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270. L'avis des premiers sembloit le plus honorable, puisque le voyage avoit été entrepris pour la guerre, & non pour la paix, neanmoins l'autre l'emporta, parce qu'il étoit plus de saison & plus convenable à l'état present des affaires. Car on jugea, que de prendre la Ville par compofition, ce n'étoit que gagner des murailles trés-difficiles à garder, & que de la vouloir emporter par force , c'étoit mettre au hazard la vie d'un grand nombre de vaillans hommes. Qu'on ne pourroit pas même la garder, fans affoiblir d'autant l'Armée Chrétienne, déja beaucoup affoiblie par les combats précédens, & par les maladies contagieuses, de forte que ce qui resteroit, seroit incapable de donner aucun secours à tous les autres Chrêtiens de Syrie. Joint que la garnison qui seroit mise dans Thunes, étant éloignée de tout secours, demeureroit toûjours exposée à la fureur des Barbares. A cela on ajoûtoit que la contagion étoit aussi échauffée dans l'Armée Chrêtienne, que dans celle de Ennemis, & que ne restant plus d'esperance de salut, ny pour les vainqueurs, ny pour les vaincus, il valoir beaucoup mieux se retirer avec de la gloire & de l'or, que de perir de maladie & de mifere.

Ces conditions de paix ayant été proposées aux Ennemis; on fit avec eux une tréve de dix ans, & le Roy de Thunes donna une grosse somme d'or au Roy de France pour les frais de son voyage, & de la guerre. Mais afin que cette paix fût encore utile & avantageuse à toute la Chrêtienté, il fut aussi accordé que le Roy de Thunes ne leveroit aucun impôt ny aucun subside sur les Marchands Chrêtiens qui viendroient trafiquer en ses Ports, au lieu qu'il avoit coûtume de prendre auparavant sur eux la dixme de toutes leurs marchandises; de plus, qu'il mettroit en liberté tous les Chrétiens qu'il tenoit captifs en toute l'étenduë de son Royaume,

& pour se rendre tributaire du Roy de Sicile, 1270 qu'il luy payeroit par an la somme de quatre cent mille écus.

Telle fut l'issuë de cette guerre, plus glorieuse au commencement qu'à la fin, & plus heureuse à la fin qu'au commencement. En quoy je m'étonne de quelques esprits libertins, qui ont ofé cenfurer le zele & les deux voyages que faint Louis a faits pour l'avancement de la Religion & de la Foy: disans pour raison que le succez malheureux de ces deux voyages fait voir comme l'une & l'autre de ses entreprises furent préjudiciables à la France, sa Noblesle y ayant été défaite finances épuisées, & luy-même fait prifonnier avec fes freres & les principaux Seigneurs du Royaume.

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A quoy je répons, que ce n'est pas ordinairement le propre d'un homme sage, de vouloir juger des desseins par les évenemens, parce qu'étans en la main de Dieu, & dépendans de sa Providence, il suffit, pour en meriter de la gloire, que l'intention soit juste, la conduite prudente, & l'execution courageuse, comme elle a été en saint Louis, lequel n'ayant fait que suivre les traces, & imiter les exemples religieux des Rois Philippe I I. Louis VII. & Philippe Auguste ses prédecefleurs, & même de plusieurs Rois d'Angleterre & Empereurs d'Allemagne, si le zele de ces saints pelerinages devoit être blamé en luy, il faudroit par la même raison les condamner en tous ces genereux Monarques.

D'ailleurs, quand il seroit question de juger d'une entreprise par l'evenement, il est certain que ses deux voyages furent tres-utiles à la Chrétienté, & tres glorieux aux François. Car au premier il défit les Sarrafins en deux batailles rangées en mille autres rencontres ou escarmouches, il forsifia quatre bonnes places dans la Syrie malgre

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$270. eux, & les laissa bien pourveuës de toutes chofes pour la défense des Chrétiens; il contraignit les Emmirs d'Egypte, de délivrer une infinité de pauvres captifs, dont la plupart eût renié la Foy, afin de racheter la liberté de leurs corps par la perte de leurs ames: il retira encore d'eux les têtes des Chrêtiens , que ces Barbares avoient rangées tout le long des murs du grand Caire, comme autant de trophées de leur valeur, & de monumens de leurs victoires ; & ne faut point alleguer icy, qu'il épuisa ses finances en ce voyage, puis que son histoire rapporte qu'il n'avoit pas touché encore à son trefor, lors qu'il paya la moitié de la rançon de ses freres; que s'il fut fait prifonnier, ce ne fut pas un effort de la generofité des Ennemis, mais un effet de la calamité publique, qui fut si grande, que la plûpart des siens étoient morts, ou atteints de maladies mortelles, tellement que les Sarrafins n'en tirerent qu'un avantage ignominieux, puis qu'ils ne laisserent pas de redouter autant que jamais, la valeur des armes Françoises..

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Quant à l'autre voyage, il fut encore trés-glorieux aux François, pour avoir vaincu les Afriquains, qui avoient fait trembler autrefois l'Italie, la Grece, & l'Espagne, & combatu longtemps contre les Romains pour la gloire de l'Empire; étant hors de doute, que si le Roy n'eût été prévenu de la mort, il eût subjugué le Royaume de Thunes & de Carthage, ou contraint toute la Nation d'embrasser la Foy Chrétienne ; neanmoins il fut auffi trés-utile à toute la Chrêtienté, d'autant que, comme nous venons de dire, le commerce fut ouvert aux Marchands Chrêtiens par tous les Ports du Royaume, fans payer, ny subside , ny impôt comme auparavant: tous les prisonniers Chrétiens furent mis en liberté, & le Roy de Thunes remboursa los

frais de la guerre à Philippe fils & fucceffeur de 1270.

faint Louis, achetant la paix à des conditions aussi honteuses pour luy, qu'elles étoient hono

rables & avantageuses pour la France.

XIII. BATAILLE.

JOURNΕΈ DE FURNES,

PHILIPPE LE BEL défit le COMTE
DE FLANDRE.

#296. LO

Ors que la Prudence surprend la ruse, & que la force domte la malice, la justice irritée semble avoir quelque sorte de satisfaction, de la peine des criminels, & les cœurs aigris demeurer contens dans la vengeance des injures. Nous en avons vu un exemple memorable à la journée de Bovines, où l'Empereur, le Roy d'Angleterre, & le Comte de Flandre liguez ensemble furent défaits par Philippe Auguste. Voicy encore une image de cette défaite où les trois fuccefleurs des mêmes Princes ayant fait la même ligue contre la France, furent derechef défaits par Philippe le Bel, l'Empereur par le mépris que le Roy fit de ses demandes, Ie Roy d'Angleterre par la Prudence dont il éluda ses entreprises, & le Comte de Flandre par la force dont il se servit pour dømter ses rebellions.

L'origine de la guerre vint de l'Anglois, lequel aprés une croisade publiée par tous les Etats Chrétiens de l'Europe, pour le secours de la Chrétienté du Levant ,prit un specieux pretexte d'armer, & dressa une fort belle flotte bien équippée & bien pourveuë d'armes, de vivres & de gens de guerre. Cependant on eut nouvelle que la Ville d'Acre en Syrie avoit été renduë aux

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