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A MONSIEUR

LE MARÉCHAL DE RICHELIEU.

ENTRE les palmes de Mahon,

pour vous feul reverdit encore
la couronne d'Anacréon,

& fans vieillir, comme Titon

vous fêtez bien plus d'une Aurore.
Votre automne eft un long printems;
vous cueillez à tous les inftans
les fleurs du matin de la vie,

& l'amour amufe le tems,

pour qu'à jamais il vous oublie.

Ah! confervez ces goûts charmans

cette aimable philofophie,

cette fleur de galanterie

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qui vaut bien les beaux fentimens utva

de la gothique bergerie ;

rendez Ovide à ma patrie

& laiffez un code aux amans;
défolez, enchantez nos Belles,
& puifficz-vous, grondé par elles,
entendre encore après cent ans
tout ce qu'on dit aux infidèles!

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Par M. DORAT.

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LA TACTIQUE.

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F'ETOIs lundi paffé chez mon Libraire Cailleg

qui, dans fon magafin, n'a fouvent rien qui vaille, J'ai, dit-il, par bonheur, un ouvrage nouveau, néceffaire aux humains, & fage autant que beau c'eft à l'étudier qu'il faut que l'on s'applique: il fait feul nos deftins: prenez, c'eft la Tactiques La Ta&ique, lui dis-je ! Hélas! jusqu'à présent j'ignorai la valeur de ce mot fi favant. Ce mot, répondit-il, venu de Grèce en France, veut dire, le grand art, ou l'art par excellence'; des plus nobles efprits, il remplit tous les vœux J'achetai fa Tactique, & je me crus heureux. J'efpérois trouver l'art de prolonger ma vie, d'adoucir les chagrins dont elle est poursuivie, de cultiver mes goûts, d'être fans paffion, d'affervir mes defirs au joug de la raison, d'être jufte envers tous, fans jamais être dupe. 19. Je m'enferme chez moi, je lis, je ne m'occupe x, que d'apprendre par cœur un livre fi divin.

Mes amis, c'étoit l'art d'égorger fon prochain. J'apprends qu'en Germanie, autrefois un bon prêtre,

pêtrit, , pour s'amufer, du foufre & du falpêtre, qu'un énorme boulet, qu'on lance avec fracas

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doit mirer un peu hauc, pour arriver plus bas;
que d'un tube de bronze, auffi-tôt la mort vole
dans la direction qui fait la parabole,
& renverfe en deux coups, prudemment ménagés,
'cent automates bleus à la file rangés.
Moufquet, poignard, épée, ou tranchante, ou
pointue,

rout eft bon, tout va bien, tout fert, pourvû qu'on

tue.

L'Auteur, bientôt après, peint des voleurs de nuit, qui, dans un chemin creux, fans tambour & fans bruit,

difcrettement chargés de fufils & d'échelles,
affaffinent d'abord cinq ou fix fentinelles;
puis montant leftement aux murs de la cité,
où les pauvres bourgeois dormoient en fûreté,
portent dans leurs logis le fer avec les flammes,
poignardent les maris, couchent avec les dames,
écrâfent les enfans, &, las de tant d'efforts,
boivent le vin d'autrui fur des monceaux de morts.
Le lendemain matin, on les mène à l'église,
rendre grace au bon Dieu de leur noble entreprise,
lui chanter, en latin, qu'il eft leur digne appui;
que, dans la ville en feu, l'on n'eût rien fait fans lui;
qu'on ne peut ni voler, ni violer fon monde,
ni maffacrer les gens, fi dieu ne nous feconde.
Etrangement furpris de cet art si vanté,
je cours chez monfieur Caille, encore épouvanté;
je lui rends fon volume, & lui dis en colère:
allez, de Belzebuth détestable libraire,

portez

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Portez votre Tadique au Chevalier de Tott;
il fait marcher les Turcs au nom de Sabahot :
c'eft lui qui de canons couvre les Dardanelles,
dans leur propre fcience inftruit les Infidèles ;
allez adreffez-vous à monfieur Romanzof,

:

aux vainqueurs tout fanglans de Bender & d'Azof à Frédéric, fur-tout, offrez ce bel ouvrage, & foyez convaincu qu'il en sait davantage. Lucifer l'inspira bien mieux que votre auteur : il eft maître paffé dans cet art plein d'horreur, plus adroit meurtrier que Gustave & qu'Eugène. Allez ; je ne crois point que la nature humaine fortit, je ne fais quand, des mains du Créateur, pour infulter ainfi l'Eternel bienfaiteur, pour montrer tant de rage, & tant d'extravagance. L'homme, avec fes dix doigts, fans armes,

défense,

n'a point été formé pour abréger des jours, que la néceffité rendoit déjà fi courts.

fans

La goutte, avec fa craic, & la glaire endurcie, qui fe forme en cailloux au fond de la vessie, la fièvre, le catharre, & cent maux plus affreux, cent charlatans fourrés, encor plus dangereux, auroient fuffi, fans doute, au malheur de la terre; fans que l'homme inventât ce grand art de la guerre, Je hais tous les héros, & Nembrod & Cyrus, & ce Roi fi brillant qui forma Lentulus. Le monde admire envain leur valeur indomptable:~, je m'enfuis loin d'eux tous, & je les donne a diable.

Année 17749

En m'expliquant ainsi, je vis que dans un coin, un jeune curieux m'observoit avec foin; fon habit d'ordonnance avoit deux épaulettes de fon grade à la guerre éclatans interprêtes; fes regards assurés, mais tranquilles & doux, annonçoient fes talens, fans marque de courroux : de la Tactique, enfin, t'étoit l'auteur lui-même.

Je conçois, me dit-il, la répugnance extrême qu'un vieillard philofophe, ami du monde entier dans fon cœur attendri, fe fent pour mon métier, 11 n'eft pas fort humain; mais il eft néceffaire : l'homme eft né bien méchant, Caïn tua son frère; & nos frères les Huns, les Francs, les Vifigoths, des bords du Tanaïs accourant à grands flots, n'auroient point désolé les rives de la Seine, fi nous avions mieux fû la Tactique Romaine. Guerrier, né d'un guerrier, je professe aujourd'hui l'art de garder fon bien, non de voler autrui. Eh quoi vous vous plaignez qu'on cherche à vous défendre !

Seriez-vous bien content, qu'un Goth vînt mettre en cendre

vos arbres, vos maifons, vos granges, vos châteaux ?

11 vous faut de bons chiens, pour garder vòs trou-
peaux.

Il eft ( n'en doutez point) des guerres légitimes,
& tous les grands exploits ne font pas de grands
crimes.

Vous-même, à ce qu'on dit, vous chantiez autrefois

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