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IV. BATAILLE.

JOURNEΈ DE TOURS,

On les FRANÇOIS défirent un prodigieux nombre de SARRASINS.

V

OICI l'une des plus grandes batailles, & des 726. memorables victoires qui ait jamais été remportée par les François, & peut être par aucune Nation de l'Europe. L'occasion de la guerre vint, de ce qu'Abderame Roy des Maures ou des Sarrafins, homme genereux & grand Capitaine, mais extrémement ambitieux, ayant défait en Espagne tous les rebelles, obligea ceux de fon parti qui pouvoient porter les armes, de le suivre dans l'Aquitaine & dans la France, où il vouloit planter l'Alcoran. A cet effet il fort d'Espagne, côtoye la mer Mediterranée, & s'approche du Rône, fans resistance. Il met le siege devant Arles, & défait les troupes d'Eude Duc d'Aquitaine , lequel prévoyant l'orage qui le menaçoit, êtoit venu pour le conjurer, avant qu'il vint fondre sur son Païs. Aprés sa défaite, il se sauve à la fuite, pendant que le barbare vainqueur fait faire de grands amas de morts, afin d'imprimer par tout la terreur & la puissance de ses armes, à la veuë de tant de cadavres; puis ayant ravagé toute la Provence, il porte ses armes victorieuses dans a campagne, entre dans l'Aquitaine, paffe la Garonne, defole & brûle les environs de Bordeaux,

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726. prend la Ville, pille les maisons, & renverse toutes les Eglises. Eude qui avoit reparé ses forces, & comme ramaflé les pieces de son débris aprés son naufrage, vient pour s'opposer à sa fureur, mais il est encore défait à plate coûture. Ensuite dequoy le Maure entre dans la Saintonge, traverse le Perigort, l'Angoumois & le Poitou ruine la Ville de Poitiers, abandonnée de Soldats & d'Habitans, & brûle l'Eglise de faint Hilaire, qui n'étoit pas encore dans l'enclos des murs de la Ville. Toute la Chrétienté tremble aux approches d'un ennemy fi redoutable, qui imprime par tout l'horreur & l'effroy, & ne laif se que des veftiges de sang avec l'image de la Mort par où il pafle.

L'Etat du Chriftianisme dépend de la défaite de ce cruelennemy; mais qui oseroit attaquer ces Maures, les domteurs de l'Asie, & de l'Afrique, qui ont fait ployer sous le joug de leur puiffance, toute l'Espagne & les Goths mêmes ? Qui ofera presenter bataille à un ennemy qui n'a jamais été vaincu ? Où trouvera-t-on une armée seulement capable de se déveloper du nombre prodigieux de gens de guerre qu'il conduit ? Le seul bruit de fon Nom, de ses victoires, de ses armes, de fes cruautez a tellement épouvanté les Nations, qu'elles s'estiment perduës, avant que de le voir, & vaincuës avant que de combattre.

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La France sera le theatre & la Touraine le champ de bataille, où l'Evangile vaincra l'Alcoran, où JESUS-CHRIST triomphera de Mahomet, où Dieu defendra la Gloire de son Fils par la vaillance des François, où les affaires des Chrêtiens feront remises & relevées dans l'Europe, où Charles Martel Prince François, & Pere des Rois de France, comme un autre Gedeon ,Ou comme un autre Josué, combattra les ennemis du peuple de Dieu, & défera en un jour de son bras puissant, autant de Maures, que l'Ange extermi- 726. nateur défit en une nuit d'infidelles, dans l'armée nombreuse du Roy de Syrie, pour la défense de Jerufalem. En même temps Dieu fit voir au Ciel des fignes pour marques de la venuë des Sarrafins dedans la France, par l'éclat brillant de deux Cométes qui regardoient le Septentrion, & parûrent l'espace de quinze jours au mois de Janvier; l'une au matin devant le Soleil levé, & l'autre sur l'entrée de la nuit. La Providence Souveraine qui fait naître les grands hommes quand il luy plaît, sembla vouloir faire en cette occasion un coup-d'efsay, pour voir si la France meritoit l'honneur de l'Empire Romain qu'elle luy avoit destiné, & fr ses Rois portoit avec raison le titre de Tres-Chrêtiens, & de Fils aînez de l'Eglife.

