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p. 284-286). Les mêmes éloges doivent être donnés à son édition de Comptes du monde adventureux. C'est une reproduction admirablement fidèle du texte de l'édition princeps de 1555 (Paris, Estienne Groulleau, pet. in-8°). Les cinquante-quatre récits dont se compose le recueil sont précédés d'une Notice très-étendue et suivis d'un Appendice, de Notes et éclaircissements et d'un Index des noms historiques et des noms de lieux contenus dans les Comptes du monde adventureux.

Nous dirons d'abord un mot des Comptes mêmes. Nous parlerons ensuite du remarquable travail de l'éditeur.

Feu Viollet-le-Duc avait bien jugé le recueil de 1555 en déclarant que << c'est un très-bon choix 1, » et Charles Sorel ne l'avait pas bien moins jugé en y trouvant «< quelque chose de plaisant 2. » Tous ces contes sont imités, les uns de nouvelles italiennes 3, les autres de nos vieux fabliaux 4, mais l'imitation est partout très-agréable. L'auteur n'était pas un de ces copistes maladroits qui gâtent ce qu'ils touchent: c'était un homme d'esprit qui avait bien compris et qui a bien rendu les spirituelles historiettes de ses devanciers étrangers ou nationaux. Les amis du xvre siècle seront charmés de lire, dans les deux élégants volumes dont vient de s'enrichir la Bibliothèque d'un curieux, ces libres et faciles imitations qui ont gardé la délicate saveur des récits originaux. Ce qui doit augmenter notre reconnaissance envers le nouvel éditeur, c'est que le recueil de 1555 est à peu près introuvable, que les réimpressions de 1555 à 1595 sont presque aussi rares, et que, depuis près de trois cents ans, nul n'avait songé à redonner les Comptes du monde adventureux. Ce qui doit augmenter plus encore notre reconnaissance, c'est que M. F., dans sa Notice et dans ses Notes et éclaircissements, qui la complètent en plusieurs points, a réuni tant d'excellents renseignements sur ce livre et sur toutes les questions qui, de près ou de loin, se rattachent à la composition de ce livre, que son édition me semble ne laisser rien à désirer.

M. F. recherche tout d'abord la signification des initiales A. D. S. D. inscrites sur le titre du livre. Profitant d'un document de 1544 publié par M. de la Ferrière-Percy 5, et s'aidant d'une hypothèse de B. de la Monnoye, il explique ainsi les quatre initiales: Antoine de Saint-Denis, nom d'un des personnages qui faisaient partie de la cour de Margue

1. Catalogue des livres composant la Bibliothèque poétique. Chansons, fabliaux, contes en vers et en prose, etc. 1867, in 8°, p. 152.

2. Bibliothèque françoise, Paris, 1664, p. 173. L'auteur même du livre assure, dans le titre, que ce sont belles histoires propres pour resjouir la compagnie, et évi

ter mélancholie.

3. Viollet-le-Duc a constaté que dix-neuf contes sont tirés du Novellino de Masuccio Salernitano (1476).

4. D'après Viollet-le-Duc, les autres contes seraient de l'imagination de l'auteur. Au moins aurait-il dû se souvenir d'en avoir lu deux dans l'Histoire du petit Jehan de Saintré, écrite en 1459 par Antoine de la Salle et publiée seulement en 1517.

