SÉANCE DU 7 JUIN 1872 Présidence de M. Ferd. de Lesseps, Membre honoraire. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et approuvé. M. de Lesseps se réserve de faire au cours de la séance quelques observations sur ce qui concerne le Canal de Suez. M. Mariette-Bey présente à l'Institut des photographies des silex taillés recueillis au Musée de Boulaq et maintient l'opinion déjà exprimée par lui que ces instruments ne remontent pas au delà de l'époque historique. On les rencontre en grand nombre partout où il y a eu des agglomérations d'ouvriers. Ainsi, dans la presqu'ile du Sinaï, leurs amas qui se retrouvent devant les anciennes mines de Turquoises pourraient servir à indiquer l'entrée des carrières. Ni leur gisement ni leurs formes ne permettent donc de croire qu'ils appartiennent à l'àge de la pierre. Ils se rapprochent même souvent beaucoup de l'époque actuelle. Ainsi, il y en a cinq ou six cents qui sont dus aux recherches de M. le Docteur Reil et qui n'ont pas plus de 7 à 800 ans, et cela n'a rien qui doive étonner, car les Arabes se souviennent encore d'avoir vu les Bédouins armés de flèches à pointes de silex. Il en est de même, comme cela a déjà été remarqué, de l'usage des coquillages comme ornements, usage qui remonte à une haute antiquité, mais qui a continué jusqu'à nos jours. M. le Docteur Reil raconte comment il a trouvé les silex dont vient de parler M. Mariette-Bey. C'est en cherchant une source sulfureuse. Après avoir épuisé le sable qui comblait l'ouverture, on trouva de beaux silex taillés, parmi lesquels se rencontrèrent également divers objets évidemment modernes : une tête de pipe, un anneau en or, un tesson de vase arabe. C'était probablement, continue M. Mariette, un ancien puits bouché, et il est fort possible que le grand nombre de pointes de silex trouvées dans cet endroit, provienne du passage de quelque corps d'armée. Ainsi, dit M. de Lesseps pour résumer cette discussion, il est bien entendu que les silex taillés trouvés en Egypte appartiennent tous aux époques historiques et qu'on n'a rien trouvé jusqu'ici qui se rapporte à l'âge de la pierre. En effet, ajoute M. Mariette, nulle part en Egypte les silex en question n'ont été trouvés en compagnie d'ossements d'espèces perdues, de fossiles pouvant indiquer une époque antérieure à l'état actuel, sauf peut-être dans l'Isthme de Suez. L'Egypte, d'ailleurs, dont l'abord n'était pas facile à ces époques reculées, n'a dû être habitée que très tard et dans des temps déjà historiques. Lecture est donnée d'une notice de M. Mahmoud-Bey sur le système actuel des poids et mesures en Egypte. « Ce système, dit Mahmoud-Bey, tire, comme le système << métrique Français, son origine d'une seule unité, qui est << ici la coudée Baladi (indigène). << La valeur de cette coudée, d'après de grandes recherches << que j'ai faites pendant ces derniers temps, se trouve égale << à 0m 5826. Elle est à peu de chose près le double du pied <<< romain. << Si l'on fait un cube dont le côté est la longueur de . «< cette coudée, il tient juste l'ardeb égyptien, qui n'a pas << varié depuis l'époque romaine jusqu'à nos jours comme << nous le prouverons ailleurs. « L'ardeb se divise en six mesures qui prennent le nom de << Webeh. « Le Webeh se divise en deux keleh. << Le Keleh se divise en deux roubes. « Le Roube se divise en deux malouah. « Le Malouah se divise en deux cadah, et ainsi de suite « jusqu'à la plus petite mesure de capacité qu'on appelle << Kirath et qui est 1/32 du cadah. « On voit donc que toutes les mesures de capacité tirent << leur origine de la coudée Baladi. « Si l'on prend le quart de cette même coudée pour for« mer un cube en métal, le poids du volume d'eau contenu << dans ce cube est 1000 dirham, et le dirham est l'unité de << poids, comme le gramme dans le système français. Le poids du dirham se trouve, d'après de minutieuses recher<< ches, égal à 3o 09. « 12 dirham font une wakieh (once) et 12 wakieh font << un ratl. Le ratl est en conséquence de 144 dirham. « L'ocque est de 400 dirham. « Le cantar légal est de 100 ratl (livres), mais il