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LETTRE SUR LES FEMMES.

"ME voilà presque à la fin de ma tournée d'Europe, mon ami. Vous savez quel était l'intérêt principal qui me conduisait. Après avoir bien examiné les femmes de tous les pays, je finis par conclure qu'à quelques nuances près, qui tiennent aux lois, aux usages de leur patrie, elles sont partout les mêmes. Autant les hommes diffèrent entre eux, autant les femmes se ressemblent. Certes, rien n'est plus opposé qu'un Anglais et un Italien, tandis qu'une Italienne et une Anglaise, bien qu'elles diffèrent, se rapprochent mille fois davantage. D'abord dans les qualités essentielles, vous trouvez chez les femmes de différentes contrées des points de ressemblance presque généraux. Humanité, patience, tendre pitié, douceur, courage, inspirés par le sentiment dans les grandes circonstances: voilà de ces vertus que l'on est sûr de rencontrer partout chez les femmes. C'est plutôt dans leurs différences que dans leurs qualités, qu'elles varient entre elles. La raison en est simple; leurs qualités leur viennent de la nature; leurs défauts sont communément le fruit des vices d'éducation, des lois, des usages; c'est plutôt à nous qu'à elles qu'il faut nous en prendre, puisque les hommes gouvernent; ainsi, l'Angleterre étant mieux régie que l'Italie, les femmes y valent mieux; mais, quelle que soit l'influence du gouvernement, vous êtes sûr de trouver dans une Italienne, comme dans une Anglaise, les qualités principales qui sont le caractère distinctif de son sexe. C'est par la douceur naturelle des femmes et l'habitude de soumission dans laquelle elles rappellent à nos regards ces marbres purs, qui sortent de la terre, pour prendre les formes que nous voulons leur donner. Le ciseau d'un artiste maladroit peut en faire un mauvais usage, sans avoir le pouvoir

d'altérer les qualités qui leur sont propres. Les femmes sont donc partout, en quelque sorte, ce que nous les fesons. Sous ce rapport, rien ne les distingue dans les pays que j'ai parcourus; cependant, en les observant avec une attention suivie, j'ai cru remarquer que les gouvernemens avaient plus d'action sur elles que le caractère des hommes.

"Dans la France seule, où la société est un art, il s'est fait un tel amalgame de l'esprit, des goûts et des passions des hommes et des femmes, que le caractère des hommes agit directement sur elles.

"Un Anglais, par ses habitudes, par son goût pour les affaires, a soumis sa femme aux détails sérieux de la direction de son ménage, et par là, il a donné plus de gravité apparente à ses formes. Plus penseur que dissertant, surtout avec les femmes, il a établi entre son épouse et lui plus de rapports de puissance que de tendresse, plus d'abandon que de confiance, plus de passion secrète que d'union de pensées, d'attrait et d'opinion.

"En France, au contraire, où le caractère plus léger des hommes les porte à réfléchir presque tout haut sur leurs projets, même devant ceux qui dépendent d'eux, un époux, par le besoin continuel de communiquer ses idées, d'en recevoir d'autres, d'en faire un échange perpétuel, identifie sa femme, sans le vouloir, à tout ce qu'il pense. Son but est bien de commander, d'être le maître; mais il a mis l'esclave dans sa confidence. Soit qu'elle soit du même avis, soit qu'elle s'y trouve opposée, elle est dans son secret. S'aiment-ils tous deux, l'union de leurs âmes, de leurs pensées, est parfaite. Ne s'aimentils

pas, il y a eu au moins une communication d'idées qui ressemble à la confiance. la confiance. Le Français avertit

