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DE LA VENERABLE PARI-BANO U. SUITE DE BÉHERGIOUR ET DE SES FRÈRES.

HISTOIRE INDIENNE.

"PRINCE, reprit Pari-Banou, nous avons laissé le beau Béhergiour dans la ville de Gorreshepour, prêt à se mettre en route avec la caravane de Patna, pour les états du roi de Boutan. Au-delà des terres de Nupal, ils entrèrent dans d'horribles montagnes remplies de précipices, et dont les passages sont si étroits, que les chevaux mêmes ne sauraient s'y tenir. Des diverses habitations placées dans ces montagnes, descendirent une multitude de femmes et de filles, les épaules couvertes d'un gros bourlet, sur lequel elles s'offrirent de porter les voyageurs; elles conduisaient aussi des boucs grands et robustes, dressés à cet usage, pour transporter les bagages et les marchandises de la caravane. Pendant que chaque voyageur fesait marché avec une de ces femmes pour s'abandonner à sa conduite, dans une route périlleuse et assez longue, Béhergiour, qui se tenait à l'écart, remarqua une femme qui s'offrait en vain à meilleur compte que les autres, sa figure pâle et maigre n'ins

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à lui confier ses jours, mais il forma aussitôt le généreux dessein d'aller visiter la malade, afin d'essayer de la guérir, et sans s'arrêter au danger de quitter la caravane, il suivit cette inspiration bienfesante. La MonLa Montagnarde, pénétrée de reconnaissance, se mit en chemin à l'instant même, tantôt marchant devant Béhergiour, tantôt le portant sur ses épaules dans les passages les plus dangereux. Parmi divers aspects remarquables qu'il aperçut dans ce trajet, il distingua avec surprise les noires tours d'un château bâti dans un abîme extrêmement profond, qui ressemblait à un vaste puits. Aucun chemin ne paraissait y conduire, sa conductrice lui apprit qu'on appelait cet édifice le palais des Génies; qu'il était plein d'une foule de malheureux que leurs enchantemens y retenaient captifs. Elle ajouta qu'une fois l'année, ces infortunés avaient la permission d'écrire à leurs parens pour implorer leurs secours, et d'abandonner leurs lettres au hasard des vents, ce qui ne réussissait presque jamais, parce que personne n'était assez hardi pour se tenir dans le voisinage du palais, et qu'au bout de vingt-quatre heures, un animal qui était fée, les avalait toutes l'une après l'autre.

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Cette époque, dit Béhergiour, est-elle passée depuis long-tems ?Ce sera dans trois jours, répondit la Montagnarde, et il nous tarde déjà que ce triste moment soit écoulé, car les gémissemens de ces malheureux percent alors les airs, et se font entendre jusque dans nos maisons: ce qui nous cause autant de pitié que de crainte."

Ils arrivèrent bientôt dans la chaumière où gisait une pauvre femme, mère de la Montagnarde. Voir la maladé et la guérir, ne fut pour le fils d'Altaf que l'affaire d'un moment. Elle avait dans le corps un abcès qu'il opéra si adroitement que la maladie se termina tout de suite; ce qui surprit si fort ces malheureuses créaturés, et les transporta tellement qu'elles étaient tentées de prendre

Béhergiour pour un Dieu. Elles ne savaient que lui offrir pour prix d'un si grand service, lorsque Béhergiour leur demanda pour toute récompense de le laisser attendre dans leur chaumière le jour où les prisonniers des génies livreraient aux vents leurs lettres aventureuses, parce que son dessein était d'aller les recueillir, et de tâcher de les délivrer, par ce moyen, de leur affreuse prison. Les Montagnardes, consternées, le conjurèrent en vain de renoncer à une entreprise si périlleuse; au jour indiqué, après s'être fait donner les meilleurs renseignemens qu'il put obtenir, il se rendit vers le redoutable palais, muni d'une longue corde pour descendre dans l'abîme, et d'un sac pour ramasser les lettres. Quoiqu'il eût emporté tout ce qu'il avait pu trouver de cordes dans ces pauvres villages de montagne, il fut obligé de prendre beaucoup de peine pour parvenir au fond de l'abîme, que le soleil n'éclairait jamais de ses rayons, bien qu'il fût cependant plus vaste qu'on ne le supposait d'en haut. Béhergiour s'assit en silence, en attendant que les prisonniers jetassent leurs lettres, et d'abord il ne tarda point à se voir assaillir par une multitude d'animaux bizarres et fantastiques qui s'efforçaient de l'épouvanter; mais sans se laisser vaincre ni par leurs cris, ni par leurs insultes, il se contenta de s'en défendre courageusement avec une pique qu'il tenait à la main. Ces animaux, ne pouvant réussir à lui faire prendre la fuite, se retirèrent d'eux-mêmes, et le silence qui succéda à leur retraite ne tarda point à être interrompu par les pleurs et les lamentations des prisonniers, qui parurent sur la plateforme du palais, tenant chacun une lettre à la main. La distance empêchait Béhergiour de distinguer leurs traits, mais leurs gémissemens et le bruit des chaînes dont ils étaient chargés, parvenaient jusqu'à lui, et lui inspiraient une tendre compassion. Toutà-coup un nuage intercepta la lumière du jour, c'étaient les lettres qui vo

