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patrie de Lycurgue, et subit l'arrêt que prononcèrent contre lui les éphores. Timothée, qui jouissait de la même gloire, fut plus puni que Terpandre, pour avoir enchéri sur lui, et ajouté plus d'une corde au luth avec lequel il chantait la liberté. L'ironie châtie plus souvent que les plus sévères lois: ses concitoyens consentirent bien à l'entendre ; il parut dans l'Odéon; mais à peine avait-il commencé à toucher son luth, qu'ils lui demandèrent de quel côté il voulait que l'on coupát les cordes qu'il avait mises de plus d l'instrument avec lequel il charmait autrefois sa patrie. Ce qui démontre, plus que tout autre fait, combien les Grecs mettaient de prix à la simplicité, c'est que, de leurs trois modes de musique, celui qu'ils aimaient le plus était le diatonique, parce qu'il était le plus naturel. Ils renoncèrent pour jamais au genre enharmonique, parce qu'il offrait de la recherche, et ces difficultés qui, tenant à l'affectation, sont la honte et non la gloire du talent, et le véritable fléau du génie; vérité dont devraient se pénétrer les hommes qui sont, dans les arts, ce que dans les lettres sont les pédagogues. Quant au chromatique, le dernier des trois modes de la musique grecque, interprète de la mollesse qui n'énerve pas moins l'âme que le corps, il fut déclaré infâme par les Lacédémonienst; et Timothée, le même qui avait été

* Timothée était de Milet; il mit jusqu'à onze cordes à sa lyre. Il ne faut pas le confondre avec celui de Thèbes qui calmait ou excitait à son gré, avec la flûte, l'âme d'Alexandre, et le fesait courir aux

armes.

† Cùm sint melodiæ tria genera enharmonicum, diatonum et chromaticum. Primum quidem propter nimiam sui difficultatem ab usu recessit: tertium verò est infame mollitie; undè medium, id est diatonum mundanæ musice doctrina Platonis adscribitur. Macrob. de Somn. Scip. Lib. II, Cap. IV.-Celio Rodigino, Lection. antiquar. Lib. IX, pag. 442, lit. D.-Bontempi, Syst. della Music. Parte I della Teorica, Corol. xx, pag. 71, et Parte II, Corol, XVII. pag. 10.

déjà puni pour un délit, à leur avis non moins grave, fut enfin banni de Sparte pour y avoir fait usage d'un mode qui devait en effet être en horreur aux plus austères de tous les Grecs.

Lorsque Orphée commença, par les accens de la lyre et de ses chants, l'éducation politique, la civilisation des Grecs, qu'il réunit du fond des bois où ils étaient dispersés dans l'enceinte des villes, où ils s'agglomérèrent, l'écriture n'était point inventée, et Cadmus n'avait point fait ce présent précieux aux Thébains. Orphée mit en musique des maximes, des vers, des sentences et jusqu'à des lois; et, chantées sous les formes d'hymnes ou de scolies, les Grecs ne les gravèrent pas moins dans leur esprit que dans leur mémoire. De là vint que tout ce qui attaquait la musique primitive chez ce peuple attaquait son code religieux et civil; et, vengeurs de la morale comme des coutumes antiques, les magistrats, comme les législateurs, ne souffrirent dans aucun tems qu'on changeât en rien les modes primitifs de la musique. Qu'arriva-t-il du maintien et de la sainteté de ces coutumes? qu'elles furent nécessairement un obstacle au perfectionnement de la musique. Aussi celle des anciens, comparée à celle des modernes, lui était sans doute très-inférieure sous le rapport du mécanisme, des genres et surtout du nombre des diverses parties. Il passe aujourd'hui pour démontré que les Grecs n'ont pas connu la première des bases de cet art, la musique à diverses parties. Il y a long-tems que cette vérité eût été trouvée et prouvée, si l'on n'eût pas été obligé de la déduire avec des efforts pénibles et de longs travaux, de l'examen et de la comparaison de passages obscurs disséminés dans divers auteurs, et si l'on eût en quelque traité, quelques compositions autres que le fragment insuffisant de l'Hymne à Némésis. Mais lorsque la religion chrétienne eut triomphé de l'ancien culte, les documens qui rap

pelaient ou enseignaient cet art, ses monumens, les instrumens qu'il employait, ses systèmes, soumis à la même censure, à la même rigueur, à la même proscription que ceux de l'architecture, de la sculpture et de la peinture antiques, furent écartés,

moderne, disent qu'elle a été réduite en un système parfait, scientifique, qu'elle est redevenue un art proprement dit; que nous avons un plus grand nombre d'instrumens et plus parfaits que n'étaient ceux des anciens; que notre mélodie est plus

comme tout ce qui rappelait le poly-pure et plus étendue que celle des

théisme ; en un mot, l'ordre fut donné par les chefs qui présidaient aux succès du christianisme d'anéantir tous ces documens. Les chrétiens ne voulurent qu'un chant aussi austère que simple, sans ornement dans la voix comme sans accompagnement. Voilà pourquoi, malgré leurs pénibles élucubrations, les Burette, les Meibomius, et tant d'autres savans, ne sont parvenus qu'à jeter une lueur pâle à travers les plus épaisses ténè.bres.

