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AVANT-PROPOS

DU TRADUCTEUR

POUR LA PREMIÈRE ÉDITION

On verra tout à l'heure avec quelle modestie M. Tiele, dans quelques pages spécialement écrites à l'adresse de ses lecteurs français, explique et justifie le plan du livre dont nous publions aujourd'hui la traduction. Pour notre part, nous n'avons aucun motif qui nous empêche de dire tout le bien que nous pensons à la fois de l'œuvre et de l'auteur.

M. C.-P. Tiele est un des hommes qui ont le plus contribué de notre temps aux progrès des études d'histoire religieuse. Depuis quinze ans son activité scientifique s'est manifestée par une suite d'importantes publications, qui témoignent de connaissances de première main sur des domaines qu'il est rare de voir un même savant embrasser à lui seul. En 1864, il produisait une œuvre considérable sur le Mazdéisme; en 1869, il commençait la publication d'une histoire comparée des religions anciennes, dont le premier volume, seul paru jusqu'à présent, traite des religions de l'Égypte et de la Mésopotamie (1). En 1877, M. Tiele

(1) Traduction française de Collins: Histoire comparée des anciennes religions de l'Égypte et des peuples sémitiques, Paris G. Fischbacher, 1882.

était appelé à inaugurer la chaire de l'histoire des religions, récemment instituée à l'Université de Leyde; il venait de donner comme préface à l'enseignement nouveau son Esquisse d'une histoire de la religion, dont il convient à présent de définir l'objet et la nature (1).

D'après ce qui vient d'être dit, on voit que le présent livre n'appartient point à la série des compilations soigneuses, faites de seconde main; ce n'est point en effet une œuvre de vulgarisation, c'est une production originale et personnelle. En bien des cas, M. Tiele n'avait qu'à donner une forme plus brève et plus condensée à ses propres travaux ; pour d'autres parties, il trouvait dans l'admirable centre scientifique auquel il appartient et auprès de spécialistes éminents, qui sont ses collègues, des renseignements sûrs et complets. Il était amené ainsi à concevoir son œuvre, non plus comme une série de tableaux réunis par un lien tout extérieur, mais, dominant de haut son sujet, à tenter une synthèse hardie qui double l'attrait de son travail, tout en respectant d'une façon scrupuleuse l'intégrité et l'indépendance de chacune des parties qui le composent. L'historien des religions, dit-il lui-même en d'excellents termes, se préoccupe peu du lien qui réunit ses différents tableaux; l'historien de la religion se propose, au contraire, de montrer comment le grand fait psychologique, auquel nous donnons le nom de religion, s'est développé et manifesté sous des formes variées chez les différents peuples et dans les différentes races qui occupent l'univers. Il fait voir comment toutes les religions, y.compris celles des nations les plus civilisées, sont nées

(1) Tout en conservant le titre de l'ouvrage hollandais, nous avons cru devoir le faire précéder de celui-ci : Manuel de l'histoire des religions, qui indique immédiatement au lecteur les services qu'il peut en attendre.

Les mêmes germes simples et primitifs... A une classification de laboratoire purement artificielle, nous substituons l'idée d'évolution et de développement, aussi vraie sur le domaine spécial de l'idée religieuse que sur celui de la civilisation générale. » Toutefois et cela est essentiel à noter- M. Tiele ne quitte jamais le terrain de l'histoire pour celui de la philosophie religieuse. Il a un sentiment trop sûr des obligations imposées à l'écrivain scientifique pour s'égarer jamais sur le terrain banal de l'apologétique ou de la polémique. La synthèse qu'il tente n'est pas autre chose qu'une classification rationnelle, qu'une filiation des faits dûment constatés et sévèrement établis. M. Tiele réagit ainsi d'une façon discrète, mais avec une autorité incontestable, contre la regrettable tendance à laquelle le plus illustre promoteur de la science des religions à notre époque, M. Max Müller, n'a que trop souvent sacrifié, et qui jette une ombre fâcheuse sur quelques-uns de ses résultats. Nulle part, chez M. Tiele, on n'apercevra ce secret désir de flatter les habitudes du public ou sa propre manière de sentir, en obligeant chacune des principales religions de l'antiquité à venir déposer, à son tour, un solennel témoignage en faveur du dogme philosophique à la mode. L'histoire des religions se soucie peu, en vérité, de l'inquiétude ou de la satisfaction que ses travaux peuvent faire naître parmi les représentants d'une théologie bornée et d'une philosophie routinière; elle n'a ni à s'excuser vis-à-vis d'elles, ni à venir à leur rescousse. Préoccupée uniquement de sa tâche, suffisamment vaste et belle, qui consiste à présenter le développement religieux des différentes sociétés humaines dans sa lumière la plus vraie, elle laisse ceux du dehors tirer à eux contradictoirement, et chacun à sa façon, les résultats de ses recherches; mais

