BULLETIN DE L'INSTITUT ÉGYPTIEN SÉANCE DU 27 AVRIL 1872. Présidence de S. E. Colucci-Bey. Lecture est donnée du procès-verbal de la séance précédente. M. le Président Colucci-Bey présente à l'Institut M. de Lanoue, l'un des membres correspondants, et rappelle ses titres à la notoriété publique, ses travaux notamment sur la géologie. Il l'invite à faire connaître à l'Institut le résultat de son voyage en Egypte. M. de Lanoue remercie l'Institut de l'accueil qui lui est fait et s'excuse en disant qu'il n'a pas préparé la communication qu'on lui demande. Il essaiera cependant de rendre compte de ce qu'il a rencontré de plus intéressant. Il a commencé par visiter l'Isthme de Suez, où il avait été chargé spécialement par M. Cialdi, de Rome, d'étudier l'état actuel de Port-Saïd et la question de l'ensablement, qui lui a paru assez inquiétante. M. de Lanoue fait observer d'ailleurs que tous les ports créés par les Pharaons à l'embouchure des branches du Nil ont fini par être ensablés, non-seulement par l'effet des apports annuels du Nil, mais encore par le grand courant maritime d'Ouest en Est qui règne sur toute cette côte de la Méditerranée et va jusqu'en Syrie menacer Beyrouth. Alexandre, en choisissant l'emplacement d'Alexandrie, en amont de ce même courant de sables, montra au contraire une vue supérieure des circonstances locales; et Alexandrie, en effet, a conservé son port. Les Grecs d'ailleurs semblent doués à cet égard d'une sûreté exceptionnelle de coup d'œil; les ports fondés par eux se sont, en général, maintenus à leur profondeur; et l'auteur cite l'exemple de Marseille, restée toujours un port de mer prospère, alors que Aigues-Mortes se voyait peu à peu reléguée loin de la mer. M. de Lanoue a pu faire à Port-Saïd quelques sondages, dont il a envoyé les résultats à M. Cialdi. Il en attend incessamment d'autres que M. de Lesseps a promis de lui faire. parvenir. Un autre phénomène a, dans l'Isthme, attiré l'attention de M. de Lanoue. C'est la salure des lacs amers. Il est évident par la faune et la flore fossile du lac que nous sommes en présence d'une ancienne branche de la mer Rouge, qui, à cette époque, devait communiquer avec les lacs. Le soulèvement des plages que l'on observe dans tout le nord de la mer Rouge a fini par isoler les lacs amers, qui, ne recevant plus aucun aliment, ont laissé entièrement évaporer leur eau. Le sel resta et forma la grande croûte que les voyageurs ont pu voir avant le remplissage des lacs. Il faut remarquer que déjà une fois après le retrait de la mer Rouge, les lacs avaient été remplis. Les Pharaons y avaient, en effet, dérivé une branche du Nil et avaient ainsi formé un lac d'eau douce, car Strabon dit formellement à cet égard que le nom de lacs amers se rapporte à un état antérieur et que de son temps l'eau était douce. Ainsi, l'eau n'avait pu fondre l'immense galette de sel laissée par la mer, et qui a été retrouvée après la disparition de cet ancien canal d'eau douce. Les lacs sont aujourd'hui remplis de nouveau, et cette fois par l'eau de mer. L'évaporation recommence son œuvre, et le sel s'amoncelle de nouveau. Aussi trouve-t-on déjà les eaux beaucoup plus salées que celles de la Méditerranée, de la mer Rouge et du reste du canal. Après sa.visite à l'Isthme de Suez, M. de Lanoue s'est rendu dans la Haute-Egypte, et il a pu y recueillir des données intéressantes de géologie et d'archéogéologie, car aujourd'hui les notions sur les antiquités humaines aux époques géologiques ont pris une telle extension qu'elles peuvent former une branche à part dans la science que ce nom caractérise bien. Il ne dira qu'un mot des questions géologiques se rattachant à l'Egypte; c'est à propos de Gebel Silseleh où l'on retrouve brusquement les roches de grès des environs d'Assouan émergeant au milieu d'un calcaire nummulitique semblable à celui des environs du Caire ; ce qui semble indiquer pour le sol égyptien une formation lente et uniforme qui est venue remplir sans secousses les vides du massif montagneux primitif. Il