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Jean de Vienne et son contemporain Bertrand du Guesclin, entre celui que les chroniqueurs du xive siècle ont surnommé le bon amiral et celui qu'ils ont surnommé le bon connétable. L'auteur les montre animés l'un et l'autre « de ce sentiment patriotique qui devait, à la longue, fonder la grande unité française, » et vante en un excellent langage l'égal dévouement avec lequel, dans des carrières diverses, ils servirent la «< cause de l'indépendance nationale, confondue avec celle de la royauté, et contribuèrent à relever la France des désastres qui semblaient devoir entraîner sa ruine. » Puisque nous en sommes aux rapprochements, je constaterai que, par une double bonne fortune, notre littérature historique vient de s'enrichir, presque en même temps, d'une remarquable biographie des deux grands capitaines qui, l'un sur terre, l'autre sur mer, rendirent à notre pays sa prépondérance, et désormais, quand on voudra sérieusement étudier le règne de Charles V, on ne devra pas plus négliger le Jean de Vienne de M. de L. que le Bertrand du Guesclin de M. Siméon Luce.

Ce n'est pas seulement la vie si peu connue du premier de nos grands amiraux qui est retracée fort exactement dans le livre que j'examine, mais encore l'histoire de notre marine au xive siècle. Cette marine fut, pour ainsi dire, créée par Jean de Vienne qui, pendant plusieurs années, en fit le constant objet de ses préoccupations. Nous avons pu, dit trop modestement l'auteur (p. 7), « jeter quelque lumière sur ce sujet en consultant un grand nombre de titres recueillis soit au dépôt de la marine, soit aux archives nationales, soit principalement dans les diverses collections de la Bibliothèque, qui ont été récemment complétées par le classement de plusieurs milliers de pièces provenant de l'ancienne cour des comptes, qu'il n'avait pas été possible d'utiliser jusqu'ici. » Grâce à tous les documents inédits mis en œuvre par M. de L., nous possédons sur Jean de Vienne un travail aussi nouveau que solide, et comme le consciencieux écrivain n'a pas manqué de puiser largement aussi dans les chroniques françaises ou anglaises (notamment, pour ces dernières, dans les chroniques de Walsingham et de Knygthon), on peut donner encore à son travail cet autre éloge, qu'il est à peu près complet.

Je ne suivrai pas M. de L. dans les douze chapitres qu'il consacre successivement à l'origine de Jean de Vienne et à ses premières armes; à la croisade de Constantinople et aux campagnes de 1369 à 1373; à Jean de Vienne devenu amiral de France et à la marine royale; au siège de SaintSauveur et à la campagne d'Allemagne ; à la campagne navale de 1377; au siège de Pont-Audemer, au combat naval de Cherbourg, aux campagnes maritimes de 1378 et 1379; au voyage d'exploration des Normands, à la campagne de 1380; à l'avènement de Charles VI, aux troubles intérieurs, aux campagnes de Flandre, 1382-1383; à l'expédition d'Ecosse; aux armements maritimes de 1386 et 1387; aux deux voyages de l'amiral en Espagne et à l'expédition de Barbarie; aux négociations