elle ne se compromet pas jusqu'à leur donner l'exemple d'applications extra-scientifiques, qui diminueraient dans l'opinion des hommes impartiaux la confiance due à ses procédés d'étude.

Dans l'établissement du résumé synthétique (je ne saurais le caractériser plus exactement) qu'il avait en vue, M. Tiele a dû et j'ajouterai, a su laisser tomber le détail inutile qui aurait surchargé sa marche sans aucun profit; voulant établir avec une rigueur toute scientifique l'arbre généalogique des religions humaines, il a partout fait choix des traits caractéristiques, qui assurent la physionomie de chacun de ses portraits, qui déterminent leur individualité, qui en font à la fois les membres d'un groupe plus compréhensif et des produits originaux, méritant d'être désignés par un nom propre qui ne soit qu'à eux. Il nous semble avoir remarquablement réussi dans cette tâche délicate. Les religions de l'Égypte et de l'Assyrie, de l'Inde et de la Perse, de la Grèce et de Rome, montrent tour à tour les traits saillants de leur ossature, sans s'encombrer de la masse des créations secondaires ou des réflexions dérivées, dont maint auteur n'eût pas su affranchir sa libre allure.

Nous parlions de l'attrait qu'offre ce mince volume, qui aborde tant et de si grandes choses. On comprend par ce qui vient d'être dit que cet attrait, — attrait sérieux, cela va sans dire, et de la nature de ceux auxquels seuls sont sensibles les savants et les lecteurs sincèrement désireux de s'instruire, soit aussi vif. La forme, quelque peu dogmatique, du paragraphe, adoptée par l'auteur, conformément à un grand nombre de précédents bien connus à l'étranger, le sert même à cet égard; elle lui a permis de rejeter au second plan les justifications dont une œuvre scientifique ne saurait se passer, d'indiquer en passant le

récent travail, la dissertation nouvelle où telle opinion a, été puisée ou dont, au contraire, les résultats sont écartés comme insuffisants ou erronés.

C'est aux savants et au public sérieux, aux érudits d'une part, aux cercles universitaires de l'autre, que nous avons songé en entreprenant cette traduction. Au spécialiste, nous offrons une carte de géographie, l'expression est de

notre auteur lui-même, - vigoureusement tracée et d'une main large, qui lui donnera sans effort la substance du travail accompli sur les domaines de ses voisins, domaines qu'il ne saurait explorer lui-même. Par la comparaison avec les proportions et le dessin de la partie qui lui est propre, il se fera aisément une idée de ce à l'égard de quoi, faute d'un moyen d'investigation commode, - à son grand regret, et, il ne le sait que trop, au grand dommage du juste établissement de ses propres résultats, il reste trop souvent dans un état de complète ignorance. Le Manuel lui indiquera, en même temps, le moyen de poursuivre cette étude dans les détails nécessaires.

Nous espérons que les membres de l'Université ne feront pas un accueil moins favorable à ce produit de l'érudition étrangère, à cette œuvre venue d'un pays voisin, où l'on aime ce qui vient de la France et où l'on tient en haute estime le soin de la composition et la sévérité de la déduction. Le professeur d'histoire trouvera dans ce volume le moyen de combler la grave lacune que présentent à l'endroit de l'histoire des religions anciennes tous les dictionnaires usuels et les livres les plus répandus. Le professeur de littérature classique y trouvera un profit plus immédiat encore. Il pourra sortir de son domaine et jeter un regard curieux, soit sur les origines religieuses de la Grèce et de l'Italie, soit sur les religions de l'Asie antérieure, de l'Orient, de l'Inde, sans risquer de reproduire quelque

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