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Avenu à Envers, Ville Capitale de la Duché de Brabant, d'une jeune Fille Flamande, qui par la vanité et la trop grande curiosité de ses habits et collés à fraize, goderonez à la nouvelle mode, fut étranglée du Diable, et son corps après telle punition divine étant au cerceuil, transformée en un chat noir, en présence de tout le peuple assemblé en 1582.

Traduit de la Langue Flamande, en notre Langue Françoise. Avce une remontrance aux Dames et Filles.

(Imprimé à Paris par Benoist Chaudet).

L ne faut s'étonner si Dieu nous châtie ordinai rement de tant de sortes de verges et tribulations, que nous sommes quelquefois contraints de ploier

et demeurer sous le faix, avec une si étrange et admirable condamnation, que le Diable non seulement sert d'exécuteur et de bourreau à nos corps: Mais aussi s'empare de nos ames et les rend hôtesses des enfers, pour éternellement avec pleurs et grincement de dents, comme témoigne l'écriture sainte; les gêner et tiranniser, sans espoir de grace ni pardon, vû que nous sommes si débordés et remplis de blasphemes, méchancetés, infamie, voluptés et autres vices de même étoffe, qu'à juste occasion, l'on nous devroit appeler le vice et le pêché même. Et quoique le divin Créateur de toutes choses pour nous rappeler à la suite de ses saints commandemens, et nous remettre à la droite et

juste voye de salut, ayant l'heure de devenir sages par le malheur et par le suplice d'autrui selon le dire du Poëte Latin (felix quem faciunt aliena pericula cautum.) pitoyable et benin, épargne notre imbécilité d'esprit, en nous représentant les châtimens, desquels il use sur les contempteurs de sa loi, en nos voisins et étrangers; néanmoins endurcis et invéterés en notre mal, et retenant le lourd et sanglant naturel de notre mere la terre, de laquelle fut poché et bâti notre premier Pere Adam, nous ne nous éveillons non plus à tels exemples qu'un Roc Marin à entendre les plaintes du pauvre Nautonnier, qui opressé de la tempêté et des vents impétueux en pleine mer, lui demande secours, ne sachant (proche de l'inondation,) à qui s'adresser (ayant fait sa priere à Dieu ) fors à ce que se présente devant ses yeux, et encore pour accumuler sur nos têtes l'ire et indignation de notre Sauveur, nous nous mocquons de telles afflictions, et pensons jamais ne tomber en tels périls, n'ayant en recommandation que les pompes et vanités des habits somptueux pour paroître grands et trancher des Princes d'une part et d'autre, et pour dire en un mot, complaire du tout au monde, et désobéir au Toutpuissant; car, dit l'Ecriture Sainte, (nemo potest duobus dominis servire.) Si donc nous nous étudions misérablement à complaire au vicieux monde par la singularité des draps d'or, d'argent, velours, soye, et autres damnables fatras, il est sans doute que nous nous retirons du tout de l'obéissance de Dieu, d'autant que ce qui est de Céleste et Divin, est du tout contraire aux façons et sensualités humaines. Or telle mondanité, non-seulement en plusieurs pays, tant de la Chrétienté que du Paganisme, mais aussi en la France principalement, où si nous voulons commencer aux hommes, la bravade et parade est maintenue tellement, tant en pourpoints, colletins, chausses, manteaux et grands et superflus collets à fraizes mignonement empesés et tant goderonnés, que l'on ne peut par tels habits distinguer un Roi, un Prince ou Grand Seigneur d'avec un homme mécanique, et n'étoit la connoissance que l'on a des Grands pour les voir et servir ordinairement ; je crois que l'on prendroit un valet et un courtaud de boutique pour un Gentilhomme et Seigneur d'authorité; joint que

c'est une coutume en la France que le François est si curieux en ses habits, que tout ainsi que la corneille de Virgile, qui se voulut enrichir et farder des plumes de tous les autres oiseaux, il faut qu'il diversifie et mélange ses accoutremens selon toutes les modes étrangeres, et ayant bien fait gagner les Tailleurs, ne sçait enfin comme il se doit difformer. Quant aux femmes, c'est bien encore plus grande pitié, car c'est la dissolution même et la consommation et dernier periode de toutes superfluités mondaines et diaboliques, tant en robes, cotillons à trois et quatre bandes de velours arrierepointés et passementés, chaperons et coëffures mistes, chausses de soye, ou du moins d'estame, collets (pour maniere de dire) hauts d'une perche, et à double mont, c'est à sçavoir fraize à renvers, et un arpent de cheveux pillés et dérobés de la tête d'autrui, assemblés et frisés par une Perruquiere, en une masse dite rattepennage, et d'abondant pour forcer la nature comme si elle avoit oublié quelque chose à leur nativité, se masquent de tant de fars, qu'elles changent par tel artifice de peau et de couleur, le tout pour tromper, piper et émouvoir à la volupté la plus grande part des hommes, même ceux qui auroient fait état de la chasteté. O changement damnable! perdition d'ames, habit infernal et réprouvée façon, qui vous conduit ( pauvres femmes miserables) à la peine et au jugement inestimable d'une jeune fille Flamande de laquelle l'histoire s'ensuit.

