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l'autre un récit entremêlé de citations, et un recueil de pièces inédites. Les citations du premier volume sont toutes empruntées au second, ce qui diminue l'intérêt du recueil de pièces. Les érudits seuls le consulteront, et ils se plaindront que la plupart des lettres et dépêches qu'il contient soient tronquées, parce que M. Ch., se préoccupant avant tout de Retz et du Chapeau, a soigneusement éliminé ce qui concerne la grande histoire. De plus, M. Ch. a rarement pris la peine d'indiquer les sources, ou du moins ses indications vagues rendent les vérifications très-difficiles. La précaution n'est pourtant pas superflue quand il s'agit de documents publiés pour la première fois, et nous étions en droit d'attendre une courte notice bibliographique. Il en est de même pour la correspondance inédite de Retz et de l'abbé Charrier. M. Ch. se contente de dire en note (tome I, p. 60) qu'il a trouvé dans les archives de la famille Charrier cette correspondance qui est aujourd'hui sa propriété ; c'est bientôt dit, mais comment se fait-il que Charrier ait conservé des pièces de cette nature? Qui les a déchiffrées ? Pourquoi Retz ne les a-t-il pas réclamées, soit à l'abbé lui-même, soit à ses héritiers après 1667? Pourquoi enfin ces papiers n'ontils pas été communiqués à Grouvelle, à Musset-Patay, à Monmerqué, à MM. Champollion? Autant de questions qui méritaient sans doute une réponse, et que M. Ch. ne paraît même pas s'être posées. Il ne saurait y avoir le moindre doute sur l'authenticité des pièces quand on a lu cette correspondance, mais cependant il fallait donner quelques explications, car un auteur n'a pas le droit de dire, comme certain éditeur mort il y a quelques années : « Ces pièces sont authentiques, je l'affirme, et nul ne doutera de ma parole. >>

A ces critiques de fond s'en joint nécessairement une autre : il ne devrait être question dans le livre de M. Ch. que de l'affaire du Chapeau, et cependant, en bien des endroits, c'est une histoire de la Fronde parisienne que nous avons sous les yeux. M. Ch. y parle de la reine, de Mazarin, de Condé et de Gaston d'Orléans autant et plus que du coadjuteur lui-même; les citations de Motteville, de Gui-Joly et autres écrivains non moins connus s'entremêlent aux fragments de dépêches inédites, sans qu'il soit toujours facile d'établir une distinction; le véritable sujet apparaît seulement au milieu de l'ouvrage, à la page 263 d'un livre qui en compte 480, et la première moitié tout entière n'est qu'un préambule où se trouve raconté, comme s'il s'agissait de faits nouveaux, et très-souvent sans indications de sources, ce que tout le monde sait de la Fronde. Mais une fois qu'il est « arrivé au cœur de la question >>> (p. 263), M. Ch. se meut avec une aisance remarquable, et l'on voit qu'il possède véritablement son Retz. Aussi les chapitres qui suivent sont-ils parfaitement composés; il y a plaisir à suivre un auteur qui connaît si bien la cour d'Innocent X, le sacré collège et les principaux ministres du pape, la signora Olimpia et la princesse Rossano, sans compter Paul de Gondi, ses amis de Paris et de Rome et en enfin ses adversaires comme Montreuil et la bailli de Valençay. N'était le ton par