a vu pourtant à Louqsor des traces de tremblement de terre. M. de Régny fait observer que d'après les auteurs anciens, ce serait un tremblement de terre, en effet, qui aurait fait perdre à la statue de Memnon sa sonorité. M. Magdaly-Effendi compare la situation de la montagne de Silseleh à celle du massif granitique du Sinaï qui se trouve également au milieu d'une espèce de mer calcaire. M.de Lanoue arrive ensuite aux questions archéogéologiques. Il s'agit des instruments de pierre qu'il a, à son tour, rencontrés dans la Haute-Egypte et qui lui paraissent de la plus haute importance, car leur forme les rattache à ceux qui ont été trouvés ailleurs dans des terrains d'époque antéhistorique. Il regrette de ne pouvoir en montrer à l'Institut, mais il a déjà disposé de ceux qu'il avait recueillis. Il en laisse la moitié au Musée de Boulaq, et il a déjà expédié l'autre moitié au Musée de Saint-Germain. Il entre d'abord sur ce sujet dans quelques développements généraux. Il rappelle la formation graduelle du globe terrestre, qui, suivant les données les plus probables de la science, fut d'abord à l'état gazeux, puis liquide, et se couvrit ensuite d'une écorce solide sur laquelle nous existons. Les 200 volcans encore en activité et qui déversent tous des laves et des scories de même nature, sont bien la preuve d'un réservoir commun encore en liquéfaction et dont ils sont les soupiraux. Les couches de la surface solide se sont ensuite superposées les unes aux autres; l'épaisseur porte témoignage de la prodigieuse ancienneté de notre planète. Qu'on songe seulement à cet égard que depuis l'époque historique, c'est-à-dire depuis six mille ans environ, les changements survenus sont à peine appréciables. Cela donnera la mesure du temps énorme qui a dû être nécessaire pour produire les révolutions géologiques. Ces couches successives que nous découvrons sont comme les feuillets d'un grand livre où la géologie cherche à retrouver l'histoire de notre globe; et les fossiles qu'elles contiennent, en nous aidant à les distinguer, nous font assister à la formation des êtres organisés. Longtemps parmi ces fossiles on n'avait rencontré aucune trace humaine, et l'opinion générale était que l'apparition de l'homme sur la terre ne remontait pas au delà de l'époque actuelle. Aussi grande fut l'émotion, quand on trouva en 1855, Saint-Acheul, près d'Amiens, dans des terrains quaternaires, les premiers objets en silex, évidemment fabriqués de main d'homme. Les géologues restèrent d'abord incrédules, croyant à une méprise d'archéologue. M. Boucher de Perthes passait presque pour fou. Mais il fallut bientôt se rendre à l'évidence; près de trois mille de ces instruments de pierre avaient été trouvés en trois ou quatre ans, et ni leur origine due à l'industrie humaine ni leur gisement dans les couches quaternaires n'étaient discutables. On voit par là quel immense développement dut atteindre dans ces âges reculés la fabrication de ces instruments. Plus tard, on commença à connaître et à employer les métaux, et il est vrai de dire avec les poètes que l'âge d'or fut le premier, car l'or qui est sinon le seul au moins le plus éclatant des métaux qui se rencontrent à l'état natif, attira le premier l'attention de ces races primitives. L'argent, le cuivre viennent après, ce dernier sous la forme du bronze. M. Manuel demande quelle est la composition ordinaire du bronze de ces époques. M. de Lanoue répond qu'on y trouve environ 90 p. % de cuivre et 10 p. % d'étain. Il y a aussi parfois du nikel et on se demande comment on avait pu, dès ces époques reculées, employer ces métaux dont les gisements sont fort rares. M. A. Gilly remarque que cela suppose déjà un commerce assez actif. M. de Lanoue dit que la même observation peut s'appliquer à l'emploi du jade qu'on retrouve dans des localités très-éloignées des lieux où il existe naturellement. Il remarquera d'ailleurs qu'au milieu de ces débris fort nombreux de l'industrie primitive on ne rencontre presque pas de restes humains. |