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allemandes et scandinaves,et, naguère ennemie de l'Angleterre, contre la quale avait été rédigé le traité de la netralité armée, Catherine vogunit à pleines voiles de conserve avec elle pour allumer un embrasement général. Le Danemark ne se souciait aucunement de prendre les armes contre la France, et aux sollicitations pressantes de Hailes et du comte de Goltz le ministre Bernstorffne répondait que par d'éclatantes apologies du système de neutralité. Krüdener alors parut à Copenhague comme envoyé extraordinaire de la tsarine (1793), et il eut l'air de faire faire un pas à la question: il obtint de Bernstorff une déclaration formelle que ceux des navires danois dont la cargaison serait pour la France ne seraient point accompagnés de convois. Mais comme en même temps le ministre demandait une exception en faveur du Commerce de grains, qu'on ne pouvait regarder comme contrebande, il s'établit un échange de notes et contre-notes au bout duquel il n'y eut rien de décidé, de sorte qu'en fait les négociants danois ne virent prohiber que l'exportation de munitions navales pour la France, et que la Russie, en leurrant la Grande-Bretagne de promesses de sanctionner sa tyFannie maritime sur les neutres, consomina paisiblement l'anéantissement de la Pologne sans obstacle de la part du cabinet de Saint-James. Catherine satisfaite nomma Krüdener ambassadeur à Madrid en 1796; mais il ne partit pas pour sa destination, que rendirent inutile diverses circonstances politiques, notamment la ferme intention marquée par Charles IV de ne pas recommencer la guerre. Deux ans après, Krüdener revintencore à Copenhague. C'était att moment de la seconde Coalition: à Catherine avait succédé Paul Jer; et cette fois la Russie vou

lait vraiment une neutralité complète, sinon tine coopération active. Mais bientôt les idées de Paul changirent.Krüdener, en mission extraordinaire à Dresde et ensuite à Berlin, parlait, agissait en faveur de la France. En 1800, par ordre exprès de l'autocrate, il pressait le gouvernement prussien d'occuper l'électorat de Hanovre, mesure évidemment concertée entre le premier consul et Paul. La mort du tsar et l'avènement d'Alexandre ramenèrent un antre langage, lequel à son tour subit après Marengo, et surtout après la paix de Lunéville, de graves modifications. Krüdener ne donna pas så démission pour cela : il avait de trop bonne beure respiré l'air des chancelleries pour s'étonner de soutenir le pour et le contre tour-à-tour. Mais une mort un peu prompte le ravit à la diplomatie et à son maître : il expira le 14 juin 1802. Le baron de Krüdener avait aussi le titre de conseiller intime et faisait partie de Fordre de Malte, dont, comme l'on sait, Paul Jer avait la prétention d'être le restaurateur et le grand maître. Il portait la croix de l'Aigle-Rouge de S. Vladimir. Il était depuis onze ans séparé de sa femme; et Fon croit que les torts venaient de la belle Livonienne plus que du mari (royes l'article suivant). Mais si la jeune ambassadrice, si Filluminée en herbe ne sympathisa pas avec son diplomatique époux, du moins doit on reconnaître que l'auteur de Valérie a sú rendre justice à ses nobles qualités. Dans ce roman, out elle s'est peinte, nul doute aussi qu'elle n'ait eu l'intention de peindres son mari, et certes elle ne le partage pas mal : l'âme la plus belle, le cœur le plus droit, Eesprit le plus vaste, le plus orné, l'art de conter, il a tout, il sait tout, il a tout vu, et le savoir en lui n'a pas émoussé la sensibilité;

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tant profondément que l'homme doit tomber aux genoux de la Divinite, elle se posait involontairement divinité elle-même, et trouvait simple qu'on tombat, qu'on languît à ses pieds. Elle le méritait autant qu'une autre blanche, grande, svelte et vive, danseuse ravissante, avec des traits fins, des cheveux d'un blond cendré, des yeux d'un bleu sombre coulant obliquement au ciel leur regard, telle était ou promettait d'être Julienne à quatorze ans. Son compa