fois un peu familier du récit, on croirait lire du Mignet. La lecture des sept derniers chapitres, les seuls qui soient vraiment neufs, suffit à faire comprendre toute l'importance de l'ouvrage. Malheureusement il semble que l'auteur ait éprouvé à la fin une sorte de lassitude; autant il avait mis de complaisance à faire connaître les préliminaires, autant il en met peu à montrer les conséquences de la nomination de Retz par le pape. Quinze pages lui suffisent pour nous mener du 19 février au 19 décembre 1652, et cependant que d'événements se sont succédé entre ces deux époques, la défection de Condé, la bataille du faubourg Saint-Antoine, les massacres de l'Hôtel-de-Ville, que sais-je enfin? M. Ch. fatigué glisse sur ces événements, et il faut le regretter, car c'est alors surtout que la lutte secrète des deux cardinaux est intéressante. Mais l'historien de Retz ne s'est pas senti soutenu comme il l'avait été jusqu'alors: plus de correspondance inédite avec l'abbé Charrier, plus de documents inédits soit aux Archives, soit dans les bibliothèques; il a mieux aimé cette fois couper court et garder le silence que de reprendre, après tant d'autres, le récit de la Fronde. C'est d'ailleurs ce qui arrive presque toujours dans ces sortes d'études : on éclaire très-vivement une partie du sujet, et l'on est obligé de laisser dans l'ombre tout le reste; cette ombre devient alors d'autant plus épaisse que la clarté répandue sur un seul point avait été plus grande.

Voilà pour l'ensemble de l'ouvrage, et l'on conviendra que ces diverses critiques lui ôtent fort peu de sa valeur; c'est beaucoup d'avoir su trouver une pareille masse de documents nouveaux et de les avoir mis en œuvre comme l'a fait M. Ch. à la fin de son premier volume. Venons maintenant aux critiques de détail qui ne sauraient être bien nombreuses quand il s'agit d'un livre si longuement et si soigneusement élaboré.

M. Ch. vantant, d'après la Gazette (p. 16), la grande éloquence du coadjuteur, me paraît prendre cette bonne Gazette un peu trop au sérieux; elle distribue ainsi les louanges à tous les orateurs de marque, et avant d'élever Retz même au-dessus du P. Sénaut, il faudrait citer de lui quelques fragments de sermons véritablement éloquents. Il nous semble, en outre, que M. Ch., qui « n'aime pas à être dupe, » comme disait Sainte-Beuve, ait tendance, quand il s'agit de Retz, « à faire le fin outre mesure. » Il dépeint, sous les plus noires couleurs (p. 43 et sq.), « l'indigne élève du vénérable Vincent de Paul,» il le représente, ou peu s'en faut, comme un parfait scélérat, et cela pour dire aussitôt qu'il « n'était

1. Les locutions trop familières abondent dans l'ouvrage de M. Ch.; en voici quelques unes : « Le coadjuteur s'était étudié lui-même à fond et à triple fond (p. 25). Tel était le sacré collège au moment où Retz se donnait tant de mal pour en faire partie (p. 307). Le gallicanisme et le jansénisme étaient les bêtes noires de Chigi (p. 308). Les courriers devaient coûter des sommes folles (p. 318). Montreuil aimait les femmes à la folie (p. 377). Le bailli de Valençay demandait à cor et à cri son rappel (p. 387), >>> etc.

pas si noir au fond qu'on se le pourrait imaginer. » C'est «< un Italien du temps de Machiavel » (p. 48), et cependant, dit M. Ch., « personne dans le vice ne conserva plus de respect que Retz pour la vertu. » Le coadju. teur est incapable d'une action basse et honteuse » (Ibid.), et pourtant nous lisons à la p. 131 : « S'il faut en croire Mazarin, le coadjuteur aurait formé le projet de l'assassiner pour se rendre maître du pouvoir. Mazarin ne fournit aucune preuve de son accusation, mais pour qui a scruté le caractère de Retz, elle n'a rien que de fort vraisemblable. » Plus loin (p. 195, 222, 260), M. Ch. admet que Retz a proposé sérieusement de faire assassiner Condé; il déclare enfin que ce grand cœur, cet homme incapable d'une action basse, sera, jusqu'au dernier soupir, le plus endurci des hypocrites, et il traite de naïfs ceux qui, comme Bossuet et Sévigné, ont cru à l'amendement sincère de Retz; comment concilier de pareilles contradictions?

M. Ch. dit en passant (p. 273) que Mazarin n'était pas prêtre, comme l'ont supposé à tort « quelques érudits » ; mais la question n'est pas si facile à trancher pour ceux qui savent que Mazarin fut abbé de Saint-Denis, évêque de Metz et président des assemblées générales du clergé de France. C'eût été le cas de faire une digression utile, et d'accorder un mot d'estime à M. Jules Loiseleur, qui mérite bien d'être désigné autrement que par un « quelques érudits ».