Aussi n'est-elle pas encore bien résolue, cette question: Les anciens ont-ils connu ce que nous appelons le contrepoint? Aux savans qui, tels que les Medoni, les Pérault, les Bontempi, les Levo, les Bougeant, les Ducerceau, les Rinalti et les Provedi, ont soutenu que les Grecs ne connurent pas la musique à plusieurs parties, qu'ils ignorèrent dès lors le contrepoint, et que leur musique est inférieure à celle des modernes, nous opposerons Isaac Vossius, qui attribue l'invention du contrepoint aux Grecs; Artusi, qui prétend prouver par des extraits d'auteurs célèbres dans l'antiquité, et particulièrement de Platon, que les Grecs connurent la musique à plusieurs parties; l'Anglais Stilling fleet, qui partage cette opinion; le père Sacchi, qui, dans ses doctes dissertations harmoniques, insiste sur la pers fection de la musique grecque, et sur l'utilité qu'en retirerait la nôtre en l'appliquant à l'éducation de la jeunesse; le savant Requeno et l'abbé Arnaud, aidé du savant Mattei de Naples, qui tous soutiennent dans leurs ouvrages la supériorité de la musique antique.

Les auteurs qui cherchent à soutenir la supériorité de la musique

Grecs; qu'elle se divise en plusieurs parties, et que les modernes ont des notes et une manière de marquer la mesure que les anciens ne connaissaient pas.

Mais de l'autre côté, on réplique que la musique grecque a opéré des effets que la musique des modernes n'a jamais produits; que, dans plusieurs circonstances, elle avait pour objet de guérir des maladies morales et même physiques; que la musique des anciens peut, à ce titre, être considérée comme une espèce d'hygiène et de morale, puisqu'elle était appliquée avec succès aux choses les plus utiles, telles que la conservation de la santé et des jours des citoyens, et celle de leurs mœurs.

C'est ainsi que, livré à la controverse et à la polémique, faute d'autorités irrévocables et de monumens authentiques, un des plus grands débats littéraires, un des procès les plus anciens de la république des lettres reste encore à juger, du moins au tribunal d'un assez grand nombre de savans et d'hommes de lettres, quoiqu'au nôtre il soit décidé, comme nous l'avons dit plus haut.

Revenons à notre sujet. En résumant ce que nous avons précédemment exposé, on voit que Pythagore, fixant sa résidence à Crotone, cité des Brutiens, et dont il reste encore des ruines dans la Calabre, y fonda la doctrine musicale la plus célèbre de l'antiquité; que cette doctrine fut savamment modifiée par Aristoxène, né à Tarente; qu'enfin Didyme, rectifiant et perfectionnant l'ouvrage des deux philosophes, la musique italienne, transportée et établie sous les Ptolémées à Alexandrie et dans toute la Grèce, devint naturellement l'aînée par son ancien

neté de tout autre connue jusqu'à ce jour.

devoir faire cette

Nous avons cru distinction, notre intention étant d'examiner si cette musique a dignement soutenu sa noble et ancienne

origine. On voit en effet que, production de trois philosophes célèbres, elle apparut d'abord sous le plus beau climat, dans le pays le plus fertile et chez le peuple le plus sensible et le plus éclairé alors de la terre; qu'elle eut en naissant pour langage l'idiome le plus harmonieux et le plus expressif qu'aient encore parlé les hommes. Voyons si dans des tems infiniment postérieurs, et après les plus funestes et les plus longues vicissitudes, elle retrouve, conserve, et alimente le feu sacré de l'harmonie. Ensevelie pendant seize siècles dans la tombe, observons par quel prodige s'opère sa renaissance. Le même ciel, la même terre, lui sourient, et, pour comble de bonheur, presque le même langage, du moins pour la douceur et la richesse de la prosodie. Le même génie inspire encore les citoyens qui habitent le sol où nous allons la voir renaître ; ils sont vifs et spirituels comme les Grecs leurs ancêtres, et s'ils diffèrent d'eux, c'est dans l'énergie; ce

