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schéba, demeures de prédilection de Iahwé, lui étaient une abomination, que les sacrifices et les offrandes dont on l'y honorait excitaient sa colère, au lieu de l'apaiser, qu'Israël allait être enterré (Amos, 9) sous les ruines de ses temples, où il avait cherché abri et protection. Que voulaient-ils dire? On comprendrait mal les prophètes si l'on imaginait qu'ils eussent été choqués par ces lieux saints en eux-mêmes à cause de leur pluralité ou parce qu'ils n'étaient pas légitimes. Ils ne font pas de zèle contre les lieux, mais contre le culte qu'on y pratiquait, et non pas seulement contre la manière fausse de le célébrer, parce qu'il s'y était mêlé beaucoup d'abus, mais presque contre lui-même, contre la valeur qu'on lui attribuait. L'opinion commune était celle-ci : de même que Moab se montre comme peuple de Camosch, en lui apportant ses offrandes et ses dons, de même Israël est le peuple de Iahwé parce qu'il lui a voué son culte et qu'il en serait d'autant plus sûr qu'il l'honorerait avec plus de zèle. Aussi, aux temps de danger et de détresse, où l'on avait plus particulièrement besoin de son secours, on doublait et triplait les efforts des pratiques cultuelles. Voilà à quoi les pro-phètes s'opposent, en exigeant que le rapport entre Israël et Iahwé soit vivement affirmé par des actes tout différents. C'est là la cause de leur animosité contre le culte; de là vient leur haine contre les grands sanctuaires, où le zèle superstitieux ne faisait qu'enchérir sur lui-même, leur colère à l'égard de la multiplicité des autels, qui poussaient avec trop d'abondance sur le sol de la fausse confiance. Que les lieux fussent abolis et que le culte restât comme auparavant la chose principale de la piété, pourvu qu'il füt restreint dans un seul lieu, ce n'est pas du tout ce qu'ils souhaitaient. »

Ce qu'Hosée et Amos souhaitaient, ils l'ont dit hautement à tous ceux qui voulaient les entendre; ils l'ont exprimé dans d'innombrables passages de leurs prédications, sans réticences et sans arrière-pensée. Les extraits cités ci-dessus en donnent la preuve la plus éclatante. Mais nous avons beau examiner et peser chacune de leurs expressions, nous n'y découvrons rien qui rappelle de près ou de loin les vues dont M. Wellhausen les gratifie et je crains fort que le brillant écrivain ne soit tombé dans un singulier anachronisme en attribuant aux hommes du VIIIe siècle avant l'ère vulgaire les idées religieuses du XIXe siècle. Mais précisons:

Il est absolument inexact que le culte éphraïmite officiel, surtout

Ce mot a été souligné par M. Wellhausen lui-même; le savant auteur a instinctweement reconnu le peu de fondement d'une telle affirmation.

↑ J. Wellhausen, Geschichte Israels, 2o éd., p. 23-24.

T. XII, N° 23.

celui que le peuple célébrait sur les hauts lieux ou bamot, s'adressait à Iahwé. Amos et Hosée attestent le contraire par leur habitude de donner à Béthel le nom flétrissant de Bêt-Awen 1,« maison de l'idole ». Le temple de Jérusalem, à peu d'intervalle près, a été bien souvent rempli d'idoles et des plus authentiques, et cependant aucun prophète n'a osé en contester la sainteté. Ils en déploraient amèrement la profanation et en annonçaient même la ruine, mais ils affirmaient cela, la mort dans l'âme, et ne manquaient jamais de se consoler avec l'espérance de sa restauration. Rien de semblable en ce qui concerne les sanctuaires éphraïmites dont la destruction à tout jamais est prédite avec une joie des moins déguisées. C'est à Israël seul que ces prophètes promettent une brillante restauration, mais à la condition de revenir à la dynastie davidique et au temple de Jérusalem, l'unique demeure de Iahwé (Hosée, 111, 5; Amos, 1, 2). L'idée de voir pratiquer dans le sanctuaire de Béthel un culte spirituel sans rites et sans sacrifices a d'autant moins pu germer dans l'esprit de nos prophètes que, grâce à ce changement, le temple salomonien aurait été réduit au second rang ou plutôt serait devenu pour eux un objet d'aversion, comme l'avait été l'ancien temple éphraïmite. En principe, il est vrai, et pour combattre la confiance inspirée au peuple par les pratiques du culte, les prophètes ont soutenu constamment que le culte extérieur n'avait aucune importance en lui-même (I Samuel, xv, 22; Hosée, vi, 6, passim), et cet esprit n'a jamais cessé de pénétrer le régime lévitique qui envisage le sacrifice comme un simple complément du repentir et de l'amende honorable (Lévitique, Iv). Quant à voir dans les sacrifices et les rites un obstacle à la vraie piété, et par conséquent une œuvre antireligieuse, une telle conception ne prit naissance qu'au moment où saint Paul considéra la mort du Christ comme un acte d'expiation universelle et permanente, qui rendait aussi superflu que gênant tout autre moyen expiatoire. Les prophètes sont très éloignés d'un ordre d'idées de cette nature.