Nous avons dit au commencement qu'il y a de nombreux inconvénients à scinder un ouvrage en deux parties; la preuve en est que M. Ch. est obligé, quand il veut parler avec quelques détails de la correspondance de Retz avec l'abbé Charrier, d'emprunter à son second volume tout ce qu'il a de plus intéressant ; mais alors même, il tronque les citations pour ne pas trop déflorer ce second volume. La chose est parfois fâcheuse, par exemple pour la grande lettre de Retz à Charrier relativement au jansénisme, et à ce propos nous relèverons quelques erreurs de M. Ch. On sait que Retz a regretté de ne pouvoir insérer cette lettre dans ses Mémoires; M. Ch. « plus heureux » en a découvert et publié le premier une copie faite, dit-il, en 1652, par les jansénistes à qui le coadjuteur avait montré sa lettre. Non moins heureux que M. Ch., nous en avons sous les yeux deux copies du temps, et nous pouvons affirmer que les jansénistes ne l'avaient pas copiée en 1652. Cette lettre est tout entière dans Hermant, que M. Ch. dédaigne sans le connaître, et ce savant chanoine affirme dans ses Mémoires que les jansénistes, ses amis, ont connu cette lettre seulement en 1660 1. L'autre copie que nous avons entre les mains est meilleure que celles de MM. Sainte-Beuve et Ch., car elle permet de corriger d'assez grosses fautes de transcription. Ainsi l'on peut lire dans le texte imprimé par M. Ch. : « Je vous prie de les faire connaître aux personnes qui vous ont entretenu sur cette matière,

1. Mémoires inédits, XXIII, 17.

pour le moindre desquels j'ai trop de respect 1... » Notre copie donne : pour le mérite desquels... et c'est la véritable leçon. A la page suivante, dans M. Ch., il est question de je ne sais quelle « paix des concitoyens » qui n'a point de sens, alors qu'il faut lire : paix des consciences, etc.

Le coadjuteur disait dans cette lettre (p. 94): « J'ai fait des mandements publics et imprimés sur ce sujet; j'ai interdit des prédicateurs, etc. » M. Ch., qui écrit publiés au lieu de publics, ajoute en note : « Si le coadjuteur a fait des mandements sur ce sujet, il nous a été impossible de les découvrir. » Mais ici la perspicacité de M. Ch. est un peu en défaut. Comment un simple coadjuteur peut-il publier des mandements? Il est plus que probable qu'il a la peine de les faire, mais c'est l'archevêque qui les publie et qui les signe. Retz fait ici allusion à deux mandements de son oncle que nous avons sous les yeux, l'un du 4 mars et l'autre du 11 décembre 1643, pour la publication d'une bulle d'Urbain VIII. Ce dernier mandement est curieux; il est en latin et en français, et le texte latin, qui pouvait être vu à Rome, contient une phrase très-importante que Retz a fait supprimer dans le texte français. L'un des prédicateurs interdits est Singlin, et les Mémoires d'Hermant font bien ressortir le double jeu du coadjuteur en cette circonstance. Ces mêmes mémoires, que M. Ch. a appelés quelque part une œuvre de seconde main, sont excellents à consulter quand on veut connaître l'histoire de Retz, et en voici la preuve. « Quelques uns ont cru, dit Hermant, que la nomination [de Retz au cardinalat] n'avait jamais été sincère, et qu'il y avait des ordres secrets de la traverser à Rome. Mais ceux qui ont vu les choses de plus près et qui ont eu part aux négociations les plus secrètes de M. le bailli de Valençay, notre ambassadeur, assurent que le cardinal Mazarin l'avait prié lui-même pour faire obtenir ce chapeau au coadjuteur de Paris, et que ces ordres secrets se réduisaient uniquement à laisser un peu traîner cette sollicitation jusqu'à ce que celui à qui on procurait cette dignité eût rendu à l'Etat des services plus considérables. Quoi qu'il en soit, l'abbé Charrier ayant été envoyé à Rome et y étant arrivé au mois d'octobre 1651 pour solliciter l'effet de cette nomination, elle fut inutilement traversée par le sieur Montreuil, dépêché par M. le prince de Conti, qui demandait un chapeau pour lui-même sans être nommé par le Roi. Le pape Innocent X, qui n'aimait pas le cardinal Mazarin, et qui non seulement voulait empêcher son retour en France, mais avait aussi dessein de lui mettre un homme en tête pour ruiner son grand crédit, hâta d'autant plus cette promotion après le retour du cardinal Mazarin auprès du roi, qu'il craignait qu'elle ne fût révoquée par le roi. Le grand duc de Florence rendit aussi en cela de très-bons offices à M. le coadjuteur de Paris, en considération du bailli de Gondi, son secrétaire. Enfin cette promotion se fit le 19 février 1652...» Voilà en