laient toutes à-la-fois. Il y en avait un si grand nombre que le sol de l'abîme s'en trouva couvert, sans compter que le vent en dispersa beau-, coup en dehors de l'abîme, et dans des gouffres remplis d'eau. Béhergiour recueillit à la hâte toutes celles qu'il put apercevoir, les jetant pêlemêle dans son sac, jusqu'à ce que l'obscurité, qui se répandait de bonne heure dans cet abîme, l'obligea d'en sortir.

"Les Montagnardes l'avaient pleuré comme mort; elles se livrèrent, en l'apercevant, à la joie la plus vive. Il passa la soirée à examiner les adresses de ces lettres: il y en avait pour tous les pays du monde; mais quelles furent sa surprise et sa douleur en lisant sur l'une d'elles le nom de son père Altaf, écrit de la main d'Hégiage, son frère aîné, et en apprenant que ses trois frères languissaient ensemble dans ce château, en butte à la haine de Tamaraca, mère des Génies, et de son fils Ourlouf. Hégiage ajoutait qu'il n'y avait guère d'apparence que cette lettre parvint jamais à sa destination; mais que, quand ils seraient assez heureux pour que le hasard la fit tomber entre les mains de leur père, ils ne supposaient pas comment un pauvre vieillard sans fortune et sans crédit pour

rait les délivrer.

"Ces derniers mots firent espérer à Béhergiour qu'en offrant de l'or à Tamaraca, il réussirait à racheter ses malheureux frères, et, plein de cet espoir, il partit de nouveau de cette cabane pour descendre une seconde fois dans l'abîme. En fesant le tour du palais, non sans être tourmenté comme la veille par des figures hideuses, il remarqua quatre portes de différens métaux. La première à laquelle il s'arrêta était de fer, avec un énorme maillet d'acier, que Béhergiour souleva avec peine en y mettant les deux mains. La porte s'ouvrit, violemment ébranlée par un vent furieux, qui renversa si rudement le pauvre Indien qu'il en de meura un moment sans connaissance.

En revenant à lui, il vit que la porte s'était refermée, de sorte que, n'o sant s'exposer à une nouvelle, secousse, il alla frapper à une porte d'airain, dont le maillet était d'argent. Un torrent rapide s'écoula par cette porte et manqua de noyer l'intrépide Béhergiour, qui, mouillé de la tête aux pieds, mais sans perdre courage, s'empara du maillet d'or, qui brillait sur la porte d'argent. L'expérience du passé l'engagea à se tenir sur ses gardes, en s'éloignant un peu de cette troisième porte: ce qui lui sauva la vie, car une flamme ardente qui s'en échappa l'aurait infailliblement consumé. Elle se referma aussitôt comme les autres. Il ne restait plus qu'une porte d'or avec un maillet en diamant, et l'Indien, repoussé déjà par trois élémens déchaînés contre lui, s'attendait à périr à cette quatrième entrée, dont la magnificence lui fesait supposer une garde encore plus redoutable que celle des autres. Je dois avouer, Prince, que Béhergiour, désespérant de sauver frères, fut au moment de renoncer à son entreprise; mais la réflexion ranima son courage. "Eh quoi! se dit-il en lui-même, abandonnerai-je mes frères dans cette affreuse prison? pourquoi suis-je venu recueillir leur lettre, si ma lâcheté m'empêche d'en faire usage? J'ai laissé à mes parens de quoi finir leurs jours dans l'abondance, qui peut m'arrêter maintenant? mourons s'il le faut, mais mourons en accomplissant notre devoir."