qui causera sans doute une différence dans leur musique. Au lieu de repousser le genre chromatique, proscrit par leurs pères, ils l'adoptèrent trop peut-être, et rien ne surpassa la suavité de leur mélodie. Mais les mœurs du moyen âge sont différentes de celles de l'ancien, comme le sont aussi ses lois. Le même génie préside aux arts, mais ses productions sont différentes au lieu d'exprimer, dans la peinture, la douleur d'Agamemnon sacrifiant sa fille Iphigénie, il exprimera celle d'un glorieux martyr mourant pour son Dieu; au lieu de donner au marbre l'attitude du Jupiter de Phidias, il lui donnera l'attitude non moins imposante du législateur des Hébreux; enfin, s'il ne consacre pas la musique nouvelle au triomphe des mœurs, des lois et de la liberté, comme l'était l'ancienne, il la consacrera à la religion, dont elle expriinera dignement toute la puissance et la sublimité, et à la nature dont elle peindra tous les caractères, tous les penchans, toutes les passions. vaste champ dignement exploité dans la musique sacrée, comme dans la musique dramatique, ne donnera pas à l'harmonie nouvelle moins d'importance que n'en avait l'antique.

Ce

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moyens de parvenir à la découverte de ce phoenix, voilà celui qu'il imagina.

Il y avait à Bagdad un homme qui avait écrit un livre intitulé: Devoirs des princes et des rois. Cet homme se nommait Elaïm. Son livre avait excité vivement la curiosité du public, qui aime à juger de loin ceux qui le gouvernent, et qui goûte beaucoup les leçons qu'on leur donne. Le livre d'Elaïm avait fait d'autant plus de sensation, qu'on y remarquait des traits hardis qui semblaient porter directement sur les premières années de l'administration d'Almanzor. On conseillait sans cesse au calife de faire brûler le livre, et empaler l'auteur insolent qui osait ainsi censurer la conduite de son maître. Almanzor avait laissé jusqu'à ce jour tout le monde indécis sur le sort qu'il préparait à Elaïm, qui d'ailleurs n'était point connu à la cour et n'avait jamais eu la fantaisie de s'y présenter.

Le calife fait venir un soir Elaïm dans son palais, et mande en même tems neuf de ses courtisans qu'il croit lui être le plus sincèrement attachés. Il fait briller à chacun de ses doigts un diamant d'une grosseur prodigieuse, et dit : " Je vous ai rassemblés ici tous les dix dans l'espérance que vous me feriez entendre la vérité. Vous voyez ces dix superbes diamans, ils seront aujourd'hui la récompense de votre sincérité. Parlez, que pensez-vous de ma puissance et de ma gloire ? "Les courtisans éblouis de la grosseur et de la beauté des diamans, se flattent tous d'en obtenir un. Ils exaltent donc à l'envi l'un de l'autre la grandeur d'Almanzor; ils l'élèvent au-dessus de tous les héros qui ont existé avant lui; ils vantent avec emphase sa générosité, son goût pour les arts, dont ils le nomment le régénérateur; ils parlent avec enthousiasme des palais somptueux, des mosquées sans nombre qu'il a bâties, et finissent par l'élever si haut, si haut, qu'ils n'auraient plus trouvé d'expressions nouvelles, si le calife

leur eût ordonné de parler de la grandeur et de la puissance de Dieu.

11 tire neuf diamans de ses doigts, et les distribue aux neuf courtisans qui avaient si bien parlé. Puis, se tournant du côté d'Elaïm: "Et toi, Lui dit-il, pourquoi gardes-tu le silence? Ne veux-tu pas mériter le dernier diamant qui me reste, en me disant la vérité ?-Seigneur, répond en souriant Elaïm, le mensonge et la flatterie peuvent se payer; mais la vérité ne s'achète pas, elle se donne. -Eh bien, je te la demande; que penses-tu de ma puissance et de ma gloire ?-Je pense, répond Elaïm, que vous n'êtes qu'un homme, instrument fragile qu'un Dieu a formé pour le bonheur des autres hommes, qu'il peut briser d'un souffle, puisqu'il l'a créé de rien."

et

A ces mots, tous les courtisans se regardent avec le plus grand étonnement; ils n'osent tourner leurs yeux vers le malheureux qui vient de proférer cet horrible blasphême. Almanzor prend la main d'Elaïm et lui dit : "Je ne te donne pas le dixième diamant; car, tu l'as dit toi-même, la vérité ne s'achète pas. Mais si la vérité se donne, la confiance et l'amitié doivent se donner aussi. Je te demande ces deux trésors inestitimables. Reste toujours auprès de moi; j'ai trouvé l'ami dont mon cœur sentait depuis si long-tems le besoin." L'étonnement des courtisans redouble. Le calife les congédie et fait donner au sage Elaïm un des plus beaux appartemens de son palais.