1. Tome II, p. 93. - Le masculin se rapportant au mot personne est perpétuellement employé au xvn siècle.

quelques lignes tout l'ouvrage de M. Ch. et l'on peut voir que le chanoine Hermant, écrivant ce chapitre vers 1676, du vivant de Retz, avait eu connaissance même des dépêches secrètes du bailli de Valençay.

Mais il serait fastidieux de pousser plus loin cette critique de détail; contentons-nous de relever encore au passage une ou deux inadvertances comme celle-ci : « le véridique Joly » (I, p. 274); Gui Joly est fort peu véridique en général. M. Ch. convient plusieurs fois, et notamment p. 460, qu'il n'y a pas un mot de vrai dans tel ou tel récit de lui; il fera bien, dans la suite de ses Etudes, de se défier à tout propos du véridique Joly. Enfin «<l'heureuse mission » de Lionne à Parme (II, p. 181) fut, au contraire, un échec complet pour ce grand diplomate.

M. Chantelauze a l'intention de continuer ce travail et de nous apprendre beaucoup de particularités nouvelles; espérons qu'il ne fera pas attendre trop longtemps les volumes suivants, qu'il ne les dédoublera pas de manière à donner deux fois les mêmes documents, qu'il publiera ces documents dans l'ordre chronologique au lieu de mettre à part toutes les dépêches d'un même personnage, qu'il évitera de tronquer des pièces importantes pour l'histoire, et qu'il indiquera plus exactement les sources; dans ces conditions, notre littérature historique pourra compter un bon travail de plus.

A. GAZIER.

128. Histoire de la Comédie anglaise au dix-septième siècle (1672-1707), par A. DE GRISY. Paris, Didier, 1878. In-8° xv et 440 p. - Prix : 3 fr. 5o.

M. de Grisy ne pense pas, comme M. Taine, qu'on « doive laisser dans un oubli mérité » le théâtre anglais de la Renaissance et il nous donne une étude détaillée de la vie et des œuvres de Wycherley, de Congrève, de Vanburgh et de Farquhar. Il s'est habilement servi de tout ce qu'ont écrit sur ce sujet Hazlitt, Macaulay, Gätschenberger (Geschichte der englischen Literatur) et, chez nous, M. Mézières. Il aurait pu citer deux bonnes notices sur Wicherley et Farquhar dans le tome V du théâtre anglais de la Collection des Chefs-d'œuvre des théâtres étrangers (Paris, Ladvocat, 1822); l'une de Mennechet, l'autre de Campenon en tête de leurs traductions du Plain Dealer et du Recruiting Officer. M. de Grisy n'a pas manqué de mettre à profit les mémoires contemporains: il ne me semble pas avoir connu la Secret history of the duchess of Portsmouth, et il est vrai que ce pamphlet, paru à Londres en 1690, est introuvable dans nos bibliothèques. Une des parties les plus originales du livre est remplie par des parallèles, souvent ingénieux, entre les types de la comédie anglaise de ce temps et les personnages des pièces françaises 1. Car les auteurs de l'époque connaissaient la France et ils copiaient

1. Voir, à ce sujet, la vive sortie de Dryden et de Lee contre Corneille, dans leur Edipus.

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