est justement émue, et la publicité donnée, grâce à ses efforts, aux réformes réclamées, a triomphé de l'indifférence de tous et du mauvais vouloir de quelques-uns. L'instruction populaire a pris une place importante parmi les préoccupations de l'Assemblée nationale, des conseils généraux et des conseils municipaux. Le désir de donner satisfaction à des vœux universellément exprimés a engagé le ministre de l'instruction publique à proposer quelques réformes bien modestes, mais qui ne peuvent qu'être suivies de plus importantes. Ce n'est pas moi qui lui conseillerai de s'arrêter dans la voie où il se propose d'entrer. J'avoue franchement que les réformes que je crois nécessaires dépasseront probablement la portée de celles que l'on peut attendre de l'initiative ministérielle, obligée de compter sérieusement avec les faits accomplis, les positions acquisès et les exigences des traditions, contre lesquelles une administration, quelque résolue qu'elle soit, ne peut essayer de lutter sans rencontrer des obstacles souvent insurmontables. Il faut sans doute attacher un grand prix aux réformes partielles, et, par exemple, à une meilleure distribution du travail, à l'introduction de nouvelles méthodes, à des réductions dans les différentes branches de l'enseignement, à l'examen de celles qu'il serait utile de conserver de préférence. Mais je voudrais que l'on se préoccupât, plus qu'on ne le fait, de l'esprit général qui doit présider à la réorganisation dont on s'occupe, et que l'on considérât le plan d'éducation qui embrassera tous les degrés de l'enseignement, depuis la salle d'asile jusqu'aux établissements d'instruction supérieure, dans ses rapports avec les institutions qui doivent régir la France. L'organisation de l'instruction publique ne saurait être la même pour une monarchie que pour une république, pour un État où domine l'aristocratie que pour une nation passionnée pour l'égalité démocratique. Que l'on compare les systèmes d'éducation adoptés par l'Angleterre, l'Allemagne, la Suisse, les États-Unis, et l'on comprendra facilement que celui qui convenait à la France monarchique ne saurait s'appliquer, sans subir de grandes modifications, à la France républicaine. Ce point de vue n'est nullement celui où se placent les politiques qui, tout en adoptant le mot république, entendent conserver la chose monarchie. Mais les hommes qui réclament l'obligation et la gratuité de l'instruction populaire ont parfaitement conscience des résultats que produirait l'accomplissement de cette double réforme. Les écrivains qui, dans ces derniers temps, ont signalé avec talent les imperfections de notre système d'éducation publique, ont eu raison de demander pour l'enseignement primaire une direction plus rationnelle, d'exiger des institu teurs formés dans nos écoles normales, objet d'une déplorable indifférence, une instruction plus étendue et une connaissance approfondie de la science pédagogique. Ils ont montré quelle force ont procurée aux nations qui ont apporté le plus de soin à l'organisation de leurs écoles, une large diffusion des lumières et l'extension donnée à la culture des sciences et des lettres. C'est pour faciliter une étude comparative entre les systèmes d'éducation adoptés par les nations qui les ont dû mettre naturellement en harmonie avec leurs institutions politiques et leurs habitudes sociales, que j'ajoute aujourd'hui un nouveau volume à ceux que j'ai publiés sur l'instruction publique en Angleterre et aux États-Unis. La Prusse et l'Allemagne ont depuis longtemps acquis à ce point de vue une renommée qui donne un grand intérêt d'actualité à l'étude de leurs écoles de tous les degrés. L'étude sérieuse que je viens d'en faire m'a prouvé que l'on a fort exagéré l'excellence de leur enseignement. Je ne veux pas contester, cependant, la supériorité que leur ont reconnue les autres nations de l'Europe. Ce n'est pas que je sois disposé à attribuer la victoire de Sadowa, le désastre de Sedan ou la prise de Metz à la supériorité des écoles primaires de la Prusse et à l'influence de ses instituteurs primaires; ce que je voudrais faire remarquer, c'est la différence des résultats produits sur l'état des esprits, la moralité publique, le degré de civilisation dans les deux pays dont je me suis tant occupé, et qui sont l'un et l'autre signalés par l'état florissant de leurs écoles primaires, l'étendue donnée aux études de tout genre et l'emploi des méthodes les plus per fectionnées. Nous savons trop bien, malheureusement, ce que vaut, au point de vue de l'humanité, de la justice, du respect pour le droit des gens, de tous les sentiments enfin que doit inspirer un état de civilisation aussi avancé qu'on pouvait le croire, l'Allemagne traînée à la remorque de la Prusse. Bien des personnes se sont demandé avec effroi à quoi servent la science, la littérature, la philosophie, à quoi sert une instruction populaire fortement constituée, si leur influence ne peut empêcher des actes qui semblent n'appartenir qu'aux époques de barbarie. Pourquoi le même développement intellectuel, le même zèle pour l'instruction populaire, les mêmes progrès dans toutes les branches des sciences, ontils produit aux États-Unis des effets tout opposés? Pourquoi les lumières et la civilisation y ont-elles marché du même pas ? Il faut en chercher l'explication dans la différence de cet esprit général dont je parlais plus haut, et qui préside, dans chacun de ces pays, à l'éducation nationale. Quand, au lieu de se laisser éblouir par les apparences, on veut pénétrer au fond des choses, on voit qu'un vice radical a détruit, en Allemagne et particulièrement en Prusse, les heureux effets que l'on se croyait en droit d'attendre de leur haut degré de culture intellectuelle. Tandis qu'aux États-Unis l'éducation publique a pour but de former, pour une république, des citoyens éclairés et libres, l'Allemagne ne s'est longtemps occupée qu'à élever, pour des gouvernements aristocratiques on monarchiques, des sujets soumis et obéissants. L'instruction publique y est née et s'y est développée sous la double influence de l'autorité absolue des princes et des ministres du culte auxquels elle était exclusivement subordonnée. J'ai rappelé, en parlant des écoles primaires en Prusse, les paroles par lesquelles Luther a demandé l'instruction obligatoire et proclamé la nécessité de multiplier les écoles. J'ai fait remarquer qu'il fallait bien que tout citoyen pût lire et commenter la Bible et que c'est à quoi songèrent surtout, à l'exemple du hardi réformateur, les pasteurs préposés à là surveillance et chargés de l'inspection des écoles. Le grand Frédéric, le moins libéral des rois et le moins philosophe des hommes, malgré ses avances intéressées à Voltaire et aux philosophes de son |