"

sa compagne de sa puissance, la discute avec elle; par ce moyen, il peut l'altérer sans doute; du moins, elle s'établit avec plus de forme. 11 en est de même des opinions de tout genre. En France, il existe entre les deux sexes une communication habituelle. Aussi les femmes parlent, réfléchissent, decident de tout, des' choses les plus frivoles comme des plus importantes. Elles sont plus associées à la pensée des hommes, qui finissent toujours par faire les lois de leurs maisons; mais, comme ce n'est que par le souvenir de la force qu'ils y parviennent, l'instant de lutte renouvelée, qui s'établit sans cesse entre les deux sexes, laisse à l'esprit des femmes l'empreinte du caractère que les hommes leur ont communiqué. Je le répète, ce n'est qu'en France que cette réaction se remarque, parce qu'il n'existe aucun point d'isolement entre les hommes et les femmes, tandis qu'autre part, et surtout en Angleterre, il y en a mille. De plus, en France, les femmes étant les arbitres de la mode, les usages leur sont presque ́soumis, et l'on a vu souvent avoir recours à elles dans des tems de crises, comme la Fronde, pour faire recevoir des choses que la puissance ne pouvait établir. Dans tous les tems, les femmes ont suivi en France l'impulsion donnée par les hommes, de s'identifier avec leurs systèmes comme avec leurs passions. Elles ne s'amusent pas plus des affaires que des plaisirs, et si elles ont besoin d'être mêlées à tout, les hommes ont la même impossibilité de se passer d'elles.

Voilà ce que l'on ne remarque dans aucun autre pays de l'Europe, même dans ceux où elles montent sur le trône à leur tour.

"Il est encore un autre pays distingué par une nuance particulière; c'est la Pologne. Là, les femmes, conduites par une volupté plus raffinée, plus aimables qu'en Italie, mais, moins soumises, que partout

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ailleurs, soit à raison de leurs richesses, soit par le propre de leur caractère, ont un rôle plus indépendant, une existence personnelle qui tient à leur charme particulier. Elles ont en général de la grâce et de l'imagination: la grâce captive d'abord, et l'imagination fait faire ensuite aux têtes qu'elle embrase, tout le chemin qu'elles veulent. Une étincelle de ce don céleste est venue tomber sur leur froide patrie, et la plus charmante partie des habitans s'en est emparée. En Pologne, il n'y a point de poëtes, il n'y a point d'artistes; mais il y a des femmes qui rêvent aux arts, qui chantent avec une voix charmante les stances du Tasse, et qui récitent les vers de Delille. Elles se sont dit que l'amour était pour les femmes ce que la gloire était pour les hommes. Se faire aimer est leur plus doux penchant et le premier besoin de leur vie. C'est plutôt de l'énivrement qu'elles inspirent que de vrais sentimens. Le privilége d'allumer de grandes passions n'appartient qu'aux âmes fortes qui peuvent donner tout ce qu'elles peuvent recevoir. Cette véritable passion, dont il court tant de parodies dans la société, appartient à tous les pays, et peut se trouver dans tous les climats ; mais elle n'est sentie que par les âmes nées avec une sensibilité exquise, susceptibles d'enthousiasme et de profondes émotions. Les femmes qui n'ont que de la grâce, de l'esprit, quelques charmes et de la coquetterie, inspirent des goûts qui prennent la couleur de l'amour, et qui s'effacent aussi rapidement que les fleurs éphémères. Quant aux femmes à imagination, elles aident d'un autre charme un sentiment d'une nature différente, qui ne vit que d'enthousiasme; et voilà pourquoi le sentiment qu'inspirent les Polonaises ressemble à de l'amour; mais peut-être est-il plutôt de la volupté. Elles savent tout embellir de cette magie qui a quelque chose de vague, d'indéterminé; elles aiment la nature, sans être naturelles ; mais

leur art devient presque simple par sa perfection. Il y a un abandon charmant dans leurs manières ; elles accordent avec une grâce qui n'est pas celle des Françaises, qui semble leur avoir été révélée par la nature, source inaltérable de tout ce qui est bien, de tout ce qui doit plaire. Elles n'ont pas dans leurs salons cette monotonie de convenances qui tyrannise la conversation par des règles formelles, et prescrit à peu près les mêmes mots comme les mêmes usages, une fois adoptés. Mollement couchées sur leurs divans, elles ont autant d'attitudes différentes que de costumes. Leur conversation n'est peut-être pas aussi spirituelle que celle des Françaises, mais elle est plus piquante par son originalité. Une femme dont la pensée voyage sans cesse, qui laisse errer ses idées d'un objet à un autre, qui voit au même moment, des yeux de l'imagination, les sites enchantés de l'Italie, et les effrayantes beautés de la Suisse; qui a l'art ou la bonne foi de mêler l'enthousiasme à tout ce qu'elle dit, cette femme-là a mille moyens de plus, que les autres de plaire et de charmer.

