283 XXVI. BATAILLE. JOURNEE DE RENTY, ON CHARLES-QUINT fut défait par renverse & confond souvent les desseins des hommes, lorsqu'ils les font éclorre comme des traits de leur vanité, plutôt que comme les effets de leur prudence & de leur bonne conduite. Qui n'eût dit que l'Empereur Charles-Quint alloit conquerir la meilleure partie de la France, quand il vint se presenter devant Mets avec cent mille hommes? Cependant par la valeur & la vigilance du Duc de Guise, qui défendoir cette Ville pour le Roy Henry II. il fut contraint d'en lever le siege avec honte, & perte de trente mille hommes, pas un de ses Capitaines ny de ses soldats n'ayant le cœur d'aller à l'affaut par une brêche faite à la faveur de quatorze ou quinze mille volées de canon qui furent tirées contre la place. Mais aprés l'alliance & la ligue formée avec l'Anglois, le Roy ne douta plus que l'un étant envieux de la grandeur, & jaloux de la prééminence de la Monarchie Françoisel; l'autre de tout temps & par inclination, ennemy dunom François, tous deux ne se portaffent, ou par la jonction de leurs forces, ou par la diverfion de leurs armes, à faire quelque puislant effort. 1554. contre la France, puisqu'estant en pique l'un contre l'autre, ils n'avoient pas laiflé d'y donner de rudes fecouffes, & de frequentes atteintes. C'est pourquoy, Henry II. n'en attendant aus tre chose, refolut, non seulement de pourvoir à sa défense, mais encore d'attaquer l'ennemy defsus ses terres. Aprés avoir donc tiré les troupes de toutes les places où elles estoient en garnifon durant leur quartier d'hiver, ses Capitaines les mirent en campagne au mois de Juin auprés de Creffy & de Laon; & afin de donner plus d'effroy à l'ennemy, & de l'obliger à la divifion de fes forces, il divisa d'abord les fiennes, & en fit trois corps, dont le premier estoit conduit par le Connestable & par le Duc de Vendosme, Tautre par le Mareschal de Saint André, & le troifie-me par le Duc de Nevers. : Le premier avoit ordre de marcher du costé d'Etrée-au-Pont, afin de donner de la jaloufie à l'ennemy fur Avenes: l'autre, de se rendre à petit bruit, & par des chemius couverts, devant la ville de Mariembourg, qui estoit le principal defsein du Roy: le troisieme, d'entrer aux Ardennes, & côtoyant la Meuse, se saifir de tous les forts qui eftoient fur cette riviére, afin que la navigation y fût libre, tant pour récouvrer des provifions de bouche, que pour fatiguer l'ennemy, & l'incommoder d'autant, le privant de cét avantage. Le Conneftable prit en chemin faisant les for teresses d'Eftrelon & de Glayon, avec la ville de Simay, qui avoit esté rebâtie depuis sa démolition & sa ruïne, qui arriva par le commandement du Roy en son voyage: d'Allemagne; & dans la creance qu'il dût affiéger Avenes, le Duc de Savoye General de l'armée imperiale, mena de ce côté-là toutes ses forces. Mais le Maréchal de Saint André executa si secretement & & heureusement fon entreprise, qu'il se trouva aux portes de Mariem-1555, bourg, auparavant que l'ennemy en eut le vent; & à cette nouvelle, le Connestable tourna aussi tout court de ce côté-là avec son armée. ! La ville de Mariembourg bâtie depuis peu par Marie Reine de Hongrie, comme à l'envy du château de Maubert-Fontaine, que le Roy François I. avoit fait bâtir sur la frontière de Picardie. outre l'assiéte naturelle, qui a d'un costé un large marais, & la riviére de Meuse de l'autte, avoit encore de tres-bons rampars, & quelques fortifications regulières. Toutefois cette surprise si soudaine & fi imprévûë n'ayant pas permis à Julien de Roméro Gouverneur de la ville, d'y mettre du secours, les habitans qui n'avoient que la garnison ordinaire, perdirent courage, & dés le troifiéme jour de la batterie se rendirent au Roy, vies & bagues fauves, generalement pour tous les affiégez, à la reserve du Gouverneur & de tous les Capitaines qui demeurérent prifonniers. Il fut permis aux foldats de se retirer fans aucunes armes; mais la ville s'estant renduë à discretion, fut pillée; & parce qu'elle estoit forte, le Connestable y laissa bonne garnison sous le Seigneur de Gonnor: puis le Roy arrivant au cample dernier jour du mesme mois, il y fit