y a << plusieurs cantars de différentes valeurs. << Les mesures de poids et de capacité ci-dessus indiquées << sont les seules mesures indigènes en usage en Egypte. << Mais, pour les mesures de longueur, il y a plusieurs sor«tes de coudées. «La coudée Baladi s'emploie exclusivement pour mesurer << les nattes et quelques étoffes. « La coudée d'architecte vaut 0m75. « Quant aux mesures agraires, nous avons la Cassabah et << le Feddan. << La Cassabah est une longueur de 3m 55 (par convention) << Le Feddan est de 333 1/3 cassabah carrées, c'est-à << dire que 1, 000 cassabah carrées font trois feddans. « Le Feddan se divise en 24 parties dont chacune prend le << nomde Kirath. » M. de Lesseps, témoigne tout l'intérêt que présente cette note où l'on peut saisir facilement l'ensemble du système égyptien des poids et mesures. M. Mariette émet l'avis adopté par l'Institut qu'elle soit insérée en entier dans le prochain bulletin. M. de Lesseps, revenant sur ce qui avait été dit dans la précédente séance par M. de Lanoue, au sujet de l'Isthme de Suez, dit que les craintes exprimées par lui, soit sur l'ensablement de Port-Saïd, soit sur l'évaporation des lacs amers, n'ont rien de fondé. Pour ce qui concerne Port-Saïd, la manière dont le port est construit et la nature mème des atterrissements qui se sont produits jusqu'ici, écarte tout danger. La rade est formée en effet par deux jetées, l'une à l'est, l'autre à l'ouest, et cette dernière, qui protège le port contre les courants, a une longueur de 2,400 mètres. Les jetées, écartées à leur base, du côté de la terre, de 1,500 mètres, ne sont plus séparées à leur extrémité que par une distance de 400 mètres; et celle de l'ouest, par une courbure dans sa partie nord, protège complétement l'entrée du canal en forçant les courants et les sables à se porter à l'extérieur de la jetée de l'est. D'ailleurs, à leur extrémité, les jetées atteignent des profondeurs de 8 mètres, et à cette hauteur les vagues de fond ne se font plus sentir et l'on n'a plus à craindre d'atterrissement.' Aussi le chenal est-il toujours resté libre et les atterrissements qui se sont produits, occupant l'angle extérieur formé entre le rivage et la jetée de l'ouest, n'ont fait qu'agrandir la ville en renforçant la jetée sans aucun inconvénient pour le canal. Le sable, à l'origine, pénétrait bien par les interstices mêmes des blocs qui forment la jetée, de manière à s'introduire dans l'intérieur du canal. Mais il est arrivé ainsi à former, à l'intérieur même de la jetée, une sorte de dos d'àne ou de bourrelet qui bouche ces mêmes interstices et protège efficacement le chenal contre tout envahissement nouveau. Aussi a-t-on pu maintenir toujours le chenal à la profondeur voulue, et les draguages nécessaires diminuent tous les jours. On n'a eu en 1871 que 90,000 mètres cubes à extraire au lieu de 300,000 qu'il fallait, à l'origine, enlever chaque année. Il faut remarquer d'ailleurs qu'on ne saurait assimiler le canal à un fleuve; l'eau de mer n'apporte ni limon ni détritus et, par conséquent, la cause qui a ruiné tant de ports situés à l'embouchure des rivières, n'existe pas ici. Quant aux lacs amers, toutes les théories que l'on peut faire sur les calculs de l'évaporation sont démenties par les observations faites sur mer ; et à cet égard, M. de Lesseps s'en rapporte entièrement aux résultats consignés par le Commodore Maury, de la marine américaine. Si l'on voulait s'en tenir à la théorie pure, il faudrait conclure qu'un millier d'années suffirait pour dessécher en entier la Mer Rouge. Mais il y a évidemment des phénomènes, une force quelconque, dans les profondeurs, qui compense ce que nous voyons s'accomplir à la surface. Pour les lacs amers en particulier, il faut se rappeler leur histoire. Ils étaient encore pleins du temps de Strabon, et c'est le quatrième successeur du Khalife Omar qui les dessécha en faisant boucher leurs issues. Il ne s'agit donc pas là d'un dessèchement naturel qu'on est exposé à voir se renouveler. Ils sont restés remplis tant qu'ils ont été en communication avec la mer, et cette com |