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XI. BATAILLE.

JOURNEE DE BOVINES,

PHILIPPE AUGUSTE défit l'Empereur
Othon, le Roy d'Angleterre,
le Comte de
Flandre.

OICI l'une des plus heureuses & des plus 1214

V memorables Journées des François

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où Philippe Auguste fit paroître tout ce que pouvoit la valear, la Prudence, & la bonne conduite, pour la conservation de son Royaume, contre trois puissans ennemis, l'Empereur Othon, le Roy d'Angleterre, & le Comte de Flandre, qui s'étoient liguez contre luy, & avoient déja partagé entre eux toute la France, comme un païs de Conquête. Mais ils avoient, comme on dit, compté sans leur hôte, & par un coup du Ciel, il arriva que la grandeur de leur ambition fut cause de la honte de leur fuite, & l'injustice de leurs armes de la défaite de leurs troupes.

La Ligue étant donc faite entre l'Empereur, l'Anglois, & le Comte perfide Vassal du Roy, contre le Roy même, ils arrêterent que l'Angloisentreroit en France par la Guyenne, & l'Empereur avec le Comte par la Flandre. L'Anglois y contribuoit seul de grandes & de notables sommes de deniers, avec bon nombre de gens de guerre, & l'Empereur conduisoit une Armée capable de conquerir toute l'Europe. Quelques-uns affurent qu'elle étoit

1214. de plus de cent cinquante mille combattans, tous gens de cœur, de service, d'experience, & des meilleures troupes d'Allemagne, qui s'imaginoient de riches dépouilles avant la victoire, & promettoient Paris avec l'Ile de France au Comte, tous les païs de-là Loire à l'Anglois, & le reste à l'Empereur, ou sous luy aux principaux Seigneurs de sa suite.

Philippe doüé d'un courage martial étoit alors à Peronne, aflemblant ses forces, qui ne faifoient pas toutes ensemble la quatrième partie de celles des Ennemis; neanmoins ne demandant pas combien ils étoient, mais où ils étoient, il ne laifla pas d'entrer en resolution de s'approcher des Ennemis avec une generofité invincible, & de mettre tout à feu & à fang, en haine de la perfidie du Comte. Etant à Tournay, il eut avis que l'Empereur s'étoit arrêté au Château de Mortagne à trois •lieuës de-là, & des lors il avoit dessein de l'attaquer, fi les Seigneurs & les Capitaines ayans reconnu que les chemins étoient serrez d'un côté, & marécageux, ou couverts de saulsayes de l'autre, conformément à l'avis que Henry Comte de Louvain, Gendre du Roy, en donna à sa Majesté la nuit avant la bataille, ne luy euffent fait changer de resolution, & prendre le chemin par la frontiere de Hainaut, tout proche du Bourg de Bovines, entre lequel, & l'Armée du Roy, étoit la riviere qu'on passoit sur un pont de bois. Le lendemain vingt septiéme de Juillet, jour de Dimanche, le Roy étant party de Tournay pour aller au Château de Lifle, l'Empereur averty par fes efpions qu'il changeoit de deffein , crût aisément qu'il avoit pris l'épouvante, & fur cette opinion partit aussi de Mortagne, prenant la même route que les François.

Le Seigneur Guerin de l'Ordre des Hospitaliers, qui étoit nommé à l'Evêché de Senlis, perfonnage trés-judicieux, & de finguliere experience

en la Milice, étant accompagné du Vicomte de 1214. Melun, se détourna du chemin que tenoit l'Armée, pour aller prendre langue du costé des Ennemis, qu'ils apperçurent bien-tost aprés du haut d'un tertre, & reconnoissans à leur ordre, qu'ils marchoient en deliberation de combattre, Guerin piqua devant le Vicomte pour en donner avis au Roy, qui fit aussi tost assembler son Conseil, pour déliberer sur l'état present des affaires.

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Tous, à la reserve de Guerin, furent d'avis de pafler outre sans combattre. Leur raison estoir, Que comme c'est une maxime de guerre, que,, les Etrangers doivent rechercher la bataille, d'au-,, tant qu'ils viennent pour conquerir, & que,, par une seule victoire ils demeurent Maîtres,, de la Campagne; par la raison contraire, ceux,, qui défendent leur Patrie, doivent fuyr bataille generale, dont la perte leur fait perdre,, tout, leur vie, leur liberté, leurs moyens, l'E-,, tat. De plus, qu'une fi grosse Armée qu'étoit,, celle des Ennemis, ne pouvoit subsister long-,, temps, tant à chose de la diversité des Na-,, tions, dont elle estoit composée, que pour,, les grands démêlez qu'avoit l'Empereur Othon,, en Italie & en Alemagne. Joint que la diffi-,, culté de recouvrer des vivres, l'obligeant à la,, separation, le Roy auroit moyen de combattre,, plus avantageusement les parties separées, que,, tout le corps de l'Armée uny ensemble. En-,, fin, pour la derniere raison, que le Roy, qui,, avoit mandé sa Noblesse par toute la France, se,, fortifieroit tous les jours, & l'Ennemy au con,, traire s'affoibliroit, de forte que s'il falloit ve-,, nir au combat, il valoit mieux un peu differer,,, que precipiter les affaires. Que si l'Ennemy avoir,, deflein d'y forcer le Roy, il falloit de neceffité,, qu'il paslast aprés luy le Pont de Bovines, ce que,