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C'est par

toutes ces sources de séductions que les maisons des Polonaises deviennent des habitations ravissantes, et leurs jardins, des féeries, Tout ce que l'imagination embrasse s'embellit à l'instant; ces enchanteresses ont le talent de faire penser et sentir ceux qui les écoutent, sous mille et mille rapports différens. C'est à la fois l'art d'enivrer et l'âme et les sens. Les oppositions piquantes viennent ajouter encore au charme. Quoi de plus délicieux que d'entendre une jolie femme dans des bosquets qu'elle a créés, s'entourant d'art, parler de la nature; dans le même moment en richir son salon de chefs-d'œuvre divers, s'embellir elle-même de mille talens aimables, et tout cela avec des formes destinées naturellement à l'élegance! Sans cesse elles sont parées de leur négligence même, et n'ont TOME III.

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"

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l'air de se servir de la fortune que pour se jouer de ses présens.

"Une certaine mollesse, une grâce calculée, et surtout un accord intime du moral au physique, se remarquent également en Pologne et en Russie; les Courlandaises particulièrement ont un attrait distinctif,

"Les différentes secousses du gouvernement ont fort influé sur les femmes, en Russie. Sons Pierre 1er elles se sont ressenties de la rudesse d'un gouvernement absolu, qui avait besoin d'une extrême sévérité. Pierre voulait changer les mœurs, et faire fléchir sous de nouvelles coutumes une nation superstitieusement attachée à ses usages, et d'autant moins accessible à la civilisation, qu'elle avait tous les préjugés de l'ignorance, et toute la barbare férocité, effet nécessaire de ses sanglantes révolutions.

"Les femmes, si bien faites pour adoucir les mœurs, vivaient environnées d'esclaves et l'étaient ellesmêmes. Elles tremblaient sous la domination d'un époux ou d'un maître farouche. Quelquefois elles étaient reléguées avec lui dans de vastes déserts, d'où était exilé tout ce qui ennoblit la vie, les lettres, les sciences, les arts, doux présens de la société qui font contracter à l'âme des habitudes généreuses, et la mettent sans cesse en présence des témoins qui la jugent.

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Quelquefois appelées à la cour de ce même Pierre, elles y assistaient à de honteuses orgies; elles voyaient tomber les têtes de leurs amis, ou bissaient elles-mêmes de honteuses punitions. On sait que Pierre-leGrand, cet homme de génie, par un contraste cruel, en tirant les Russes de la barbarie, couvrit son pays d'échafauds, et fit périr une partie de la noblesse de l'empire. Catherine Tere, montrant ce que pouvait l'aine héroïque d'une femme, prépara les Russes à la domination heureuse de Catherine 11, dont les grâces et le génie ne contribuèrent pas peu à 2.H

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faire chérir et respecter les femmes dans ce pays. Les mœurs s'adoucirent, le beau sexe y reprit un place digne de lui.

"Les femmes russes sont, en général, très-jolies ; peu instruites, elles apprennent avec facilité. Elles ont des talens, de la grâce et de la noblesse dans le maintien ; et si on remarque dans quelques-unes une gravité qui les distingue des Polonaises, presque toutes se livrent à une indolence orientale qui les en rapproche. Leur vie s'écoule entre le jeu qu'elles aiment beaucoup. La paresse, le luxe et la magnificence la plus recherchée sont un besoin pour elles.

Presque toutes crédules, superstitieuses, elles aiment tout ce qui parle à leur imagination. Eprises du merveilleux, elles passent quelquefois des soirées entières à entendre leurs femmes leur répéter des contes qui les amusent, et les attachent comme des enfans.

"Telles sont mes observations sur les femmes des différens pays que j'ai parcourus; et, pour peindre en deux mots les nuances que je remarque entre elles, je crois que, s'il m'était permis de choisir, je prendrais pour ma femme une Anglaise, une Française pour mon amie, et une Polonaise pour ma maîtresse."

CARACTÈRE DES MÉDECINS.