Car Charles Martel n'eut pas plûtôt oüy le bruit de cette tempeste qui venoit fondre sur la France, que fans s'étonner, il donna ordre que chacun se préparât à la defense de la Religion, de la liberté, & de la Patrie. Chaque Province contribua liberalement tout ce qu'elle pût d'argent & d'hommes, toute la Noblesle de la France, de l'Austrafie

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& de la Bourgogne accourut au bruit de cet armement, & se presenta pour le service de la Religion, & de la Couronne, avec resolution de défaire, ou de challer ce grand ennemy. Charles qui étoit aussi sage Politique que bon Capi-taine, fit un Traité de Paix avec Eude, le pria d'oublier tous leurs differends particuliers, de se souvenir qu'il étoit Chrétien & de confiderer que son Païs étant dans un état fi pitoyable il luy falloit lever de nouvelles troupes, rafraîchir de recruës les anciennes, & donner à dos sur l'ennemy, tandis qu'il le combattroit de front, & par devant; neanmoins qu'il n'avançat pas sans avoir avis de luy, du jour du combat & qu'il esperoit qu'avec le secours Divin ils rem

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726. porteroient une glorieuse victoire.

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Or pendant que la Noblesle & les gens de guerre s'assemblent de tous côtez auprés de luy, il s'affûre des passages & des rivieres fait préparer des munitions de guerre & de bouche pour la subsistance de l'armée & principalement à Tours, où se devoit donner la bataille, à la veuë de saint Martin, Patron de la Ville & Apôtre de la France, à qui la Noblesse & tout le peuple avoit une finguliere devotion. Charles étant arrivé à Tours, envoye ses Ordres au Duc d'Aquitaine, & luy fait sçavoir qu'il se garde bien d'exposer tous ses gens à un combat, qu'il faut l'attaquer par plusieurs endroits, & par diverses escarmouches, & aprés l'avoir bien harcele, donner dessus au huitième jour qui étoit le seiziéme de Septembre, auquel jour luy-même, avec toute fa Cavalerie fondroit dessus, & que faisant tout devoir de bon Capitaine de son côté, il auroit beau moyen de se vanger de toutes les pertes qu'il avoit faites.

Cependant il dispose son armée en divers endroits de la campagne pour donner de la peine à l'ennemy, & le Duc voulant garder tous ses ordres, fuit le même ennemy de prés, au moindre bruit, qu'il luy est possible avec le reste de ses forces, afin de le prendre au dépourveu dans le fort de la mêlée, & de charger son arrieregar-. de. Les deux armées ayant pris champ de bataille dans la plaine, Charles donne la conduite de I'Infanterie à Hildebrand son coufin germain ; luy-même se met à la tête de la Cavalerie, & aprés avoir durant sept jours fait de continuelles escarmouches, & donné de chaudes alarmes aux ennemis, enfin la nuit du sept au huitiéme il fait allumer de grands feux, pour donner avis à Eude, que dés le matin le combat general se donneroit, qu'il se tint prêt pour charger à dos & en queuë, & ne s'étonnât point du nom

bre. Toutes les troupes étant rangées en bel-726. le ordonnance de bataille sous leurs Capitaines, il donne ordre que les plus determinez de l'Infanterie commencent en qualité d'enfans-perdus la premiere charge, & de peur que les fiens qui font seulement au nombre de soixante mille hommes, & de douze mille chevaux, ne soient enveloppez de la multitude prodigieuse des ennemis, qui monte à plus de quatre cent mille hommes; il fait étendre les deux aîles de son armée, laifsant neanmoins un corps de reserve de quelques compagnies d'armes, pour accourir aux endroits où les François feroient plus preflez & tailler en pieces les chevaux - legers des Maures, qui ont coûtume de faire la ronde, & de voltiger autour de leurs ennemis, de les attaquer à coups de fléches par les flancs & s'ils y peuvent faire quelque ouverture, donner dedans à toute bride, afin d'y mettre le desordre; & parce que le plus grand effort des Barbares confifte au nombre des traits qu'ils décochent, il fait couvrir le corps des pietons de grands boucliers, & leurs têtes de bonnes salades.

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Les Sarrafins d'autre-part rangent aufsi les bataillons de leurs armées en diverses formes de combattans; les uns font sur des chameaux armez d'épées longues, pour (effrayer l'ennemy; les autres montez à cheval avec l'arc & la fléche qui sçavent faire de certaines feintes pour le tromper à la fuite; quelques-uns manient leurs chevaux avec la baguette, fans frein & fans bride, & aprés avoir étendu au long & au large leur Cavalerie fur les aîles de l'armée, ils font un gros de leurs Elephans, afin que la nouveauté de la veuë & de la trompe de ces animaux effroyables donne l'épouvante à la Cavalerie Françoise, & qu'euxmêmes par aprés enfoncent plus aisement l'Infanterie. Quand à l'Infanterie des Maures, les uns fontar

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