diverses de l'amiral, notamment en Italie (1), et à sa mort au combat de Nicopolis (26 septembre 1396), où, selon le témoignage de Froissart, il << fit merveilles d'armes, » et fut trouvé tenant encore « la bannière Notre-Dame entre ses poings. » Je me contenterai d'emprunter à ses récits certaines indications qui donneront quelque idée des ressources offertes par ces substantiels récits aux historiens et biographes jaloux de bien faire. Ce ne sont pas seulement les vieux historiens Gollut, Dunod, Guichenon, qui ont prétendu que l'amiral Jean de Vienne défendit (1347) la ville de Calais contre Edouard III; ce sont aussi des érudits, nos contemporains, des érudits qui répétaient même en 1877 ce qu'ils avaient lu, sur ce point, dans la Biographie universelle 2, laquelle a respectueusement copié le Dictionnaire de Feller. Il importe donc de rappeler avec M. de L. (p. 10) que le gouverneur de Calais était un autre Jean de Vienne, oncle de l'amiral. M. de L. serait tenté de croire (p. 13) que << si l'on veut trouver le véritable héros du siège de Calais, il faut, à côté d'Eustache de saint-Pierre, et peut-être avant lui placer ce généreux Jean de Vienne, qui, après avoir été l'âme de la résistance des Calaisiens, devint le principal agent de leur salut en déclarant qu'il était prêt à tout endurer et à périr plutôt que de livrer le moindre d'entre eux, et qui s'offrit lui-même avec une si admirable simplicité à la vengeance du roi anglais. » M. de L. nous dit (p. 36, note 1) que les historiens ne sont pas d'accord sur la date de la création de l'ordre de l'Annonciade, placée, par la plupart d'entre eux, en 1362 et même antérieurement. La liste des premiers titulaires ne lui permet pas, ajoute-t-il, de la fixer à une autre époque qu'en 1366. Après avoir, à cet égard, victorieusement combattu l'opinion générale, M. de L. ne combat pas moins victorieusement l'opinion particulière du P. Anselme, mettant en 1383 la collation qui aurait été faite à Jean de Vienne du collier de l'Annonciade 3.

M. de L., d'accord avec l'éminent auteur de l'Histoire du château et des sires de Saint-Sauveur-le-Vicomte 4, établit contre Froissart, imprudemment suivi par M. Henri Martin 5, que ce n'est pas à Du Guesclin qu'il faut attribuer l'honneur d'avoir expulsé les Anglais de cette place forte, mais bien à Jean de Vienne 6.

1. Aucun historien français n'a signalé la mission de Jean de Vienne en Italie, mission attestée par les historiens italiens.

2. Je ne parle pas de la Nouvelle Biographie générale, où l'on n'a pas daigné accorder le plus petit article à un de nos plus grands hommes de mer.

3. Plus loin (p. 65) l'auteur relève une autre erreur du P. Anselme, lequel donne, aux lettres du 27 décembre 1373, par lesquelles Jean de Vienne fut pourvu de la charge d'amiral, la date du 27 septembre de la même année.

4. Je suis tout heureux de rappeler que la Revue critique fut des premières à signaler le mérite exceptionnel du travail de M. Léopold Delisle (n° du 28 septembre 1867, p. 200-202).

5. M. de L. trouve encore M. H. Martin en faute au sujet d'une émeute à Rouen (p. 171, note 2).

6. Voir d'autres objections à certains récits de Froissart, p. 108, note 3; p. 225, note 2; p. 249, note 3.

Les pièces justificatives sont au nombre de cent soixante-quinze. La plupart étaient inédites. M. de L. en a emprunté quelques-unes aux Mandements de Charles V, publiés par M. L. Delisle; mais, dans ce cas, il s'est presque toujours contenté d'en donner une brève analyse. Quelques-uns des documents inédits retrouvés par M. de L. sont relatifs au siège du château de Saint-Sauveur, et, par là, son recueil complète celui du savant académicien.