C'EST une chose remarquable que de tous les gens de lettres qui s'attachent à de certaines professions, il n'y en a point qui s'en écartent plus volontiers pour écrire sur d'autres matières que les médecins. Jules Scaliger, médecin, a écrit de la critique et de la poétique. Vignier, médecin, a composé plusieurs gros volumes de l'histoire universelle. Le médecin Arnaud de Ville-neuve, s'est mêlé de dogmatiser et d'écrire de la théologie. Averroës, médecin arabe, a traduit Aristote en sa langue et l'a commenté. Fabius Niphus, médecin d'Italie, s'est appliqué aux mathématiques. Cæseus, médecin anglais, a écrit de la musique, Marcile Ficin, qui était médecin et curé tout ensemble, a traduit Platou de grec en latin, et a expliqué sa philosophie. Guillaume

Capel médecin, a donné au public les mémoires de messieurs du Bellay, et a fait une traduction française de Machiavel. Copernic, médecin et chanoine, a traité de l'astronomie et du mouvement de la terre. Nostradamus, nédeciu de profession, s'est jetté à corps perdu dans l'astronomie judiciaire. Et le médecin Cardan,

qui tenait un peu de la doctrine de Nostradamus, laquelle consiste à mentir hardiment et à dire la vérité par hasard, a écrit ses livres de la subtilité, l'éloge de Néron, et d'autres matières assez écartées de sa profession. Lazius, médecin allemand, a traité de l'histoire Romaine. Philippo Cauriana, médecin de la reine Catherine de Médicis, a commenté six livres de l'histoire de Tacite. Paul Jove, médecin et depuis évêque, a composé les éloges des hommes illustres de son tems et plusieurs histoires. Aloysius Lilius, médecin à Rome, s'est appliqué à la réforme du calendrier romain; et Cornelius Amalthée, de la même profession, a mis en latin la catéchisme du concile de Trente. Le médecin Raynerius Snoius, a mis au jour des paraphrases sur les pseaumes de David, avec l'opuscule de S. Athanase sur les mêmes pseaumes, et a donné, au public l'histoire de Hollande en treize livres. Jean-Jacques Chiflet, médecin du roi d'Espagne, a remué divers points de critique touchant notre histoire, pour les intérêts de son maître. Sorbière, médecin assez connu,

a traduit de latin en français l'eutopie de Thomas Morus, le traité de Crellius, de causis mortis Christi, et a fait plusieurs sortes d'ouvrages sur diverses matières curieuses. Brachet de la Milletière, médecin de Paris a traité des controverses. Thomas Reinesius, médecin et philosophe, a donné au public un recueil d'anciennes inscriptions et un autre de variarum lectionum. Marin Cureau de la Chambre, médecin du roi, a mis sous la presse les caractères des passions, le traité de l'iris, et d'autres ouvrages de physique et de morale. Spon, médecin de Lyon, a écrit ses voyages et divers traités d'érudition curieuse. Charles Patin qui enseigne aujourd'hui la médecine à Padouë, a écrit de la science des médailles. Petit, médecin de Paris, a publié un traité de furore poëtico et un recueil de ses poésies. Perrault, médecin et depuis architecte, a traduit Vitruve de latin en français, et a donné des leçons publiques de géométrie et d'architec

ture.

Il serait trop long de nommer ici tous les médecins qui se sont en quel

que sorte dégradés de leur profession. pour traiter de toute autre chose. Onuphre Panvini, parlant du grand Fracastor dit, qu'il ne le compte pas entre les médecins de Veronne d'où il était; parce que s'attachant aux recherches curieuses de la physique, il avait négligé la pratique de son art.

Il y a de certains traités composés par des médecins qui paraissant ne pas appartenir à la médecine, ont néanmoins de grands rapports avec elle, comme le traité de urte gymnastica de Mercurialis, d'autant qu'il s'y agit de la santé du corps, qui est l'objet de la médecine.

Après tout, si l'on me demande pourquoi les médecins s'écartent si aisément de leur profession? Je répondrai qu'il s'en faut prendre à leur érudition, qui étant d'une grande étendue, fait qu'en avançant toujours dans la diversité des connaissances, ils prennent le change d'autant plus aisément, qu'étant employés assez tard, l'amour du cabinet prend le dessus, et ne leur laisse plus la liberté d'exercer la médecine, qui demande l'homme tout entier sans nul partage.

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