KRUDENER (JULIENNE VIETINGHOFF, baronne de), célèbre comme femme du monde, puis comme illuminée, était de Riga, ety vitle jour au plus tard dans l'année 1766, en dépit des indications de salon qui ont re-triote, le diplomate baron de Krüdeporté sa naissance jusqu'en 1769 ou 70. Sa famille, allemande d'origine, avait donné des maîtres provinciaux à l'Ordre Teutonique en Livonie (Arnold et Conrad de Vietinghofen, 1360-64, 1401-13); et, ce qui valait mieux, elle était encore des plus opulentes et des plus considérées du pays. Son père, le baron de Vietinghoff, aimait les beaux-arts et la science; il fit donner à son fils et à sa fille une excellente éducation. Julienne à quatre ans parlait avec la même facilité le français, l'allemand, et même un peu le latin. C'était l'époque à laquelle les boïards aimaient beaucoup à venir en France: soit pour ses enfants, soit pour lui-même, le baron de Vietinghoff vint passer quelques années à Paris. Il était riche: les notabilités en tout genre se pressèrent chez lui; les Buffon, les d'Alembert, les Marmontel ne furent point les derniers à s'y laisser conduire. Julienne, âgée de neuf ans, profita de cette société d'élite. Son esprit, sou instruction trouvèrent à se développer eta se faire admirer. Aussi garda-t-elle toujours de l'affection pour la France; mais inspirer l'admiration devint pour elle un besoin comme une habitude, et bientôt à l'admiration il fallut joindre l'adoration. Douée à un très haut degré de l'instinct religieux, et sen

ner, demanda sa main, qu'elle laissa donner sans antipathie comme sans amour (1780), et bientôt elle le suivit à Venise où l'appelaient les affaires de sa souveraine. Ils n'y furent pas longtemps heureux; la zizanie se mit bientôt au sein du ménage : à qui la faute? Le baron avait de belles manières; il joignait aux talents, aux connaissances, l'usage du monde, et qui plus est beaucoup de condescendance et d'argent au service de sa femme; il n'était ni sexagénaire ni près de l'être; cependant la jeune baronne se figura que, relativement à elle, il était vieux; puis l'atmosphère de la chancellerie, cette atmosphère dans laquelle la parole u'a été donnée à l'homme que pour déguiser sa pensée, lui sembla tuer l'amour; le cœur d'un chargé d'affaires devait être une pétrification. Comment s'accommoder de ce lot avec les mœurs et les masques qui courent dans cette enivrante Venise, sous le soleil du Tintoret, sur ces gondoles, au son cadencé des rames qui battent la Brenta et incitent à la vie molle et voluptueuse? L'élégante Livonienne s'harmonia sans grande peine au laisseraller universel de ses entours. Tout ce que nous devons remarquer, fidèle biographe, c'est qu'elle ne débuta pas par-là, et que trois ou quatre années

se passèrent dans lesquelles l'incompatibilité d'humeurs n'éclata point en guerre ouverte. Un fils (1) et une fille naquirent pendant ce temps. Mais ensuite les mécontentements déjà réels s'envenimèrent: ils étaient de plus d'un genre, comme les caprices de Julienne; et les revenus de la communauté ne suffisaient pas plus à solder les uns que la patience du baron à tolérer éternellement les autres. Avide de toute espèce de triomphe, tantôt la belle ambassadrice apparaissait resplendissante dans une fête ou aux promenades, escortée d'un essaim de beaux dorés sur toutes les coutures; tantôt elle aimait à s'abattre comme un ange aux blanches ailes qu'enverrait la Providence au milieu des misères du pauvre, et à le réconforter d'argent et de douces paroles, pour s'envoler regrettée et laissant d'elle, de sa venue, un arôme ineffaçable. Exercer un prestige, fasciner, était un besoin de sa tête, nous dirions volontiers de son cœur. Les aventures de Mme de Krüdener furent si nombreuses, si publiques, que le baron ne put y tenir; il proposa son ultimatum, se séparer juridiquement ou à l'amiable. La séparation eut lieu, en effet, avec le moins de bruit possible le père garda son fils, et Julienne de Vietinghoff avec sa fille alla pour quelque temps au château de ses pères se remettre de ses émotions. Mais bientôt la vie monotone du manoir, la société même de Riga lui pesèrent; le repos la lassait plus que l'agitation puis on n'est jamais prophète en son pays; on est trop tôt classé dans une ville de médiocre étendue: pas d'effervescence,

