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LE SCULPTEUR SALY.

Sculpturam canere aggredior, seu marmora circùm,
Aut lapides versatur agens; seu marmoris expers,
Aut lapidis, vitam infundit sensumque metallo.
DOISSIN. Sculptura carmen.

S'il est un art dont les produits donnent une haute idée du génie de l'homme et portent le plus à la méditation et à l'admiration, c'est sans doute la sculpture, que les hommes apprirent presqu'avant toute chose, et que l'antiquité perfectionna à un point désespérant pour notre époque, qu'on dit si progressive et si avancée. Soit que le génie des anciens se portât plus naturellement que celui des modernes vers l'art de la statuaire, soit qu'ils eussent des modèles plus parfaits que ceux de notre ère décrépite sous le rapport des formes humaines, et qu'imitant le créateur qui fit l'homme à son image, ils aient pu trouver parmi eux des Apollon, des Hercule et des Vénus, encore est-il que la sculpture antique reste pour nous à l'état de beau idéal, et que depuis deux mille années, qui ont vu surgir tant de choses, personne n'a reçu du ciel la somme de génie et d'adresse suffisante pour créer une production sculpturale, non pas capable de faire oublier les statues antiques, ce qui est impossible, mais d'entrer en comparaison avec elles et d'en balancer les beautés. Cependant, disons-le, le découragement ne s'est jamais emparé des hommes courageux qui se sont voués à la statuaire, et, à toutes les époques, des efforts généreux ont été tentés pour tâcher de soutenir et de ranimer cet art sublime. Notre contrée a constamment vu sortir de ses écoles, surtout

parmi ses enfans placés sur les derniers degrés de l'échelle sociale, d'inappréciables artistes dont la vie et les travaux méritent la reconnaissance particulière des citoyens du même pays et l'hommage de tous les vrais amis des arts. Le sculpteur qui va nous occuper est de ce nombre. On en jugera par les détails qui suivent et qui sont presque tous inédits et inconnus.

La ville de Valenciennes avait déjà produit des artistes célèbres quand naquit dans son sein Jucques-François Saly, le 20 juin 1717, l'année même qu'Antoine Watteau, autre enfant de la même cité, était reçu tout d'une voix membre de l'Académie royale de peinture de Paris. Jacques-François était fils de François Saly, bourgeois de Valenciennes, et de Marie-Michele Jardet; il appartenait à une famille obscure, mais honnête, et ses parens voyant se manifester en lui de bonne heure d'heureuses dispositions pour les arts, le mirent entre les mains de Pater, sculpteur de Valenciennes et de Gilis, à la fois peintre et sculpteur, qui tous deux développèrent le germe de son génie, et guidèrent ses premiers pas. Saly, d'une nature ardente et précoce, acquit bientôt tout ce qu'on pouvait apprendre, en dessin et en sculpture, dans une ville de province, et ses essais furent si heureux que ses maîtres et ses parens n'hésitèrent pas à faire quelques sacrifices pour l'envoyer continuer ses études à Paris, premier but des vœux de tous les jeunes gens qui suivent la séduisante carrière des Beaux-Arts.

Avant même qu'il eut vingt ans, Saly fut donc adressé à Coustou le cadet, sculpteur distingué dans l'atelier duquel il entra et où il puisa de bonnes inspirations. Guillaume Coustou, admirateur de la nature et de l'antique, perfectionna par l'inspiration de l'une les principes puisés dans l'autre. Saly, qui saisissait comme une cire molle toutes les impressions que son maître lui faisait subir, se modela bien vite sur son genre et fit des progrès étonnans. En 1737, il fut admis au concours de sculpture, et remporta deux petits prix et un second grand prix à l'Académie royale de Paris. Il n'avait guères plus de vingt années ; si cette date n'était pas

consignée dans les registres de l'école des Beaux-Arts de Paris, on croirait à une erreur, mais ce fait remarquable, et si honorable pour le jeune Valenciennois, est garanti par des pièces officielles. Après ces succès, il revint à Valenciennes, et le 23 octobre 1737, le corps des magistrats de cette ville, qui de tout temps sut honorer ceux qui faisaient rejaillir quelques rayons de gloire sur la cité, fit présenter les vins d'honneur au jeune médailliste à son arrivée de Paris. Saly retourna chez Coustou et reprit ses travaux; de plus grands triomphes l'y attendaient encore : au commencement de l'année 1740, il emporta sur ses rivaux, tous plus âgés que lui, le premier grand prix de Rome. Sa pièce de concours fut un bas-relief représentant David admis devant Saül. Il a été malheureusement détruit comme tant d'autres qui n'ont pu traverser l'époque de nos discordes civiles. Le 9 mars de la même année, il reçut de M. Orry, contrôleur-général des finances le brevêt de pensionnaire du Roi à Rome.