Le lendemain, les neuf courtisans viennent, selon leur coutume, présenter leurs hommages au calife. Ils portent tous à leurs doigts les superbes diamans qu'ils ont reçus la veille. "Eh bien, leur dit Almanzor, êtesvous contens du présent que je vous ai fait ?-Ah! seigneur; répondentils, ces diamans nous sont plus chers que la vie, puisqu'ils nous viennent de votre générosité. Mais permetteznous, seigneur, de vous donner un avis important. Le marchand qui

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vous a vendu ces diamans vous a trompé.-Comment ?-Ils sont faux. Eh quoi! répond le calife en riant, croyez-vous que je ne le savais pas ? Vous me donnez de fausses louanges, je vous donne de faux diamans. vous ai payé de la même monnaie; de quoi vous plaignez-vous ?

Je

Quelque tems après, le calife Almanzor, étant en guerre avec le roi de Perse, eut besoin, pour une expédition importante et secrète, d'un homme plein de courage, plein d'honneur, en qui il pût mettre une confiance absolue. Tout le succès de la guerre dépendait de cette expédition, et la moindre trahison pouvait tout perdre. Le calife était depuis huit jours dans une grande indécision, et ne savait sur qui fixer son choix. Dans ce moment on amenait à Bagdad cinq cents prisonniers qui, dans une révolte du Korassan contre le calife, s'étaient déclarés pour le parti des rebelles. Les cinq cents malheureux étaient condamnés à mort, et allaient être passés au fil de l'épée. Il y avait deux cents de ces prisonniers qui avaient pris la fuite dans le combat; mais ayant été coupés dans leur retraite, ils avaient été conduits enchaînés à la suite du vainqueur; trois cents n'avaient pas voulu fuir et avaient été pris les armes à la main, après avoir fait une vigoureuse résistance. Le calife, toujours occupé de l'idée qui le poursuivait depuis huit jours, passe par hasard sur le lieu où l'on allait mettre à exécution la sentence cruelle qui condamnait à mort les cinq cents prisonniers. Il s'arrête, il est touché de ce spectacle, et veut leur pardonner, sans que cette grâce cependant puisse tirer à conséquence pour l'avenir. "Je pardonne, dit-il à tous ceux qui ont pris la fuite devant mes étendards. Ainsi, malheureux esclaves, que tous ceux d'entre vous qui veulent profiter de ma clémence passent à ma droite." Α ces mots, tous les prisonniers se précipitent à-la-fois à la droite du calife. Un seul homme reste im

mobile à sa place. Almanzor le regarde avec étonnement et lui dit : "Pourquoi ne pas imiter tes comJe n'imite pagnons d'infortune? point des lâches, répond le soldat.Je pardonne, je te le répète, à tous ceux qui ont pris la fuite.-Cela ne m'est jamais arrivé. -Insensé ! Pourquoi refuses-tu le moyen que je t'offre de sauver ta vie ? Parce qu'il me ferait perdre l'honneur.-Viens, s'écrie le calife transporté de joie ; je te pardonne, et ta grandeur d'âme ne sera pas sans récompense." emmène avec lui le soldat, il le charge de l'expédition pour laquelle il fallait trouver un chef plein d'audace, et qui préférât l'honneur à tout. Le soldat sut répondre à la confiance du calife; l'expédition réussit, et la guerre fut terminée à l'avantage d'Almanzor qui, depuis, nomma ce brave homme généralissime de ses armées.

Je pourrais, magnifique seigneur, continue Morad, vous raconter une foule de traits qui prouvent combien le calife Abou-Giafar-Almanzor savait apprécier les hommes à leur juste valeur mais pour ennuyer votre hautesse le moins qu'il me sera possible, je n'en ajouterai qu'un seul à ceux qu'elle vient d'entendre.

Les minarets de Bagdad retentissent de ces cris perçans: Allah! allah! le grand-iman vient de mourir! Les mosquées sont tendues de noir, et les molhas se promènent dans toutes les rues, en répétant d'une voix lamentable: Le grand-iman vient de mourir ! Toute la ville est dans une vive agitation; chacun se demande quel est celui que le calife va revêtir de cette sublime dignité ? Tous les imans des mosquées se réunissent, presque tous ont des amis à la cour prêts à soutenir leurs prétentions. Le calife écoute les demandes qui lui sont faites, voit les intrigues qui se trament autour de lui, et attend, pour nommer le premier ministre de la religion, que le tems ou une circonstance favorable lui fasse connaître quel est

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