5. Marguerite d'Angoulême, Paris, 1862.

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rite Voici comment l'éditeur justifie (p. x et x) une explication que, pour ma part, je trouve des plus acceptables : « La reine de Navarre, si fort occupée qu'elle fût de ses propres affaires et des affaires du pays, ne cessait de composer prose et vers, même en litière, d'après des témoignages formels, et d'entretenir ses familiers en provoquant leurs répliques et leurs récits. Que d'un tel centre de causeries et d'anecdotes les Contes du monde adventureux aient pu sortir, rédigés par Antoine de Saint-Denis, comme furent écrits les Contes et joyeux devis par Bonaventure des Périers et l'Heptaméron, par Marguerite elle-même, rien de plus naturel et de plus probable. Que le curé de Champfleur, en raison de son caractère ecclésiastique et des nouveaux traits satiriques lancés contre l'Eglise dans les Contes du monde adventureux, ait cru nécessaire de prendre un masque transparent pour les initiés, tout en constituant une échappatoire, rien de plus justifié en face des périls possibles; rien de plus conforme aux pratiques du temps. Enfin qu'un livre dont plus d'une page sent le fagot soit l'œuvre d'un prêtre, quoi d'étonnant après l'exemple de Rabelais, et dans le voisinage d'une reine qui avait patronné un Lefebvre d'Etaples et un Calvin, promoteurs de la Réforme en France, un Caroli, quittant la cure d'Alençon pour la chaire de ministre protestant à Neufchâtel, un Gérard Roussel, disciple de Luther, sous l'habit épiscopal, etc.?»

Après nous avoir fait connaître le nom de l'auteur des Contes du monde adventureux, M. F. apprécie (p. xix et suiv.) avec plus de sévérité que d'indulgence (ô le bel exemple d'impartialité donné aux éditeurs!) - ce recueil où, pour lui, « l'intérêt réside dans l'arrangement naïf de la narration, dans l'esprit frondeur qui l'anime, plutôt que dans le style, dépourvu sauf en quelques rencontres de nerf et d'élégance, » et où les perles inégales ne forment nulle part un collier. » M. F. ajoute, il est vrai, qu'il faut se garder d'excéder la mesure, que le style des Comptes est profondément français, que les mots pittoresques et bien amenés n'y manquent pas, et, après avoir cité divers tours heureux, il rappelle qu'on ne doit pas trop s'étonner de voir un des amis de l'auteur vanter, en tête de l'ouvrage, la veine excellente de ses contes et leur doulceur si coulante.

On remarquera, parmi les pages les plus curieuses de la Notice, celles qui concernent (xxIV-XXVI) ce «< petit cycle de deviseurs » qui « se forme et tourne autour de Marguerite, <«< comme un choeur de planètes autour d'un soleil, dont elles réfléchissent la lumière et dont la flamme les échauffe; » celles où l'auteur (LXXVIII et suiv.) se sert si ingénieusement de l'étude des localités habitées par la reine de Navarre et par les familiers de cette princesse, pour achever de prouver que l'auteur des Comptes du monde adventureux et le curé de Champfleur ne font qu'un ; celles où il

1. A. de Saint-Denis était curé de Champfleur, commune du département de la Sarthe, arrondissement de Mamers, canton de Saint-Paterne.

détermine, à l'aide de toute sorte de rapprochements (xci et suiv.), l'époque à laquelle appartiennent la conception, la préparation et la composition des contes de la reine Marguerite, de B. des Périers et d'Antoine de Saint-Denis; enfin celles (cx et suiv.) où il signale les ressemblances soit d'ensemble, soit de détail, qui existent entre les contes de l'Heptamé ron et les Comptes du monde adventureux. Parfois, il faut bien le dire, le fil que M. F. tient pour nous guider dans le dédale de toutes ces questions, est d'une ténuité dont rien n'approche. Mais pour quelques conjectures subtiles, pour quelques raisonnements spécieux, que d'incontestables vérités mises en lumière! M. F. retrace avec plus de développements et plus de précision que dans ses précédentes publications le tableau du milieu où vécut Marguerite de Navarre et qu'elle avait elle-même formé. Non content de compléter ce qu'il avait déjà si bien dit de l'aimable princesse et de sa cour lettrée, il nous apprend mille choses sur les premières traductions françaises du Décaméron et des Historiettes du Pogge, sur les diverses éditions des œuvres de Noël du Fail et des Treize nuits de Straparole, sur Pierre Boaistuau, seigneur de Launay, sur François de Belleforest, Comingeois, sur Bernard de Girard, seigneur du Haillan, sur Loys le Caron, Parisien, etc.