IV

Mais si Amos et Hosée ont effectivement enveloppé de leurs anathèmes le culte et les sanctuaires israélites, ne sont-ils pas allés trop loin en accusant d'idolâtrie de pieux et zélés serviteurs de lahwé? L'exagération n'est-elle pas le péché mignon des tribuns de tous les temps, et l'innocence n'est-elle pas souvent méconnue et maltraitée par leur faconde? Que ne donnerait-on pas pour pouvoir

dire à ces grands procureurs de Iahwé d'il y a 2,700 ans : « Vous vous êtes trompés; le peuple que vous avez accusé, votre peuple, a été une communauté de saints; il adorait le même dieu que vous, mais, par suite d'une myopie des plus regrettables, vous avez méconnu sa piété et son zèle; souffrez donc que nous le réhabilitions après l'opprobre presque trois fois millénaire dont vous l'avez couvert! » Malheureusement, et en dépit de notre meilleure volonté, la révision du dossier ne conduit pas à réformer le premier jugement, car l'accusation d'idolâtrie est trop fondée et ne peut être atténuée par aucun artifice de rhétorique.

Ne pouvant nier ni le culte des veaux de Béthel et de Dan, ni celui des statues de métal et de pierre dans le reste du pays, les critiques modernes cherchent à écarter la préméditation en affirmant que les naïfs Éphraïmites entendaient adorer Iahwé lui-même sous ces images. C'est ingénieux, mais c'est par trop spécieux. D'abord les prophètes ne font pas le moindre effort pour éclairer leurs contemporains sur l'illégitimité de faire des images de Iahwé; ils supposent, au contraire, comme un fait généralement connu que Iahwé ne peut pas avoir une représentation matérielle. L'absence de l'image du dieu national dans le temple salomonien prouve déjà, à elle seule, que la conception spirituelle de Iahwé est bien ancienne. Qu'une telle conception ait eu de la difficulté à pénétrer dans la masse populaire, cela va sans dire; de là, les récits exceptionnels comme ceux de l'Exode xxxII et de Juges XVII, qui confirment la règle1. Si l'on regardait bien, on trouverait encore aujourd'hui et dans tous les pays d'Europe des centaines de personnes dont les idées sur la divinité ne sont guère plus avancées que celles des maraudeurs danites ou celles de la génération qui est sortie d'Egypte, mais cela prouverait-il que l'idée de Dieu spiritualiste fait encore défaut aux peuples occidentaux? Le spiritualisme originaire de la conception de Iahwé se montre clairement dans l'absence de toute notion de sexualité. Les payens savaient, eux aussi, et longtemps avant la naissance de la nationalité hébraïque, distinguer dans leurs fétiches l'objet naturel de l'esprit qui s'y logeait, mais, tandis que pour eux l'esprit n'était au fond que le double de la matière, pouvant entrer avec ces principes dans un rapport in

Il est digne de remarque que l'idée prédominante de ces récits est la nécessité pour le peuple d'avoir un chef légitime : le veau d'or du désert est fabriqué pendant l'absence de Moïse (Exode, xxx, 1, 23), celui de l'Ephraïmite, à l'époque où il n'y avait pas de roi légitime (Juges, xvIII, 1). L'idée que le lahwisme pur est le fruit de la royauté légitime, forme aussi le fond du verset d'Hosée, x, 3: Ils disent maintenant Nous n'avons pas de roi légitime, car nous ne craignons pas Iahwé, et le roi (que nous avons), que peut-il nous faire?