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1214.,, ne pouvant farre que par troupes, il seroit aife ,, aux François de les tailler en pieces, à mesu>> re qu'elles pafferoient, & se mettroient en or,, dre, fi le Roy n'aimoit mieux coupper le Pont >> aprés fon passage.

Cett opinion fut fortifiée par un autre avis, que l'Ennemy prenoit son chemin à gauche du côté de Tournay d'où le Roy étoit party. Guerin au con» traire foûtenoit, Que c'étoit une feinte, & qu'on

auroit bien-tôt l'Ennemy dessus les bras, com,, me il l'avoit clairement jugé par son ordon,, nance de bataille, de maniere qu'il falloit l'at,, tendre, & le combattre, ou se resoudre à une ,, retraite dangereuse, & même honteuse, con,, sideré que l'Ennemy étoit si proche, qu'il >> pourroit aisément joindre les François, avant >> qu'ils euffent paflé le Pont, & défaire toute leur ›› Arriere-garde au défilé, sans qu'il fût au pou,, voir des uns de secourir les autres ; puis il ajoû,, toit , que pour rendre combat, il seroit be,, soin de tourner tête, & de renverser tout l'or,, dre de la bataille, ce qu'on ne pourroit faire >> sans grand defordre.

Neanmoins l'avis des autres l'emportant, l'Armée Françoise continua sa marche vers le Bourg de Bovines, & à peine une partie avoit paflé le Pont, que quelques Cavaliers vinrent à toute bride trouver le Roy, pour l'avertir que les Ennemis étoient déja attachez à l'escarmouche, & que leur nombre croiffant toûjours, il y avoit du danger que l'Arriere-garde ne pût soûtenir leur effort, & moins suivre le reste de l'Armée.

L'Empereur ayant mis aussi en déliberation s'il devoit donner bataille au Roy, il en fut disluadé contre toute apparence de raison par Renaud Comte de Bologne, puis que toutes les raisons pour lesquelles le Roy devoit fuyr la bataille, y >> devoient porter l'Empereur; comme, Qu'il étoit

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- venu pour conquerir, qu'il étoit beaucoup plus "1214. fort en nombre de gens de guerre, que le Roy se " fortifioit tous les jours & quant à luy, qu'il de voit craindre la diffipation de son Armée composée de tant de diverses Nations, & de Capi " taines d'huîneur differente: que les affaires de " l'Empire le rappelleroient bien-tôt, pour rompre "

- les factions tramées contre luy en Allemagne & " en Italie: Que le Roy ne pouvoit éviter, ou de " venir au combat, ou d'être défait en sa retrai- " te, parce qu'avant le passage de son Armée il " chargeroit fon Arriere-garde: ainsi la resolution “ fut prise, qu'il falloit obliger, & même con" traindre les François à la bataille.

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Le dessein des Imperiaux étoit donc, qu'à mefure que le Roy pafleroit le Pont avec une partie de son Armée, ils chargeroient l'autre, la mettroient en déroute, & puis aprés auroient bon marché du Roy même. Mais Dieu permit qu'ils se tromperent par une resolution precipitée. Tant " les momens du temps & de l'occasion doivent " prudemment être pris & dispensez à la guerre! " Car le Roy n'ayant point encore paflé le Pont s'étoit desarmé pour prendre un peu le frais, & se reposer sous un arbre prés d'une Eglise dediée à faint. Pierre; lors qu'apprenant, comme l'Ennemy étoit déja aux prises avec les siens, il fait auffi-tôt rappeller ceux qui avoient paffé le Pont sous l'enseigne de faint Denis, qui marchoit toûjours la premiere, commande que les trompettes fonnent, que toute l'Armée se range en bataille, & luy cependant entre dans l'Eglife, fait fa priere à Dieu, pour luy recommander le falut de fa perfonne & le bien de son état : puis en fort avec un visage si gay & fi afsuré, qu'il sembloit donner quelque bon augure de la victoire.

Aprés que l'Armée eut repaflé le Pont, il le fit coupper, afin que ses gens missent toute leur efperan

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