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en était venue. La France a été l'héritière de la tradition italienne. Salvator Rosa et le Poussin furent contemporains. Salvator fut le dernier des Italiens. Après lui, qu'est-il né par delà les monts? pas une âme pensante, et du Poussin au David, pendant ce doux hiver de la peinture, le soleil un peu pâle, mais bienfaisant et quelquefois encore brillant, qui a éclairé l'Europe entière, durant cette longue période de cent années, luisait de la France, et seulement de la France.

Le génie d'un grand peuple a cent faces diverses. Il y avait eu en Italie plus d'écoles illustres que de duchés et de républiques. Ainsi, en France: autant de températures, autant de tempéraments. Les races diffèrent dans les provinces, l'esprit y différait de même. Rouen, Blois ou Nancy, ne sont point sur la route de Rome. Ce sont pays riches de verdoyance, mais pauvres de lumière et de chaleur. Les rayons d'été n'y entrent dans les cathédrales gothiques qu'à travers les rosaces et les vitraux peints. Il n'y croît ni olivier ni oranger. Comment serait-il possible que nos peintres du Nord eussent manié même pinceau que ceux de Toulouse ou d'Aix, qui voyaient les montagnes et les mers bleues de l'Espagne et de l'Italie?

Jamais la division des provinces ne fut plus nettement marquée qu'à l'époque où prit naissance la première école française. C'était le temps des États provinciaux, le temps des parlements. Chaque province ayant son gouvernement, avait son unité, sa tête solide. Elle avait à cœur de cultiver son esprit particulier, de produire ses fruits particuliers. Les gouverneurs de nos provinces n'étaient-ils pas d'ailleurs,

pour la plupart, des plus hauts princes du royaume? Ils avaient une cour autour d'eux, composée des plus brillants gentilshommes et des plus éclairés, qui donnaient mouvement aux intelligences.

On remarque dans la vie des peintres d'alors une agitation incroyable. Paris ne dominait pas violemment les provinces; il n'offrait pas aux artistes d'école constituée et attirante; chacun se façonnait dans le coin où il était né; il y créait quelques œuvres qui le faisaient connaître hors de sa ville. Le mandait-on à Paris, il y venait déposer un travail, puis il s'en retournait dans sa province natale où il prenait femme, et se bâtissait un logis. Il pouvait faire dix fois le voyage de Paris, mais toujours son pays et les siens le rappelaient. Chemin faisant, il s'arrêtait dans une abbaye ou dans un archevêché et on lui donnait à peindre la vie d'un saint en dix tableaux. Mais un beau matin, après trois ans de halte, il repartait pour sa ville, et s'en allait accrocher son dernier tableau aux murs de la même église pour laquelle il avait entrepris, trente ans avant, sa première peinture. Ce fut sans doute en un pareil voyage que Quintin Varin d'Amiens, passant vers 1610 par le pays des Andelys, donna les premières leçons à Nicolas Poussin, enfant de quinze ans, et des mains de ses parents le livra à la peinture. Il faut lire dans Félibien, comme modèle d'une honnête vie de peintre provincial en France, ce qu'il raconte de Jean Mosnier de Blois.

Puis il y avait les peintres et les écoles d'une certaine ville, les Lenain à Laon, à Reims Nanteuil et Regnesson, à Nancy Callot et Deruet. Cette terre de Lorraine, qui a baptisé Claude

Gelée, a été de tous temps une vigoureuse nourrice pour les arts. La petite école de Metz n'en est-elle pas de nos jours un heureux rejeton?