Je pourrais, à la rigueur, signaler, dans l'étude sur Jean de Vienne, quelques signes de l'inexpérience de l'auteur (je crois que c'est là le premier ouvrage de M. de Loray). Mais, outre qu'il faut toujours être indulgent envers un débutant, il faut surtout être indulgent envers qui nous a, du premier coup, beaucoup donné. Au lieu d'insister sur quelques tâtonnements d'une main si ferme presque partout ailleurs, j'aime mieux laisser le lecteur sous la bonne impression d'une citation qui fait honneur à l'écrivain comme à son héros (p. 8): « Quant à nous, nous avons été suffisamment récompensé de nos recherches, sinon par le résultat obtenu, du moins par l'intérêt qui s'y attachait. On rencontre, dans nos annales nationales, peu de physionomies plus sympathiques que celle de ce Jean de Vienne, tour à tour heureux homme de guerre, marin intrépide, négociateur habile, sage conseiller, qu'on voit, pendant près de quarante années, suivre avec une rare fidélité la fortune de la France, s'associer à toutes les généreuses entreprises, embrasser toutes les nobles causes et jouir de l'estime de tous les grands hommes de son temps. Les malheurs qui fondirent sur la France après lui anéantirent jusqu'aux traces de son œuvre, mais ils ne doivent pas la faire méconnaître, et notre temps ne doit pas oublier que ce vaillant capitaine qui adopta la France, alors que sa patrie première en était encore séparée, paya son adoption par les plus signalés services, et devint non-seulement le créateur de la marine française, mais qu'il en fut encore, par son caractère, l'honneur et le modèle. »

T. DE L.

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194. Des cinq escollers sortis de Lausanne bruslez à Lyon. Genève, imprimerie Jules-Guillaume Fick, 1878, 213 p. petit fol. — Prix : 20 fr.

Il y a peu de temps seulement que nous avons rendu compte ici d'une publication nouvelle de l'imprimerie Fick, de Genève, et déjà nous recevons un nouveau volume qui surpasse ses devanciers en magnificence typographique. C'est l'histoire tragique des cinq étudiants de Lausanne, brûlés à Lyon, en 1553 que M. G. Revilliod a fait réimprimer en un splendide volume d'après l'Histoire des Martyrs de Crespin 1. Ces cinq jeunes gens ils étaient six d'abord, mais l'un d'eux fut relaxé plus tard

1. Edition de Genève. Hubert, 1619, fol.

étaient venus à Lyon pour y répandre les idées de la Réforme. Emprisonnés le 4 mai 1552, ils furent traduits devant les tribunaux ecclésiastiques, malgré l'intervention de Messeigneurs de Berne, et brûlés vifs le 16 mai 1553. Ils s'appelaient Martial Alba, Pierre Escrivain, Bernard Séguin, Charles Faure et Pierre Navihères. Ils montrèrent beaucoup de courage pendant leur séjour en prison et moururent avec sérénité dans les flammes, après s'être fait de touchants adieux. M. Revilliod a joint au récit de Crespin les lettres et autres pièces déposées à la bibliothèque Vadiane de Saint-Gall par Jean Liner, marchand en cette ville, qui, pendant son séjour à Lyon, avait fait de généreux mais vains efforts pour faire relaxer les prisonniers. Ces documents avaient été publiés déjà en 1854, à Genève, mais l'éditeur les a soumis à une révision attentive, avant de les remettre au jour.

En attendant cette réimpression nouvelle de l'Histoire des Martyrs que la critique réclame depuis longtemps dans l'intérêt de l'histoire du protestantisme français, on ne peut qu'accueillir avec reconnaissance des reproductions partielles de ce Livre d'Or de la Réforme en France. Ce sentiment ne pourra que s'accentuer davantage si des publications de ce genre se présentent avec d'aussi splendides dehors. Le volume de M. Revilliod rappelle, à s'y méprendre, les plus belles impressions genevoises du xvie siècle, par le papier, les caractères et le format. Nous ne pouvons que féliciter M. Edouard Fick de continuer aussi dignement les traditions paternelles et solliciter de lui la continuation de la série des travaux, si nombreux déjà, qu'il a fait paraître sur l'histoire religieuse du XVIe siècle.

R.

195. — Geschichte des dreissigjaehrigen Krieges, von Anton GINDELY. Band II-III. Prag, Tempsky, 1878, xvi-442, XII-496 p. in-8°. · Prix: 20 fr.