On ne saurait trop encourager M. Frank à continuer à suivre, autour de la reine de Navarre, la voie où il s'est engagé tout d'abord en étudiant le Cymbalum mundi, et où il n'a cessé, depuis, de marcher en faisant les plus heureuses trouvailles: patience, érudition, sagacité, et par dessus tout, amour du sujet choisi, il a tout ce qu'il faut et au-delà pour que nous puissions vivement nous intéresser d'avance à ses nouvelles recherches et vivement applaudir d'avance à ses nouvelles découvertes. T. DE L.

133.. LESSING, HIS life and his writings, by James SIME. In two volumes. With portraits. London, Trübner and Co. 1877 (xix et 327 p., xv et 358 p.)

Il faut d'abord féliciter M. Sime de toutes les qualités qu'il montre dans cet ouvrage. Il manquait à l'Angleterre, après la biographie de Goethe par Lewes et le livre de Carlyle sur Schiller, une étude profonde sur Lessing cette étude, M. S. l'a faite, et l'oeuvre qu'il nous donne est une des plus complètes et des plus intéressantes qu'on ait composées de notre temps sur l'auteur du Laocoon et de Nathan le Sage. M. S. a lu presque tout ce qu'on avait écrit jusqu'à ce jour sur Lessing, il a profité de toutes les recherches que d'autres avaient faites avant lui, pas un détail bio

1. Voir sur ce poète les détails supplémentaires dans les Notes et éclaircissements (p. 198, 201). On y trouvera encore bien des renseignements sur Antoine le Devin et sur d'autres écrivains du temps, parmi lesquels je ne nommerai que le poète Tahureau.

graphique qu'il oublie, peu de points importants qu'il néglige: partout des analyses détaillées, des citations longues et bien traduites, des jugements presque toujours justes, conformes aux opinions des hommes les plus compétents qui ont parlé de Lessing, et témoignant d'une profonde lecture et d'une certaine originalité d'esprit.

C'en est assez pour justifier le succès que ce livre a trouvé, dit-on, en Angleterre. Nous ne comprenons pas pourtant qu'on traduise ce livre en allemand. Nous avons appris qu'un traducteur de mérite, M. Strodtmann, se mettait à l'œuvre. Mais pourquoi donner au public allemand tant d'analyses et de citations? Pourquoi lui donner ce qu'il possède déjà ? Les deux volumes de M. S. ne renferment guère rien qui ne soit dans Stahr et dans le consciencieux ouvrage de Danzel-Guhrauer; et le critique d'un grand journal politique de l'Allemagne, résumant le livre de M. S. en quatre longs articles, n'a fait que dire en d'autres termes ce qu'avaient déjà dit Stahr et Danzel.

Et d'ailleurs, Lessing, ce vigoureux esprit, toujours armé pour la lutte, ennemi du repos et de l'inaction, combattant sans cesse pour purifier le goût de ses compatriotes et chasser du temple les méchants écrivains, combattant aussi pour conquérir à l'homme la liberté de penser, apparaîtil dans le livre de M. S. tel que nous le connaissons, infatigable, ardent à la discussion, tenant, comme il dit, son âme constamment en effort et toujours en quête de la vérité, touchant à toutes choses et ne composant guère que des fragments, mais des fragments qui vivent par le solide éclat du langage et la force invincible d'un raisonnement vif, pressant et lumineux? Le livre de M. S. manque de chaleur et de mouvement; c'est, comme dirait Montaigne, « une narration calme, de même qu'une eau dormante et mer morte. » L'auteur éprouve pour son héros une admiration sincère, mais il le juge trop froidement, et la vie fait défaut dans la biographie de cet homme qui était la vie même.

M. S. a-t-il représenté l'homme dans Lessing? Sent-on, p. e., avec lui l'orage qui s'éleva dans l'âme du jeune étudiant de Leipzig, transporté dans un monde étranger, et comprenant qu'il n'a mené jusqu'ici que l'existence plate et vide d'un Bücherwurm? Jamais, pour parler comme Herder, Lessing n'aurait voulu « dans un pli de son esprit ne nourrir que des vers et la vermine des pensées rampantes ». C'est un homme qui se remue sans cesse et sort volontiers de lui-même, certain que tant de mouvement ne sera pas stérile et qu'il n'agite son corps que pour faire fructifier tout ce qui germe dans son esprit.