Plus considérable que ces écoles du nord, fut la très-nombreuse école du midi, l'école provençale, dont les œuvres remplissent comme un musée l'église de Sainte-Marthe, à Tarascon les Mignard d'Avignon, les Vanloo, les Sauvan, les Parrocel, les Vien, auxquels il faut joindre, sans ordre ni date, Fauchier, Michel Serre, Puget, Faudran, Pinson de Valence, Levieux de Nîmes, Manglar, précurseur et maître de Joseph Vernet, Lacroix et Henri, ses deux suivants, tous peintres de valeur, qui ont eu sur la peinture française une très-grande et très-directe influence. Leurs brillants et abondants tableaux encombrent la Provence entière et la partie du Languedoc la plus rapprochée. A Avignon commence, pour bien dire, l'empire de la peinture italienne, car l'école dont je parle en est tout au moins la fille aînée. Le plein soleil, éclairant vif et net les moindres chapelles des églises de ce pays, y donne vie à une multitude de cadres, non pas tous du même âge, mais reconnaissables aisément de même famille, à un coloris doux, frais et fin; et c'est ce coloris plus fin et plus délicat peut-être que celui des Bolonais et des Génois d'où il venait, mais moins solide, qui remonta vers Paris avec les Parrocel et les Vanloo, et s'y substitua aux âpretés grossières de la palette de Lebrun. En se mariant à la verve septentrionale de Watteau et de Jouvenet, ce coloris de l'école de Provence a formé les plus beaux tons et les plus suaves du dix-huitième siècle. La généreuse école du midi, riche,

féconde, vivace, n'a pu être éteinte que par la dissolution des provinces; elle mourut, il y a quelques années seulement, à Arles avec Réatu le peintre de mythologies, à Aix avec Constantin le paysagiste; il n'en reste plus en ce département qu'un goût et une curiosité assez généraux pour les œuvres de tant d'habiles artistes, qui vont néanmoins, je l'ai dit, se dégradant, se dispersant. La noble passion qu'a montrée M. Thiers pour les beaux-arts, et particulièrement pour la belle sculpture, n'est-elle point née des merveilles qu'enfant et jeune homme il a vues dans Aix? les statues, les bas-reliefs, les prodigieuses ciselures de Pierre Puget, de Christophe Veyrier, d'Antoine Duparc, de Toro, de Chastel, de Chardigny, n'ont-elles point mille fois assiégé son souvenir? Mais Paris enfin ayant absorbé toute la force et toute l'intelligence du royaume, l'école d'Aix, transformée dans les derniers temps, est venue se fondre dans la grande école parisienne; M. Granet et M. de Forbin, élèves du paysagiste Constantin, et Clerian le fils, élève de M. Granet, ont été les hommes de ce dernier mouvement. Suivant une attraction pareille, Lemonnier, Géricault et Court 1 sont venus confondre dans la même nouvelle école française, le génie normand personnifié autrefois par Jouvenet et ses neveux.

Oui, il y avait un génie normand, et Jouvenet en a été la parfaite incarnation. Jouvenet n'avait pas vu l'Italie comme Poussin ; il avait appris son art à Rouen, dans l'atelier de son père. Ses modèles furent des Normands, et il n'a jamais fait

1 J'entends l'auteur de la Mort de César et du Boissy d'Anglas.

circuler dans les veines de ses saints et de ses apôtres que du sang normand. Les femmes que Jésus chasse du temple sont des fermières cauchoises, celles qui emportent le poisson de la pêche miraculeuse sont des Dieppoises; ses anges ont la sveltesse et l'élancé des jeunes garçons de Normandie; sa couleur même est normande, l'air qu'on respire en ses tableaux est de l'air normand. Mettez un Rubens auprès d'un Jouvenet, chacun d'eux indiquera parfaitement la différence des deux races, du peuple de Normandie et du peuple de Flandre; il apprit tout cela aux Restout, qui le comprirent à merveille; le côté provincial est même leur beau côté. Jouvenet n'ayant pas à se préoccuper de telle ou telle manière italienne, fut naturellement un grand coloriste, un coloriste du nord, et très-original à côté de Rubens; il fut même, à vrai dire, le seul peintre original, en France, du temps de Louis XIV. Tous ces mérites lui vinrent peut-être de ce que tout simplement il comprenait et traduisait le caractère de sa province : entreprenant, facile, plaisant, vigoureux, indifférent, abondant et ami des belles couleurs, comme tout enfant d'une nation de navigateurs. Ce mot facile à s'expliquer par les rêves, les récits brillants et dorés des mariniers aventureux, est appuyé par tous les faits connus: Tyr et Sidon inventèrent la pourpre. Autant en Italie d'écoles coloristes, autant de ports et de races marines : les Vénitiens, les Napolitains, les Génois. Murillo voyait remonter à Séville les vaisseaux des Indes; dans le nord, Anvers et Amsterdam. Les Anglais n'ont jamais pu être que coloristes (coloristes exaspérés, a écrit admirablement Baudelaire Dufays). Enfin, dans le temps

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