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time au point d'être confondu avec eux, pour les fondateurs du mosaïsme, Iahwé était, sinon toujours un pur esprit, d'une substance sui generis, surnaturelle, analogue en quelque sorte à la flamme la plus ardente qui agit négativement sur les corps et ne s'assimile jamais à eux. Cette inincarnabilité de Iahwé est la base du monothéisme pur; les deux conceptions sont inséparables. Les dieux payens, comme les êtres animés de la nature, ont des parhèdres féminins et sont soumis au processus de la génération; ils peuplent l'univers de leurs descendants, rattachés les uns aux autres par les liens d'une parenté plus ou moins éloignée. Les Grecs, par exemple, ont toujours trouvé moyen de relier les divinités des autres peuples aux leurs par une filiation généalogique. Les Iahwistes n'ont pas eu cette ressource : leur dieu surnaturel et, par suite, dépourvu de sexualité devait toujours demeurer un et unique; il ne leur restait qu'à déclarer les autres divinités de n'importe quelle origine tantôt des êtres matériels et inférieurs créés par lahwé lui-même 1, tantôt des illusions et des vanités. Dans le développement antijudaïque du christianisme, le dogme de l'Incarnation a également précédé celui de la Trinité. J'insiste tout particulièrement sur cette marche de l'idée religieuse des Iahwistes parce qu'elle nous explique un phénomène commun à toute la littérature prophétique. Aussi loin qu'on peut remonter, les idoles sont considérées comme des objets sans vie et inertes, fabriqués par la main de l'homme, et cependant, à aucune époque de l'activité prophétique, les payens ne confondaient le dieu avec l'objet matériel qui lui servait de domicile. La cause de ce fait réside évidemment dans cette circonstance que, pour les prophètes, l'impossibilité d'enfermer la divinité dans un objet matériel était un axiome naturel et l'idée ne leur.est pas même venue que l'on pût penser autrement. Un fait analogue eut lieu plus tard dans l'histoire du christianisme. Les pères de l'Eglise avaient beau expliquer que la trinité ne détruisait pas l'unité divine, les controversistes juifs et mahométans de toutes les époques ont tout de même soutenu, et cela avec la plus grande sincérité du monde, que les chrétiens adoraient trois divinités distinctes. Mais pour qu'une telle conception de la divinité passât dans le sang des prophètes, il a certainement fallu une éducation longue et persévérante. En tout cas, depuis la construction du temple de Jérusalem, pour le moins, l'adoration sans images de Iahwé était de notoriété publique, et, de telle sorte, l'introduction d'images dans le sanctuaire de Béthel

1 Deuteronome, iv, 19.

Ibidem, xxx, 7.

par Jéroboam ne saurait être regardée comme le résultat d'une erreur involontaire ou d'un artifice exégétique.

En réalité, cet acte autoritaire inaugurait une rupture éclatante avec le Iahwisme lui-même et avec ses partisans, les prophètes. Ceux-ci, mécontents du cosmopolitisme religieux qui prédominait à Jérusalem dans les dernières années de Salomon, favorisèrent au début la scission des dix tribus, sans doute avec l'espoir de fonder dans le royaume du Nord un culte plus pur. L'initiative de cette levée de boucliers prophétique fut prise par Ahia de Silo, évidemment dans le but de faire de sa ville natale le centre du culte épuré. Le nouveau sanctuaire de Silo n'aurait été en somme que la continuation de l'ancien sanctuaire national remontant à l'époque de Josué et ayant persisté presque jusqu'au commencement de la royauté ; il pouvait donc lutter avantageusement contre le temple de Jérusalem, qui n'avait pour lui ni tradition, ni consécration historique. Mais Jéroboam préféra placer le nouveau sanctuaire à Béthel à cause de sa proximité de Jérusalem et surtout à cause des traditions patriarcales qui se rattachaient à cette ville. Ce retour en arrière à l'époque antémosaïque mécontenta les prophètes, et le roi, pour mieux marquer sa rupture avec eux, remit en honneur le culte des fétiches et des idoles, qui, malgré le mosaïsme, régnait encore dans les masses populaires. Un décret d'expulsion ne tarda pas à être lancé contre les prophètes de Iahwé, lesquels, de leur part, vouèrent bientôt une haine inexorable à la nouvelle dynastie. Le caractère antiprophétique de la royauté éphraïmite éclate en pleine évidence par l'abolition du naziréat qui facilitait le recrutement du prophétisme (Amos, 11, 11-12). Avec l'extirpation de ces deux institutions si intimement liées, les racines mêmes du Iahwisme furent entamées, car un dieu sans interprètes et sans adorateurs exaltés est un vain fantôme qui ne hante pas longtemps l'imagination d'un peuple. Et en effet, ces persécutions systématiques ont porté leur fruit: les Israélites transportés dans les provinces assyriennes se sont irrémédiablement perdus dans les populations payennes, sans avoir songé à conserver leur religion particulière et à aller prier sur les ruines de Béthel. C'est précisément parce que, déjà longtemps avant l'exil, leur religion ne différait guère de celle des autres Sémites et qu'ils trouvaient partout des cultes identiques à celui qu'ils avaient célébré à Béthel. Quelle différence entre cet oubli spontané de la part des Ephraïmites de tout ce qui doit être sacré

1 Le même procédé a été suivi plus tard par saint Paul et Mahomet afin d'accenuer leur séparation du judaïsme traditionnel.

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