Enfin nous pouvons annoncer la suite du grand ouvrage de M. Gindely sur l'histoire de la Guerre de Trente Ans. Il y a huit ans déjà que nous rendions compte du premier volume, qui fut si favorablement accueilli par la critique et nous craignions déjà de ne plus voir paraître les autres. Pendant longtemps la maladie, d'autres travaux, des recherches nouvelles, avaient détourné le savant professeur de l'Université de Prague de ce travail capital; l'apparition d'un second, et, bientôt après, d'un troisième volume est venue nous rassurer sur la continuation de l'ouvrage, et nous espérons que leurs successeurs se suivront désormais avec une rapidité plus grande.

Nous avons eu déjà l'occasion de dire autre part que l'ouvrage de M. G. est le premier tableau d'ensemble de la lutte trentenaire, entrepris de nos jours et satisfaisant aux exigences d'une critique sérieuse. Plus le nombre des monographies relatives à cette époque augmente- et l'on

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peut les compter aujourd'hui par centaines plus on éprouve le besoin d'un fil conducteur au milieu de ce labyrinthe d'écrits si souvent contradictoires. Les ouvrages généraux sur la guerre de Trente Ans ne satisfont en aucune manière aux exigences que l'on peut, à bon droit, formuler à l'égard de travaux de ce genre. Ce sont ou bien des résumés, assurément bien faits, comme celui de M. Rawson Gardiner, mais trop courts pour être utiles aux travailleurs, ou même faussés par un violent esprit de parti, comme celui de M. Keym. Je ne parle point d'écrits plus anciens, comme ceux de Mobold, de Krause, de Schmidt ou de Sporschil, qui sont des compilations mal faites et sans aucune valeur.

Un seul homme, travailleur modeste, mais resté presque inconnu, même parmi ses collaborateurs, M. J. D. Richter, d'Erfurt, avait essayé, voilà bientôt trente ans, de répondre aux voeux alors déjà formulés par le public. Il s'était mis à rédiger une Histoire de la guerre de Trente Ans, 1 qui, malgré bien des lacunes, était un travail consciencieux et méritait d'être. plus utilisé qu'il ne l'a été depuis. Le modeste professeur du gymnase d'Erfurt n'avait ni les moyens, ni les loisirs d'explorer les archives de l'Europe; elles ne s'ouvraient pas si facilement d'ailleurs, il y a trente ans, aux travailleurs que recommandait leur seul mérite. Mais il avait soigneusement dépouillé tous les textes et recueils imprimés qu'il avait pu se procurer, et son ouvrage, bien que vieilli et démodé de nos jours, était assurément le meilleur que l'on pût consulter sur la matière. Malheureusement M. Richter, découragé par le peu de succès de ses premiers volumes, arrêta son travail à la fin de la guerre de Bohême, en 1620, et ne continua point ses recherches.

Grâce à M. G., tous ces ouvrages peuvent reposer tranquillement désormais dans la poussière des bibliothèques, car son livre les rend inutiles, à une condition pourtant, c'est qu'il lui sera donné de le mener à bonne fin. Les trois volumes de l'Histoire de la guerre de Trente Ans n'embrassent qu'une période de trois années, et vu le nombre d'années mis à les produire, on ne peut s'empêcher d'une certaine inquiétude, toute flatteuse d'ailleurs pour le professeur pragois, en songeant aux vingtsept années dont il lui reste encore à raconter l'histoire. Espérons que les travaux préliminaires une fois achevés, nous n'aurons point à subir d'autres retards et que la première histoire scientifique de la lutte trentenaire ne sera point condamnée à rester un torse inachevé.

Deux mérites surtout distinguent le récit de M. Gindely. L'un, c'est l'impartialité sereine avec laquelle il traite son sujet, exerçant une égale justice envers les divers personnages qu'il rencontre sur son chemin. Protestants et catholiques, Impériaux et Bohêmes sont appréciés, non-seulement sans esprit de parti, mais avec une hauteur de vues qui caracté rise le véritable historien. C'est un fait d'autant plus méritoire que M. G.,

1. J. D. W. Richter, Geschichte des dreissigjachrigen Krieges aus Urkunden, Leipzig u. Erfurt, 1840-1852, 5 vol. 8".

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