Le vingt-septième jour de May dernier mil cinq cens quatre-vingt-deux, en la Ville Capitale de la Duché de Brabant dite Anvers, et en langue Flamand Opdemér, se ́trouva une jeune et belle au possible et fort aimable fille, au demeurant riche et de maison opulente qui la rendoit d'autant fiere et orgueilleuse à ses désirs charnels, ne cherchant tous les jours que les moyens par le fard et les habits somptueux à complaire à une infinité de mignons qui lui faisoient la cour. Cette fille, suivant la coutume, est envoyée et invitée à certaines nôces d'un des amis de son pere, qui se marioit; elle n'y voulant faillir, et aise au possible de se trouver à tel festin pour paroitre en beauté et bonne grace par-dessus toutes les autres Dames et filles, se décora et accomoda de ses

meilleurs et plus somptueux vêtemens, n'oubliant sur tou tes choses se farder de vermillon et autres diverses drogues propres en tel art, tirée de l'exercice et attrayante accoutumée des Italiennes courtisanes, même de joindre à ses cheveux une frisée et grande rattepennage, attachée d'épingles d'argent, et pour élucider cette somptuosité et superstition de bravade (comme il est vraisemblable que les Flamandes sur-tout aiment le beau linge, ayant les toiles fines à commandement,) fit faire quatre ou cinq collets, dont l'aune de toile coutoit neuf écus. Ces collets achevés, elle manda une empeseuse de la Ville, à laquelle elle pria de lui en empeser deux fort magnifiquement afin de lui servir pour le jour et le lendemain des nôces, lui promettant pour sa peine la valeur de vingt-quatre sols. L'Empeseuse au mieux qu'il lui fut possible empese lesdits collets, mais ils ne se trouverent au gré de ladite fille, qui à l'instant envoya querir une autre Empeseuse à laquelle elle bailla lesdits collets et sa coiffure pour l'empeser, moyennant un écu sol qu'elle lui promit bailler, pourvû que le tout fut accommodé mignonnement. Cette seconde em peseuse mit toutes ses forces à bien accommoder lesdites fraises et coiffures; mais elle ne put si bien faire que cela fut au gré de la jeune fille, qui dépitée et comme enragée, reprend et jette de dépit par la chambre ses atifés, coiffures et collets, jurant et blasphemant le nom de Dieu, qu'elle aimeroit mieux que le Diable l'emportât que de se transporter aux nôces revêtue d'une telle sorte. La pauvre et forcenée fille n'eut sitôt achevé tels propos, que le Diable qui étoit aux aguets ayant pris l'apparence d'un des plus favorisés amoureux de ladite fille, se présente à elle ayant les fraises à son col, bien dressées et accommodées, la fille abusée le voyant et estimant celui-ci être l'un de ses principaux mignons, lui commence à dire doucement: Mon grand ami, qui est-ce qui vous a si bien dressé vos fraises, elle sont ainsi que je les demande. L'Esprit malin à l'instant répond que lui-même les avoit ainsi dressées; et ce disant, les ôta de son col, et les mit joy eusement à celui de la fille, au grand contentement et appetit désordonné d'icelle, puis pour la perfection de ce stratagême, ce maudit Satan qui ne prétendoit autre chose qu'à perdre l'ame, embrasse la pau

vrette par le milieu du corps, feignant la vouloir baiser, et avec un horrible et épouventable cri, lui tord et rompt misérablement le col, et la laisse morte et désanimée sur le plancher de ladite chambre. Ce cri fut si haut qu'étant entendu par le pere de la fille et ceux de sa maison, il leur donna incontinent présage de quelque malheur advenu, et sur ces entrefaites montent en la chambre où ils trouvent cette fille gissante en terre roide morte, ayant le col et le visage noir et meurtri et la bouche bleuâtre et toute défigurée, tellement que tous ceux qui regardoient cette avanture étrange demeuroient si épouvantés que les cheveux leur hérissoient et dressoient d'horreur en leurs têtes. Le pere et la mere crioient très-piteusement et avec un monde de sauglots et soupirs, lamentoient le désastre de leur fille. Et après avoir consulté de ce qu'ils avoient à faire, firent ensevelir la fille et mettre en cercueil, et pour n'encourir le deshonneur et notte d'infamie, donnèrent à entendre aux voisins que d'une appolexie ou autre mal ladite fille étoit décédée subitement. Mais Dieu qui ne permet rien sans grande cause, et duquel les jugemens sont inconnus et incompréhensibles, ne voulut telle chose être cachée et ensevelie au tombeau d'oubli ; ains permit qu'elle fut manifestée à un chacun, afin de servir d'exemple à nous et à la postérité, pour ne plus user de tetles voyes. Car comme le pere eut mis ordre à l'enterrement de sa fille, et préparé les plus visibles pompes funèbres, dont il se put aviser, il se trouva que quatre hommes forts et puissans ne purent jamais enlever ni mouvoir seulement la biere où était ce malheureux corps; le pere voyant ceci, ne voulut épargner ni or ni argent pour honorer le corps de sa fille, et fit outre les premiers hommes venir encore deux, qui faisoient le nombre de six, mais ce fut vainement, car la biere tant étoit lourde et pesante qu'elle demeuroit comme clouée et attachée à jamais. Ce que voyant le peuple tout épouvanté d'un commun accord conclud que la biere seroit ouverte, ce qui est fait à l'instant; mais à l'ouverture (ô chose admirable!) ne se seroit trouvé dedans qu'un chat noir, qui sortit dehors incontinent et se disparut sans que l'on pût sçavoir ce qu'il devint, tellement que la biere demeura vuide et sans corps, et le pauvre pere frustré de son

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