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1249.

XI. BATAILLE.

JOURNEE DE MASSORE,

Où les SARRASINS furent deux fois vaincus par S. LOUIS.

V Orcy encore une autre occafion plus importante, où saint Louis donna de grandes preuves de la generofité de son courage. Aprés avoir appaifé les troubles de son Royaume, & établi une Paix generale parmy fes sujets, il re

folut d'aller au secours des Chrétiens du Levant, qui gemiffoient sous le joug de la tyrannie des Infidelles. Auffi-tôt que la Flotte Françoise, qui avoit démaré de l'Ifle de Chypre, fut découverte par les sentinelles du Païs, les Sarrafins coururent aux armes, &couvrirent de gens de guerre le Pont de la Ville de Damiette, pour empêcher la defcente aux nôtres; ce qu'ils esperoient de faire avec d'autant plus de facilité, qu'ils étoient favorisez de la grofle Tour, qui est sur le Port & fur les murs de la même Ville.

Les Seigneurs de l'Armée Françoise voyans leur effroyable multitude, leur belle ordonnance, & leur grand avantage, étoient d'avis de ne descendre point à terre, que le reste des forces qu'on attendoit ne fut arrivé. Mais le Roy fit paroître qu'il excelloit fur tous en prudence & en generofité, auffi-bien qu'en authorité & grandeur de cou→ rage. Car il leur remontra; Que n'ayant point de

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Port en cette Province, où il eût moyen de te-,, 1239 nir sa Flotre en sureté; il estoit tres-perilleux,, de se commettre derechef à la fortune de la Mer,,, qui estoit capable au premier foûlevement de,, fes vagues, de disperfer ou d'engloutir tous ses,, Vaisseaux. D'ailleurs, que ce seroit enfler le cou-,,

| rage des Ennemis, s'il fe retiroit aprés avoir,, paru à leur côte, tellement qu'il estoit refolu,, de prendre terre & de les combattre dans le,, méme Port, s'ils avoient la hardiesse de s'op-,, poser à sa descente. Neanmoins il jugea plus à propos que l'attaque en fut remise au jour d'aprés, afin que toute l'Armée eut le moyen de se mieux preparer au combat.

Le lendeinain dés le point du jour le Roy brûlant d'une martiale ardeur, fait donner par tout des chamades avec ses trompettes, commande qu'on aborde pour gagner le port, suivant l'ordre qu'il en avoit luy-méme tracé, & que la Galere, qui portoit l'Oriflame, s'avançaft toute la premiere. A ce commandement tous les Capitaines des Galeres & des autres Vaifleaux, s'efforcent de gagner le bord: Mais la bonace eftoit fi grande, que les Vaisleaux ronds, ny les autres ne pûrent s'avancer qu'à peine, à force de rames.

Le Roy qui ne perdoit point de venë l'Oriflame, ne l'eut pas plutôt apperceuë à bord, que par une genereuse impatience, & nonobstant la resistandu Legat du Pape, qui s'efforçoit de le retenir, il se jetta de son Vaisteau dans la Mer, où se trouvant en l'eau jusqu'aux épaules, & toutefois armé d'un courage heroïque, la rondache à une main, & le coutelas à l'autre, il marcha droit aux Ennemis, dont l'Escadron le plus proche du rivage estoit de fix mille chevaux. Le peril où le Roy s'estoit genereusement précipité, y fit fondre tous les François de son Vaisseau, & en suite tous les autres. Les Sarrafins furent si surpris & ficf

1249. frayez de cette action genereuse, qu'ils prem l'ordre, la contenance, & le courage, & s'enfui*rent à toute bride aprés leur Sultan, qui avoit paru du commencement à la teste des siens, couven d'armes d'or pur, brillant au Soleil, avec un éclat admirable; objet plus puissant pour attirer l'envie des François, que pour animer les siens à combattre.

Or par la fuite des Sarafins les François eurent le temps de se saisir des Ponts du Nil, & de se jetter dans la Ville: & fi les Ennemis se fussent donné le loisir de les couper, le paffage des nostres eut tiré fort en longueur, avec un grand retardement & une incommodité incroyable. Mais leur effroy fut fi violent & leur fuite si precipitée, qu'encore que la Ville fût comme imprenable, autrement que par la necessité des vivres, quelque peu de gens de resollution qui s'y fuflent rencontrez: Neanmoins ils l'abandonnerent lâchement, aprés y avoir mis le feu, qui y fit un si grand degaft en peu d'heures, que tout le butin & toutes les munitions qui s'y trouverent, ne furent eftimées en gros que fix mille livres.

