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sage et judicieux, tracé par une plume trèsexercée en littérature, et qu'on croiroit extrait de Rollin ou de Quintilien, se trouve dans un journal qui n'a pas toujours si doucement traité les chefs de ces nouvelles écoles. Ce n'est sans doute que le danger de l'exemple qui détermine les critiques à sévir contre ceux qui le donnent; et leurs remontrances n'ont de véritable valeur que parce qu'en réprouvant l'excès qu'ils blâment, ils ne peuvent donner le talent qui semble l'autoriser. Je me sers de cet adoucissement, parce qu'il faut être vrai en toute chose, et qu'il seroit fâcheux qu'un zèle exagéré prît la couleur du pédantisme, ou de cette impuissance jalouse qui, sous le masque de l'indignation, ne déguise que de la mauvaise humeur.

Le génie demande quelque condescendance, et c'est en sa faveur que je dois ajouter ce que je pense relativement aux innovations dont la licence ne sera pas dangereuse, si on ne la permet qu'aux écrivains que la nature a doués de ce beau présent. La véritable beauté du style, soit dans le genre élevé, soit dans le genre gracieux, ne consiste pas seulement dans la tournure de quelques phrases ou le choix de quelques expressions disséminées dans le cours d'un ouvrage, mais dans le caractère noble ou majestueux, élégant et naturel, qui en colore tout le tissu : c'est l'uniformité qui en fait le mérite. L'affecta

tion qui choisit habituellement des expressions inusitées ou singulières, est l'indice certain d'un esprit médiocre, qui s'occupe bien moins du fond de sa pensée que de la manière peu commune de l'exprimer, et qui cherche dans le mot un éclat d'emprunt dont l'illusion éblouit le lecteur sans le satisfaire. Cependant le génie qui s'exhale ou se pro-. duit avec franchise, peut quelquefois substituer à l'exactitude grammaticale des expressions qui ne semblent s'en éloigner que pour donner à l'image ou au sentiment toute la vérité et toute l'énergie dont il est pénétré lui-même; et si la critique, par devoir inflexible, abandonne quelquefois la sévérité pour se permettre l'indulgence, ce ne peut être qu'en faveur du génie qui, de son plein pouvoir, franchit la barrière de l'usage et de la loi, quand l'un et l'autre sont insuffisans pour laisser à la pensée tout ce qu'elle a de brillant ou d'ingénieux.

Après avoir signalé l'écueil où pourroient échouer de jeunes écrivains entraînés vers la célébrité par d'illustres et trop séduisans exemples, il ne me reste qu'à leur indiquer ceux des moyens que je crois les plus sûrs pour acquérir autant de perfection qu'il est possible. dans l'art d'écrire. Ces moyens se réduisent à deux; traduire et versifier. L'expression de la pensée ne devient facile et correcte que lorsqu'on connoît bien sa langue,

la valeur de tous les termes, la nuance de tous les synonymes et les différences de mots qui peuvent caractériser les sentimens et les idées. La traduction oblige à faire ce choix et à passer en revue tous les termes qui peuvent le mieux se calquer sur l'original. Ce travail conduit nécessairement à une grande connoissance non seulement des termes, mais des tournures de phrase qui ont le plus d'analogie avec celles de l'auteur que l'on traduit (1). De même la construction du vers, la nécessité de la rime et de la mesure, sont des lois qui obligent à une recherche de mots les plus propres à satisfaire en même temps F'esprit et l'oreille. Il en résulte une telle facilité, que, lorsqu'ensuite on écrit en prose, on est, pour ainsi dire, plus à l'aise; la pensée semble s'épanouir plus librement; on connoît mieux ses propres richesses, et l'on y

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(1) « Lorsqu'une pensée se présente à nous dans notre langue, dit M. Deleuze, elle est revêtue des mots qui doivent la peindre. Lorsque nous la voyons » une langue étrangère, il faut faire des efforts pour » la rendre d'une manière différente, sans l'affoiblir » ni l'altérer; et cette lutte continuelle à laquelle on » se livre en traduisant un excellent auteur, est le » meilleur moyen d'apprendre à écrire. » (Entretiens sur l'étude des sciences, tome I, page 142.)

Ce moyen est le même qu'indiquoit l'ami de Taeite et de Quintilicn, Pline le jeune, à Fuscus, qui lui demandoit ses conseils à ce sujet (Voyez ses Lettres.)

joint l'avantage d'une cadence harmonique qui s'attache comme involontairement à tout ce qui coule de la plume.

Il seroit superflu d'entrer dans de plus longs détails sur un objet déjà traité, avec toute l'étendue qu'il mérite, dans plusieurs ouvrages estimables sur la rhétorique et l'art oratoire, et notamment dans ceux que j'ai indiqués à la division qui les concerne. J'ai tâché de fixer l'idée qu'on devoit avoir du style en général ; j'ai dit quels étoient les moyens qui me paroissoient les meilleurs pour approcher de la perfection autant qu'il est possible; j'ai cru devoir prémunir l'amour de la célébrité contre des défauts qui ne méritent plus d'indulgence, dès que le génie cesse de les autoriser: je n'ai plus qu'à recueillir quelques observations sur la convenance et le bon ton du style, ainsi que sur les principes les plus propres à former le goût.

CHAPITRE V.

Du Goût, et de la Convenance du Style.

Le goût, en matière de littérature et de

beaux-arts, est un sentiment exquis de ce qui doit plaire. Ce n'est ni le talent, ni l'esprit, ni le génie; mais c'est un associé qui les dirige, un surveillant qui leur donne des lois, un ami sûr qui leur choisit des modèles, et qui ne permet pas qu'on le néglige ou qu'on l'offense.

Il n'y a rien de neuf à dire sur ce sujet, qui a été traité fort au long dans plusieurs ouvrages très- estimables; mais, comme il est intéressant pour de jeunes compositeurs d'avoir, à cet égard, des notions exactes et des principes fixes, j'ai pensé qu'en réunissant les idées éparses de plusieurs bons auteurs, on pourroit en former une sorte de poétique du goût, qui seroit plus utile et mieux faite que ce que je pourrois tirer de mes propres réflexions. Je suis sûr, d'après cela, que ce chapitre sera le meilleur de cet ouvrage, puisque je l'aurai emprunté presque entièrement des idées et des expressions de ceux que l'estime générale a mis en droit de prononcer sur cette matière.

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