(1) Ce fils a comme son père suivi la carrière diplomatique; en 1827 il était chargé d'affaires de la Confédération Suisse. Un duel à Berlin, dans lequel

il eut le malheur de tuer le jeune Mursinna commença sa célébritée.

que

du

pas d'excentricité, nulle propension à se perdre dans le rêve ou à prendre des fusées pour le soleil; rien positif, du brutal en amour : des consuls, des marchands, et 57o de latitude nord! et tout cela quand on vient de Venise! Décidément non, la place de Riga ne valait rien pour écouler ce que la Livonienne italianisée avait dans le cœur. Elle y entendait trop parler d'ailleurs de M. de Krüdener que Catherine envoyait à Copenhague et nommait à l'ambassade de Madrid, et qui de temps à autre se rendait à ses terres de Livonie. Paris, si bon pour elle dans son enfance, lui sembla un lieu de refuge et une terre de délices. Elle ne se trompait pas totalement. Paris, échappé à la Terreur, se tâtait en quelque sorte, pour être sûr de vivre encore, et, pour réparer le temps perdu, se livrait avec fureur au plaisir. Dans cette immense capitale où bouillonnait encore la lave révolutionnaire, on dansait comme sur un volcan, avec ivresse et frénésie, et comme si bientôt on eût dû ne plus danser: c'était l'apogée de la gavotte; Bonaparte et Vestris étaient les dieux dujour.Bien qu'elle ne fût pas la seule qui brillât en ces beaux jours du Directoire, et qu'elle n'eût pas précisément pris rang avec les Beauharnais et les Tallien parmi les beautés à la mode, Mme de Krüdener s'acquit pourtant une célébrité de salon par l'aérienne légèreté de sa taille et de sa danse, et ne manqua pas d'admirateurs prompts à lui parler son langage, un langage mi-parti de sigisbéisme, de sentimentalisme et d'amour: la flexibilité d'élocution est chose si facile en France! La constance est plus rare. Elle l'éprouva, et d'amères déceptions vinrent lui prouver combien il est malaisé d'être et de rester un idéal, puisque la divinité qui se communique n'est plus

adorée, et que celle qui ne se communique pas est méconnue. Elle abandonna Paris pour quelque temps, en 1798, et vint vivre à Leipzig dans la solitude et le silence. Un seul ami, un Français, la suivait, qui comprenait son âme et compatissait à ses peines. Son mari, revenu de sa deuxième mission à Copenhague, était alors tantôt à Berlin, tantôt à Dresde. Peutêtre un vague désir de le revoir, de se réconcilier, la dirigeait en secret. C'est vers ce temps, dit-on, qu'aurait eu lieu l'aventure qui plus tard lui fit écrire Valérie. Un jeune homme (et quel autre qu'un bien jeune homme, bien novice?), épris de ses charmes, n'osa ou ne put le lui dire, et s'en alla aux eaux mourir de phthisie et de son amour. La poésie de cette mort toucha la baronne qui probablement ne sut pas ou ne se rappela pas la phthisie. C'était bien là un holocauste, un fleuron à sa couronne de jolie femme et de déesse. Aussi en prit-elle plus d'aplomb, et en vint-elle avec sa vive imagination à se représenter les dandys dépérissant par douzaines à ses pieds et dans l'attente d'un regard. Plaisanterie à part, elle racontait sérieusement à qui voulait l'entendre ses victoires et conquêtes en ce genre. L'Europe était semée des tombes de ses victimes. Elle n'en comptait pas moins de six.