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ses

Après s'être ainsi exhorté luimême, Béhergiour implora la protection de la déesse Lanthila, qui commande aux Génies, et retournant d'un pas assuré jusqu'à la porte d'or, il fit retentir trois fois de suite le maillet de diamant. Il fut bien, agréa-, blement surpris d'entendre une musique harmonieuse, et de voir ouvrir cette porte par deux Nymphes de la plus grande beauté, qui chantaient ensemble ces paroles: "Celui qui a résisté à l'air, à l'eau et à la flamme, qui sont trois terribles élémens, peut se présenter à la porte d'or, et après

avoir frappé trois coups avec le maillet de diamant, déclarer son nom et ce qui l'amène dans le palais des Génies. Si sa visite est agréée, la reine Tamaraca et le prince Ourlouf nous ordonnent de le conduire au bain dans une cuve de porphyre, et de répandre sur lui des parfums inconnus aux simples mortels. Si au contraire sa présence les irrite, nous le jeterons dans une citerne bourbeuse, où il servira de pâture aux serpens.'

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"Ces chants, malgré leur douceur, n'étaient pas fort encourageans; mais Béhergiour, qui avait déjà fait le sacrifice de sa vie, répondit d'une voix ferme qu'il était Béhergiour, fils d'Altaf, et qu'il venait proposer à la Reine une rançon pour ses frères, qu'elle retenait captifs dans ce palais. Le bruit éclatant d'une fanfare couvrit la moitié de ces paroles, une multitude de voix répétèrent comme en triomphe: Béhergiour! Béhergiour! vive Béhergiour! et les deux Nymphes le prenant chacune par la main, l'introduisirent dans le palais, dont les salles représentaient au naturel des bocages de myrtes et de roses, rafraîchis par des bassins où l'eau formait d'agréables cascades. Du haut de la voûte une pluie de fleurs, semées par des mains invisibles, se répandait sur lui. nymphes le conduisirent au bain dans la précieuse cuve dont elles avaient parlé ce qui étonna et rassura tout à-la-fois Béhergiour, qui ne pouvait comprendre le motif d'une si brillante réception, quoiqu'il en tirât un augure favorable.

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Les

Lorsque les Nymphes l'eurent parfumé et revêtu d'une robe brodée en perles, et retenue autour du corps par une ceinture parsemée de rubis, elles l'emmenèrent hors de la salle du bain, à la porte de laquelle il trouva une vingtaine de Génies subalternes qui l'accompagnèrent en dansant et en jouant des instrumens jusqu'auprès de la Reine qui l'attendait sur son trône, Béhergiour eut d'abord assez de peine à distinguer sous de riches étoffes d'or, toutes

éblouissantes de pierres précieuses, un petit squelette noir et hideux qui était la reine Tamaraca, mère des Génies. Elle avait alors cinq cents ans, et ne se comptait guère que dans son été, ayant mille ans révolus à passer sur la terre. Le prince Ourlouf, son plus jeune fils, qui n'étant âgé que de deux cents ans, n'avait point encore de barbe, se tenait respectueusement sur les marches du trône, où il formait un quadrille avec trois urnes d'or, placées, ainsi que lui, sur les mêmes degrés. La Reine fesant signe à Béhergiour de s'approcher, lui tendit quelque chose que le jeune Indien prit d'abord pour une patte de singe, mais qu'il reconnut ensuite pour une des mains de la Reine, qu'il se résigna à baiser respectueusement par amitié pour ses pauvres frères. Alors la Reine lui dit d'une voix qui répondait parfaitement au reste de sa personne : "Béhergiour, quelque service que tu puisses souhaiter de moi, je suis prête à te l'accorder, pourvu que ce ne soit point la liberté de tes frères, car si je te dois, ainsi que le prince Ourlouf, une juste reconnaissance, tes frères ne méritent que notre haine.

"Grande Reine, répondit Béhergiour, vous n'ignorez pas que la faveur que vous m'interdisez si cruellement est le seul motif qui m'ait conduit ici. De quel bonheur pourrai-je jouir, tant que ces infortunés gémiront dans vos chaînes? et comment me trouvai-je, sans le savoir, dans les bonnes grâces de votre Majesté, tandis qu'elle se montre si rigoureuse envers le reste de ma famille ?

