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Trouvères Artésiens.

INTRODUCTION.

« Changon, va-t-en tout sans leisir

» Au Pui d'Arraste faire ouir,
» A ceux qui savent cl ant fournir;

» La sont libons entendeour,

» Qui jugeront bien la meillour
De nos charçors, et sans mer'ir.
» ANDRE DOUCHE, d'Arraɛ. »

Ce que nous avons dit sur la formation de la langue romane du Nord, de la langue illustrée par les Trouvères, en tête de nos deux précédens ouvrages qui traitent de la vie et des œuvres des premiers poètes des provinces du Cambrésis, de la Flandre et du Tournésis, s'applique parfaitement à l'Artois, qui se trouve comme enchassée entre ces mêmes contrées, et la partie de la Manche, que l'on nomme le Pas-de-Calais. On y retrouve le même langage, les mêmes mœurs, les mêmes usages; partant, la même poésie nationale, les mêmes inpirations chez les Trouvères, les Ménestrels et les Jongleurs, qui furent les poètes de la noblesse et du peuple, et dont les productions, ou sérieuses, ou légères, n'étaient toujours que l'expression fidèle de la société d'alors, que le reflet d'une époque trop peu connue et qui mérite d'être fouillée à fond.

Dans la crainte de nous répéter, nous ne reviendrons donc plus sur l'origine de cet idiôme roman qui servit de passage de la langue latine à la langue française, ni sur les divers genres de poésie en usage à cette période de transition, mais nous tenterons de faire précéder nos modestes notices sur les Trouvères Artésiens de quelques aperçus nouveaux et de considérations particulières sur l'ancienneté et l'usage généralement répandu de la versification en Artois.

La ville d'Arras est d'origine gauloise : sous la domination du Peuple-roi qui conquit toutes les Gaules, elle était déjà la capitale d'une province populeuse et riche; même pendant les secousses destructives des irruptions des Barbares, marchant comme un orage qui soufflait devant lui toutes les lumières, elle retint quelque chose de la civilisation romaine et de cette instruction qui n'abandonne jamais tout-à-fait les grands foyers de population, au milieu même des plus grandes tourmentes. C'est à cette circonstance que cette ville dût de recevoir de bonne heure la révélation de la foi évangélique que Saint-Vaast vint y précher, et l'établissement précoce d'un siége épiscopal.

Arras fut en outre citée de toute antiquité pour l'industrie de ses habitans, qui excellaient dans la fabrication de tissus si parfaits, qu'ils leur valurent le surnom mythologique d'Aranearii, comme dignes de descendre d'Arachné, cette audacieuse ouvrière; métamorphosée en araignée pour avoir osé lutter de talent avec la divine Minerve. Les anciens Atrébates fournissaient l'Empire romain de somptueuses étoffes, de chapeaux et de bonnets de feutre, au dire de Trebellius Pollion. (1) Saint Jérôme luimême cite avec des éloges pompeux les magnifiques tissus sortis des fabriques d'Arras ; ils étaient si précieux qu'on en regardait l'usage comme un luxe effréné. Le Saint prit occasion d'en faire

(1) a Non sine Atrebatis sagis Respublica tuta erat. v (Voyez Trebell. Pollio, in Gallienis.) — Vopiscus devient aussi une autorité en cette matière, il dit : « Donati sunt ab Atrebatis birri petiti. »

un reproche à Jovinien: « Vous ne portez, disait-il à cet hérésiarque, que des habits de soie et de lin; il faut, pour vous vétir, des étoffes des Atrebates. » (1)

Un trait de Gallien nous apprend encore combien les manufactures d'Arras étaient renommées sous la période romaine : Cet Empereur, pour dissimuler la peine que lui causait la défection des Gaulois qui venaient d'élever Posthume à l'Empire, disait en plaisantant: « Croit-on que la République soit en péril, parce qu'on nous prive des habits que nous envoyaient les Atrebates? » (2)

Les Artésiens produisaient aussi des tapis moëlleux et remarquablement beaux qui prirent le nom de la ville d'où ils sortaient et qu'on connaissait dans toute l'Italie sous la qualification d'Arrazzi et dans la Grande-Bretagne sous celle même d'Arras (3). Ces magnifiques tentures, célébrées par les Nibelungen des vieux Germains, enrichissaient aussi, selon le Singer, le palais d'Attila, ce fléau de Dieu, dont la barbarie ne dédaigna pourtant pas les douceurs du luxe. Peut-être ces riches tissus servirent-ils à calmer la fureur du vainqueur comme dans le jour où l'industrie Artésienne sauva la liberté et peut-être la

(1) « Nunc, sericis vestibus, et Atrebatum telis, ac Laodicœ indumentis ornatus incedis. »

(2) Sextus Aurelius Victor.

(3) EXEMPLES: « Thence to the hall, which was on every side >> With rich array and costly Arras dight. »

(Fairy Queen).

He's going to his mother's closet;

» Behind the Arras i'll convey myself,

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» As he shall pass the galleries, i'll place
» A guard behind the Arras. »

(Denham's Sophy).

» Lifeless, but lifelike, and awfull to sight,
>> Like the figures in Arras that gloomely glare,
>> Stirred by the breadth of the midnight air. »

vie d'un des suzerains de la province : Le fils aîné de Louis de Mâle, comte de Flandre et d'Artois, ayant été pris en Palestine par les Sarrasins, on envoya à Bajazet une magnifique tenture de haute-lisse, fabriquée à Arras, et ce noble présent fut estimé si haut par le chef des infidèles, tout habitué qu'il était aux belles étoffes de l'Orient, qu'il rendit le prince à la liberté sans autre rançon. (1)

Toute la chrétienté payait tribut à l'industrie Artésienne : les tapisseries éclatantes suspendues aux fenêtres des rues de Londres, en 1357, le jour qu'Edouard III y fit son entrée triomphante après la bataille de Poitiers, sortaient des ateliers d'Arras, et le chroniqueur Meyer ne manque pas de faire une mention expresse, sous l'année 1596, des tapis fabriqués dans la capitale florissante de l'Artois et représentant, d'une façon merveilleuse, les aventures classiques d'Alexandre-le-Grand (2). Précisément en la même année 1396, le duc d'Orléans faisait payer la somme de 1800 livres à Jaquet Dourdin, marchand et bourgeois de Paris, pour trois tappis de haute-lisse de fins fils d'ARRAS, ouvrez à or de Chippre, dont les deux sont de l'istoire du Credo à douze prophètes et douze apostres, et l'autre du Couronnement Nostre-Dame (3).

L'Artois a donc la gloire d'avoir devancé dans cette riche et noble industrie toutes les provinces de France, et d'avoir servi de berceau et d'exemple à la belle et royale fabrique des Gobe

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(3) Archives de Joursanvault, tome I, p. 156, N° 903. Dans l'Inventoire général du roi Charles-Quint (mss. de la bibl. du Roi, n° 8356) on signale: « Un grant drap de l'euvre d'Arras, ystoriée << des faiz et batailles de Judas Macabéus et d'Anthingus, et contieut « de l'un des pignons de la gallerie de Beaulté jusques après le pignon « de l'autre bout d'icelle et est du haut de la dicte gallerie. »

Outre ces tappiz à ymaiges, Charles V avait encor des tapisseries d'armoirie en grand nombre, armoyées, la plupart de France et de Behaigne, et faites, quelques-unes au moins, du fille d'Arras.

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