M. S. a donné toute son attention aux œuvres de Lessing, mais il oublie que, dans ce temps, deux choses ne furent jamais plus unies et plus enchaînées l'une à l'autre que la vie et les œuvres d'un grand écrivain; il faut suivre Lessing pas à pas, comme on a suivi et comme on suit encore Schiller et Goethe: tout ou presque tout, chez les grands littérateurs allemands du xvme siècle, repose, comme l'a dit l'un d'entre eux, auf der Basis des Erlebten. M. S., p. e., n'insiste pas assez sur le

séjour de Lessing à Leipzig et sur l'influence de cette ville, qui fut un certain temps le quartier général des esprits, sur les meilleurs écrivains de l'Allemagne. C'est là que tous sont venus, comme dit Goethe quelque part, in studentischem Dunkel und Dünkel; mais tous en sont partis comme transformés, et, malgré les professeurs de l'Université, malgré Gottsched et Gellert, malgré l'esprit philistin des habitants, déjà poètes, non pas des poètes abstraits, uniquement occupés de rimes, et, comme les pédants de l'Académie, de la « chasse aux images »; mais pleins de feu, passionnés pour le naturel et ne voulant dans la littérature, au lieu du faux et de l'affecté, que ce qui est vrai et sincère.

On ne connaîtra le vrai poète, dit Goethe, que si l'on connaît son temps. Mais les contemporains de Lessing ne sont pas, dans le livre de M. S., assez nettement dessinés. Je n'y trouve pas le Wieland qui reçut de Lessing dans les Literaturbriefe une si sévère et salutaire leçon, ce Wieland alors tout confit en mysticisme, jouant le séraphin et l'archange, éveillant Bodmer pour lui dénoncer la servante qui essaie de troubler son chaste sommeil, chantant la vocation d'Abraham et rêvant d'une république de chrétiens, mais laissant déjà percer au milieu de ses effusions religieuses, et, comme il disait plus tard, des don quichotteries morales de la première jeunesse, les saillies d'un esprit inconstant et frivole, le Wieland qui, selon le mot de Nicolai, affublait d'un voile de nonne son visage souriant et coquet. M. S. est ici trop bref, il ne cite pas ces paroles si vives, si énergiques de Lessing: «< Voilà un chrétien qui est en même temps un homme d'esprit, et qui croit honorer infiniment sa religion en faisant de ses mystères l'objet de ses belles réflexions. Il s'éprend de ces mystères qu'il embellit, et, en proie à un doux enthousiasme, cette tête échauffée s'imagine qu'un tel enthousiasme est le vrai sentiment religieux. Mais, est-ce être sincère que de mettre sa piété sur les ailes de l'ode pindarique, et d'entonner « Où est mon esprit enchanté? Que vois-je? Des anges volent autour de moi!... » — Fort beau! Mais ces débauches d'imagination sont-elles des sentiments? Quand l'imagination est si occupée, le cœur est vide et froid. » Et comparant Wieland et le simple Petersen : « M. Wieland, poursuit Lessing, est riche en fleurs. en verbiage poétique; Petersen en fortes pensées et en sentiments élevés, sans contrainte ni emphase : tous deux ont voulu employer la langue des Saintes-Ecritures; mais Petersen lui a laissé sa noble simplicité, Wieland l'a défigurée par des subtilités affectées et de profanes allusions. »

M. S. raconte aussi trop sommairement un autre épisode de la jeunesse de Wieland : « Un critique ayant fait quelques observations qui lui déplurent, Wieland répondit en attaquant avec une sauvage fureur le caractère privé de son agresseur.» (P. 185.) M. S. devait nommer ce <«< critique »; c'est Uz, qui mérite bien un souvenir dans l'histoire de ce temps, et Uz est, non pas un critique, mais un poète, un traducteur d'Anacréon, homme du reste très-modeste et du plus agréable commerce, et qui, comme tous ses amis, pouvait faire en un an, selon le mot de

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