"As-tu donc oublié, lui répliqua le génie Ourlouf, ce que je te dis dans le royaume de Siam, en sortant de la boîte du Fakir? Ne te déclarai-je pas que ma liberté dépendait de ta discrétion? En vain le Mandarin et la Princesse ton épouse ont essayé de pénétrer le fond de ton âme, tu as mieux aimé t'en séparer que de les satisfaire, et ton père lui-même ignore ton

secret

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aussi bien que les autres. Tes frères n'ayant pas eu la même sagesse, ont condamné les miens à une captivité qui sera sans doute éternelle. Regarde, ajouta-t-il en tirant de chaque urne une boîte semblable à celle de Béhergiour, voici l'étroite prison où les: Génies mes frères sont resserrés; une puissance au-dessus de la nôtre nous empêche de leur rendre la liberté, et leur malheureuse mère est réduite à les pleurer vivans, sur cet étrange cercueil."

"Pendant ce discours, Béhergiour se rappelait peu à peu la figure du Génie, qu'il n'avait vu qu'un moment, et il cherchait en lui-même une réponse à ses justes plaintes, lorsqu'une espèce de murmure assez semblable à celui que font entendre plusieurs chats rassemblés, le fit tressaillir désagréablement. C'était la Reine qui pleurait, attendrie par les dernières paroles de son fils Ourlouf. Béhergiour s'efforçant adroitement de savoir jusqu'où allait sur lui la puissance des Génies, s'écria: "Hélas! quelqu'avantage que j'aie retiré de votre présent, le malheur de mes frères me cause une si grande affliction que je ne me sens point le courage de vous remercier. Comment des Génies qui sont des êtres supérieurs, ont-ils pu se confier imprudemment à la fragilité des hommes! que n'emportâtes-vous ces fatales boîtes?

"Une loi bizarre s'y oppose, répondit le Génie, qui n'apercevait point la finesse de Béhergiour. Tant que tu ne trahiras point ton secret, nous ne pouvons ni te ravir cette boîte, ni te priver de ta liberté....

"C'est tout ce qu'il m'importe de savoir, interrrompit brusquement Béhergiour, et maintenant, si la vôtre vous est chère, vous me rendrez mes frères sans balancer, car pour moi je suis résolu à partager leur captivité, et à vous réduire par-là à la triste situation de vos frères, si vous ne m'accordez ce que je demande."

"Le Génie et sa mère poussèrent TOME IV.

un cri de rage à ces paroles, et reconnurent que Béhergiour avait été plus habile qu'eux; mais le mal était irréparable.

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Imprudent! répartit la Reine, tu ne sais pas à quel supplice tu t'exposes en voulant partager le sort de nos captifs. Je te permets d'en juger par tes propres yeux, afin que tu prennes une résolution plus raisonnable."

"Elle traça aussitôt quelques cercles magiques qui changèrent le lieu de la scène. Béhergiour se trouva au milieu d'un vaste souterrain dans lequel étaient rangés symétriquement des étuis de fer, d'où partait un bruit sourd de chaînes et de gémissemens. Un mouvement de baguette fit ouvrir en même tems tous ces étuis qui laissèrent voir des visages pâles et décharnés, parmi lesquels Béhergiour reconnut ses frères; mais, par un effet de la magie, ceuxci ne l'apercevaient point. Tous les étuis se refermèrent, à l'exception de ceux des fils d'Altaf, que des démons en arrachèrent avec violence pour les torturer, sans se soucier ni de leurs cris, ni des prières de Béhergiour. Ils étaient traités plus rigoureusement que les autres, parce que leur crime était plus grand. triste spectacle disparut enfin, et Béhergiour se retrouva au pied du trône de Tamaraca. La méchante Reine lui voyant le visage couvert de pleurs, lui demanda s'il persistait à venger ses frères aux dépens de luimême. "Oui, cruelle que vous êtes, lui répondit Béhergiour indigné. Plus leur malheur m'est connu, plús je fais serment de le partager, puisqu'il m'est impossible de les y soustraire. Nous ne sommes heureusement que de faibles mortels, réduits à un petit nombre de jours. Le trépas nous affranchira tôt ou tard; mais toi, barbare Ourlouf, tu gémiras pendant des siècles, et cette pensée sera pour nous une consolation."

Ce

"Ourlouf, tremblant d'effroi, se jeta aux pieds de sa mère pour en obtenir la liberté de ses captifs : car il 2 Q

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