρομέουσι μελαινόμενον πόρον ἅλμης, « ils -44: redoutent les voies ténébreuses de la mer ». Non : mais «< ils tremblent à l'aspect de la mer qui s'assombrit. » Le traducteur a trop pressé le sens de ópov, et méconnu celui du participe présent μελαινόμενον. - 45 : Φοιταλέων ἀνέμων est pittoresque, et méritait une meilleure traduction que « la rage des vents ». J'en dis autant de Bλocupñs δυσδερκέα δείματα λίμνης Κήτεα, rendu par « monstres hideux, redoutables enfants de la terrible mer ». - 55: Kal dováncsot n'est pas traduit. La faute en est peut-être aux imprimeurs.

gnaler quelques erreurs philologiques que l'étude de Zeuss aurait épar gnées à M. B. ; il faut, au contraire, savoir gré à M. B. de combattre les rapprochements avec l'hébreu et les systèmes d'étymologie fantaisistes qu'il appelle courageusement «< du Charenton tout pur» (This is mere Bedlam).

Ch. 1. Epoque pré-chrétienne et moyen âge. - « L'époque pré-chrétienne » n'est là que pour mémoire, et aussi « le moyen âge. » L'Ecosse n'avait alors d'autre littérature que celle de l'Irlande dont M. B. ne parle pas. Il commence avec les chants du ms. du doyen de Lismore, qui ne peuvent être reportés dans le moyen âge que par une licence poétique, puisque le collecteur de ces chants est mort en 1551. Mais M. B. y voit, et non à tort, les derniers spécimens de la littérature bardique de l'Ecosse d'avant la Réforme. M. B. donne la traduction en vers anglais de plusieurs pièces de ce recueil : il convient pourtant lui-même (p. 77) qu'il y a là peu de vraie poésie, que ces chants ne méritent pas une place bien élevée quand on les compare aux ballades populaires de l'Ecosse anglaise, de l'Allemagne, de la Serbie ou de la Grèce moderne, et que leurs auteurs étaient moins de vrais poètes que des bardes de profession, attachés à de grandes familles et qui chantaient plus par profession que par inspiration.

Ch. I. Depuis la Réforme jusqu'à Macpherson. — C'est la revue des poètes plus ou moins originaux qui ont flori dans les Highlands depuis la fin du xvIe siècle jusqu'à la fin du XVIIIe. Les figures les plus remar quables de cette galerie sont Marie Macleod, Alexandre Mac Donald (le Koerner de la Rébellion de 1745), Duncan Mac Intyre et Rob Donn. M. B. traduit (en vers) les pièces les plus caractéristiques de chaque poète. La plus originale est le Chant des Renards, invocation à la fois plaisante et pathétique contre un ennemi commun, envahisseur des Highlands le mouton. L'émigration écossaise (dans le NouveauMonde) qui a commencé à la fin du dernier siècle, a pour cause l'expulsion des tenanciers et la transformation des terres en pâturage pour l'élève du bétail : c'est ce que M. B. appelle quelque part remplacer des hommes qui ne rapportaient pas, par des bestiaux qui rappor

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Ch. IV. Macpherson et la question ossianique. Ceci était la tâche la plus délicate de M. B., parler d'Ossian sans offenser la critique historique et sans offenser les Highlanders dont il s'est fait l'avocat. Pour beaucoup d'Highlanders, l'Ossian de Macpherson et la Bible sont deux livres également sacrés, l'un sacré par le patriotisme, l'autre par la religion,

1. Une philologie plus sévère aurait même permis à M. B. de donner l'explication rationnelle de nombreux faits du langage: si dain est le génitif de dan (p. 44), c'est que ce génitif de flexion interne est pour une ancienne forme *dani contractée en un monosyllabe par la force de l'accent. - De même le t qui précède les noms commençant par une voyelle, an-t-uisge, « l'eau, » n'est pas euphonique (p. 49); il appartient à l'article qui était anciennement int.

mais tous deux également. C'est un respect traditionnel, une admiration convenue, car on ne lit plus l'Ossian de Macpherson, M. B. en fait l'aveu, pas plus qu'en Allemagne on ne lit la Messiade de Klopstock. Bien peu de personnes, dit M. B., s'intéressent aujourd'hui à la question ossianique; quelques Highlanders enthousiastes et quelques érudits qui aiment les problèmes de l'histoire littéraire.

M. B. résume l'histoire des publications de Macpherson et de la controverse qu'elles ont soulevée; il le fait le plus rapidement et le plus discrètement possible. Sa conclusion est que Macpherson a composé son Ossian avec des morceaux authentiques, les soudant, les arrangeant, les embellissant même, le tout de la meilleure foi du monde, et pour la plus grande gloire de son œuvre. M. B. compare Macpherson à un sculpteur (il vaudrait mieux dire un archéologue) qui, trouvant dans des fouilles des débris de chefs-d'oeuvre antiques, ferait une statue unique de ces fragments, les forçant, à coups de ciseau et de marteau, à s'adapter les uns aux autres. Les longs poëmes de Fingal et de Temora semblent même à M. B. sortis d'une inspiration tout individuelle, et M. B. les regarde comme l'œuvre sinon de Macpherson, du moins de quelque Highlander lettré. Il serait intéressant de chercher et de retrouver dans l'œuvre de Macpherson, les fragments authentiques qu'il y a insérés, de même que (pour suivre la comparaison de M. B.) les archéologues cherchent aujourd'hui à faire l'histoire des têtes et des bras rapportés avec lesquels les artistes de la Renaissance ont fabriqué des statues antiques; mais M. B. ne s'est pas donné cette tâche.-M. B. exprime sa pensée en termes dont le patriotisme des Highlanders ne peut être blessé : « Quelle que soit l'authencité de l'Ossian de Macpherson, dit-il, cette question d'origine ne touche pas au mérite poétique qu'on peut, chacun suivant son goût, reconnaître à l'œuvre. Elle n'en est pas moins une œuvre de l'inspiration celtique, puisque, à tout prendre, Macpherson était un Celte. » Ch. v. La littérature gaélique dans ses dernières phases; poésie et prose. Ce dernier chapitre est l'histoire d'une décadence. M. B. cite quelques noms de poètes les plus remarquables de leurs œuvres sont inspirées par l'amour, ce sujet toujours jeune, ou par l'émigration, cette grande tristesse des Highlands dans notre siècle. Voilà pour la poésie. Quant à la prose, elle n'est représentée que par quelques rares ouvrages parmi lesquels le Caraid nan Gaidheal « l'ami des Gaels » du Dr Norman Macleod est le plus remarquable, et quelques recueils périodiques courageusement tentés et bientôt abandonnés. Comme spécimen de prose gaélique, M. B. traduit le Navire Emigrant du D' Norman Macleod, un modèle de narration pathétique. La littérature homélitique des Highlands est rarement confiée à l'impression : « Si grande, dit M. B., que soit la puissance de prédication des ministres des Hautes-Terres, peu de sermons ont été imprimés. » Nous ne pensons pas que personne s'en plaigne.

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Cette décadence de la poésie tient à plusieurs causes. D'abord, la reli

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