son entrée. Quant au Duc de Nevers, il executa aussi avec beaucoup de conduite & de bonheur sa commission, ayant emporté tous les forts qui sont sur la Meuse, depuis Meziéres jusqu'à Givets, où il vintau devant du Roy accompagné des Ducs de Vendôme, du Prince de Condé, des Ducs de Nemours & de Guise, du Connestable de Montmorency, du Mareschal de Saint André, & autres Seigneurs & Capitaines. Le Duc de Nevers acquit une finguliére reputation en tout le cours de cette entreprise, tant pour avoir conduit son armée sans perte, passant par des lieux qu'on tenoit inaccessibles, que pour #554. avoir sauvé l'honneur des femmes & des filles dans toutes les places qu'il prit par force, ou qui se rendirent à difcretion. Le Mareschal de Monluc fait gloire d'avoir eu le mesme foin par vœu exprés qu'il en avoit fait à Dieu, & a grand sujet de reconnoître, que l'ayant toûjours gardé par toute l'étenduë de son pouvoir, la Bonté divine l'avoit délivré de mille perils, & beni toutes ses entreprises. Le Roy partant de Mariembourg, prit sa marche droit à Givets, & de-là devant Bovines, vil le fameuse par la memorable victoire de Philippe Auguste contre l'Empereur, le Roy d'Angleterre, & le Comte de Flandres, qui estoient deux fois plus forts que luy en nombre d'hommes, comme nous avons dit auparavant. Cette Ville, aprés avoir fait refus d'ouvrir les portes au Roy, fut emportée d'assaut; neanmoins le meurtre des assiégez ne fut pas grand, & ne s'étendit qu'à ceux qui se trouvérent en armes, ou en état de défense. Les François en uférent de la forte, pour tirer raison de la courtoisie qu'ils avoient reçûë à la prise de Teroüane. Le Roy fit aussi défense sur peine de la vie, de violer ny femmes ny filles ne voulant pas ceder en ce point, non plus qu'en toute autre action de generofité & de vertu, au Duc de Nevers, qui en avoit reçû beaucoup de gloire. De Bovines le Roy fit passer son armée devant Dinan, qui est demy-lieue au dessous, la riviére de Meuse entre deux. Or sous le regne de Loüis XI. Philippe le Bon, Duc de Bourgogne, prit cette ville aprés un long fiége, & la défola entiérement en punition des insolences & des outrages, dont les habitans uferent contre sa personne & contre celle de Charles son fils, durant le siege. Neanmoins s'estant remis en état & fortifiez avec le temps, ils avoient aussi repris leur ancien orgueil avec leur premiére opulence; de forte qu'à la 1554, sommation qui leur fut faite par un Heraut d'armes, de rendre la ville au Roy, ils répondirent avec autant de brutalité que d'arrogance, que s'ils tenoient le Roy & le Duc de Nevers entre leurs mains, ils leur mangeroient le foye. Ils nommé, rent le Duc de Nevers avec le Roy parce que le Duc estoit arrivé le premier au fiége. Mais Romero qui avoit esté mis en liberté par les François, & qui y commandoit avec une forte garnison d'Espagnols & de Lansquenets, perdant l'esperance d'un prompt secours, & voyant que le canon du Roy avoit fait brêche raisonnable, commença de vouloir parlementer, & pour faire sa capitulation meilleure, pría qu'il luy fût permis de sortir en personne. Neanmoins il demeura fi long-temps à contester, pour faire sa compofition plus honorable, qu'il se rendit importun au Conneftable, & donna sujet aux fiens d'abandonner la Ville, afin de gagner le Château; & les Laníquenets de la garnison qui avoient pris l'effroy par cette longueur, y traînerent les Espagnols malgré eux. Le Connestable en ayant avis, leur fit entendre que le Gouverneur Roméro ne contestoit plus que pour luy & douze des siens, à ce qu'il luy fût permis de fortir avec leurs armes, laissant les autres à la difcretion du Vainqueur: que fi toutefois ils vouloient rendre promptement la place, il leur feroit pareille faveur, & qu'à leur refus, ils ne devoient rien attendre de luy que la corde. Ces offres ayant esté acceptées par la garnison, Connestable envoya dans la Ville les Seigneurs de Duras & de Boifle avec leurs troupes; pour en empefcher le pillage. Mais les Laufquenets de l'armée du Roy se jetterent aussi dedans à toute force, faccagérent la Ville, & firent un horrible carnage de tous ces miferables, qui par leur orgueil furent le |