Le Roy ayant avis par ceux qui étoient les premiers entrez dedans, que les Ennemis l'avoient en tierement abandonnée, & qu'il n'y avoit plus d'embûches ny de peril, y fit fon entrée, non en Roy victorieux & triomphant, mais en devot Pelerin, nuds pieds & nuë reste, fuivant la Croix & la Proceffion des gens d'Eglise, avec les Princes, les Seigneurs, & les Capitaines de l'Armée. Cependant le Sultan qui avoit un peu repris ses esprits, remettoit sur pied de nouvelles forces, tant de ses sujets, que de fes alliez & de ses voifins, lesquels êtans tous ennemis du nom Chrétien, oublierent leurs querelles particulieres, afin de pourvoirensemble au peril commun, qui menaçoit genera lement toutes les Nations Sarafines.

Dailleurs le Roy laissa bonne garnison dans Da- 1249°

- miette, & fit camper son Armée prés de la ville en des retranchemens affez foibles; soit qu'on ne redoutât point les Ennemis, qui s'estoient montrez si lâches dans une occafion si avantageuse, soit que son Armée eût à dos cette forte Ville repeuplée de François, & de front le Rexi, ou le Taneos, qui est une branche du Nil le plus grand fleuve de la Terre. Les Sarrafins qui sçavoient fort bien l'endroit où le fleuve estoit guéable, le pafferent souvent & à petit bruit, & avec toutes leurs forces vinrent fondre à l'improvifte dans les tranchées des François, lesquels nonobstant leur mauvaise garde, ne laifferent pas de les recevoir de pied ferme, & de les repoufler avec grand courage.

Là-dessus Alphonse frere de sa Majesté arriva au Port de Damiette avec l'Arriere-ban de France, & fut receu avec une joye incroyable du Roy & de toute l'Armée, qui estoit dé-ja fort affoiblie. Déslors le Roy resolut de conduire son Armée devant le grand Caire, tant parce qu'il estoit aussi commode qu'Alexandrie pour le recouvrement des vivres, & qu'étant la capitale de l'Egypte, il y avoit apparence, que sa prise jointe à celle de Damierte, feroit cause que toutes les autres Villes feroient joug aux armes Françoises, & aufli-tôt fans plus de délay, le Roy prit sa marche avec son Armée vers le Rexi.

Le Sultan qui avoit toûjours l'œil sur les defseins des François pour les surprendre, n'osantentreprendre ouvertement de s'opposer à leurs armes, voulut user d'une ruse, qui ne tourna qu'à fa- perte & à sa honte. Il choifit cinq cens Cavaliers des plus refolus, à qui il donna charge de pafser le fleuve, pour aller se rendre au Roy, lous ombre de quelque mécontentement pretendu, afin de prendre quelque avantageule occafion de luy courir fus, & de le défaire, puis de se sauver à la fuite.

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Le Roy fit bon accüeil à ces traîtres, cammed des personnes affligées & mécontentes, & quoy qu'il en eût quelque défiançe, il défendit pourtant aux fiens de leur faire aucun tort. Comme donc ils marchoient en sureté avec l'Armée Chrétienne, épians toujours l'occafion de faire leut coup, ils se jetterent un jour sur une Compagnie de Templiers un peu écartez du reste des troupes, lesquels s'estans mis en defense, ils attirerent par l'éclat de leurs voix & par le bruit de leurs armes la Cavalerie Françoise, laquelle ayant envelopé tous ces traîtres, les tailla en pieces, sans qu'ilen échapât un seul, pour en porter la nouvelle aur

autres.

Aprés cét acte de Justice l'Armée continua sa marche jusques au bord du fleuve, où s'estant campée; les Ennemis parurent en belle ordonnance à l'autre rive, & parce que le fleuve n'estoit pas guéable, & que les Sarrasins empéchoient les noftres d'y drefler des ponts, le Roy entreprit d'y faire une chauffée en forme de digue pour le paffage de fon Armée. Mais cet ouvrage laborieux fut discontinué, à cause du nombre des travailleurs qui estoient tous les jours tuez par les Turcs, avec des machines qui lançoient de grosses pierres & des feux gregeois, femblables à des dragons volans en l'air, & fur terre à des colonnes de feu roulantes. Ces machines grondoient comme le tonnerre, & éclatoient comme la foudre, & lors qu'elles venoient à s'attacher à quelque matiere combustible, elles la confumoient eu peu d'heures, fans pouvoir éteindre la flame qu'avec grande peine. D'abord on fit deux ramparts de bois, pour mettre nos gens à l'abry des coups des traits des Sarrafins, mais tout cela fut confumé en peu de jours par ces feux effroyables que les Ennemis lançoient à toute heure, tellement que personne n'olant paroître pour continuer la chauffée, les nostres avoient

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