Avant de partir pour la terre classique des arts, Saly revint à Valenciennes ; il voulut embrasser ses parens et revoir encore ses maîtres qui l'avaient si bien ébauché et lui avaient Ouvert cette carrière qui se présentait à lui désormais brillante et facile. Son entrée dans sa ville natale, qui eut lieu le 1er avril 1740, fut un véritable triomphe. Le Magistrat en corps lui présenta de nouveau les vins d'honneur, une partie de la population se porta à sa rencontre et le jeune Saly, qui n'avait que 22 ans et demi, fut presque porté par la foule jusqu'à son logis. Valenciennes, qui depuis compta parmi ses enfans: Milhomme, Abel de Pujol et Henri Lemaire qui enlevèrent le grand prix de Rome, n'avait pas encore vu alors obtenir cette distinction par quelqu'un de ses habitans, et l'enthousiasme public n'eut pas de bornes. Plein de reconnaissance, le jeune sculpteur employa son premier loisir à modeler le buste d'Antoine Paler, son ancien maître, alors âgé de près 70 ans. Il le rendit avec une naïveté, un naturel de modelure qu'on peut admirer encore aujourd'hui dans l'œuvre conservée au musée de Valenciennes, malgré tout ce qu'elle a souffert dans ses diverses vicissitudes.

Après avoir satisfait à tous ses devoirs de famille et d'amitié, Saly partit pour Rome; c'était pour un jeune homme, il y a cent ans, un voyage immense, une entreprise considérable, une séparation qui semblait devoir être éternelle il resta au moins six ans dans la capitale du monde chrétien et artistique, car nous voyons qu'il s'amusa à y composer, dessiner et graver lui-même, à l'eau-forte, en 1746, une suite de vases, qu'il dédia à J.-F. de Troy, directeur de l'Académie française à Rome, sous la surveillance duquel il travaillait; ces vases élégans et coquets, agencés avec beaucoup d'esprit et d'imagination, et dans un style qui rappelle tout-à-fait le siècle de Louis XV, sont des études qui résument parfaitement ce genre rocaille, dit Pompadour, qu'on a nommé de notre tems rococo, à cause des ornemens recoquillés qui y dominent. Ces vases, du reste, d'où l'esprit et l'imagination débordent de toutes parts, sout au nombre de 30 pièces, plus le frontispice, et l'on y ajoute quelquefois quatre gravures de tombeaux, également de la composition de Saly; cette suite est assez rare et recherchée des amateurs d'estampes comme étant les seules pièces connues gravées par Saly (1).

Pendant son séjour à Rome, la réputation du sculpteur Valenciennois grandit par ses envois faits à Paris; les plus remarquables furent une Tête de jeune fille, un Amour, et un jeune Faune portant un chevreau. Cette dernière composition réunit tous les suffrages. Aussi quelques années plus tard, lorsqu'il fut question d'admettre Saly au sein de l'A

(1) M. Brunet, dans son Manuel du libraire, annonce que cette suite doit être composée de 30 pièces non compris le texte; je pense que c'est non compris le titre qu'il faut lire, car je ne sache pas qu'il y ait jamais eu un texte à cet ouvrage. Le titre gravé sur un cippe où s'appuie une divinité présidant aux arts, est ainsi conçu: Illmo. Viro. Dno. I. F. De Troy, Regi Xmo, à. Sanct, consiliis ordinis. Regii. S. Mich. eqviti. Torquato. Regiae. Artivm. de Vrbe Academiae, praefecto. Vasa. a. se. inventa, atq stvdii, cavsa, delin. et incisa; D. V. C. Jacobvs. Saly in. praed. Academia, alvmnvs S. H. M. DCC. XLVI, In-fo p. fort. Au bas on lit: J. Saly inv. et sculp. 1746.

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