Le sixième, disait-elle, n'est pas tout-àfait mort, mais autant vaut : il est à Lausanne; il n'ira pas loin. Et qu'on ne croie pas qu'elle eût l'âme féroce. Très certainement, son témoignage même le démontrerait au besoin, elle ne laissait pas se consumer de même tous ses soupirants, et elle eût bien volontiers ressuscité les morts, s'ils eussent pu être en même temps morts pour sa plus grande gloire et vivants pour l'adorer. Mais, esthétiquement, le grandiose et l'infini

LXIX

de l'idée de mort frappaient sa pensée : il était grand d'être mort pour elle; il était grand d'être jugé digne de ce sacrifice et d'inspirer l'amour qui tue. C'est en se berçant de ces pensées déjà empreintes de mysticime que madame de Krüdener, quittant Leipzig, faisait un court voyage dans sa froide Livonie, où l'appelaient des intérêts de famille, des discussions d'héritage, et ensuite s'empressait de revenir à Paris (1801). Sans y trouver encore tout ce qu'elle voulait, elle eut de beaux jours dans cette période de sa vie. Son salon était goûté et l'eût été davantage si, comme toutes les femmes qui visent trop à l'admiration, elle n'eût reçu presque exclusivement les hommes. Mais enfin on venait à elle; l'élite de la fashion et de la littérature se coudoyait dans son hôtel de la rue de Cléry. Les poètes y rencontraient des légistes, de vieux disciples de Voltaire, les élèves de Svedenborg, les aides-de-camp des attachés. Garat le chanteur, surtout, y prenait des airs de maître et de baron, ceux que Potemkin n'eût pas osé prendre près de Catherine. Bernardin de SaintPierre en houdait la patronne; mais le temps de Bernardin était passé, et après les boutades il revenait résigné au rôle d'ami, décochant de loin en loin l'épigramme, et n'en mettait pas moins la main à l'œuvre que la belle dame destinait à l'impression. Suivait l'illuminé Bergasse moins admiré d'abord que l'artiste et l'homme de lettres, il acquit insensiblement un grand empire; il fit vibrer la corde mystique et développa chez l'impressionnable et vaniteuse étrangère les idées de commerce intime avec le ciel. On la voyait fréquemment, au milieu d'une conversation sur la pièce du jour, entrer ainsi subitement en extase: son visage s'illuminait comme par enchantement; elle

11

d'apaiser nombre de créanciers, d'en
finir avec les uns argent comptant,
de donner aux autres de forts à-
comptes, et d'annoncer que sous peu
toute la dette flottante serait éteinte.
Fort de ce premier et miraculeux
succès, Kretschmann ensuite atta-
que avec vigueur la commission im-
périale qui, depuis un quart de siècle
qu'elle pesait inutilement et sur le
pays en souffrance et sur les princes
en tutelle, n'avait point su se sanc-
tionner dans l'opinion par un résul-
tatanalogue. Il fournit abondamment,
mais en continuant à tout voir avec
des yeux de lynx, à tout ce que né-
cessite l'entretien de la cour; mais
il use de l'ascendant que lui donnent
ses services pour dissuader le jeune
prince des dilapidations folles, des
dépenses ruineuses; et enfin la mai-
sondu souverain, comme une maison
bien gouvernée, réunit le décorum
et l'économie. Ce n'est point encore
le faste, la magnificence; mais leur
tour arrivera, l'on y marche chaque
jour seulement le ministre est irré-
vocablement décidé à n'y venir que
sans prodigalité, sans escompte et
sans chance de regrets. Cette fermeté
ne tarde point à recevoir sa récom-
pense: naguère on fuyait un ministre
de Saxe-Cobourg au mot d'emprunt;
aujourd'hui le duc de Saxe-Gotha, le
landgrave de Hesse-Cassel, offrent de
prêter au Trésor, qui n'est plus vide,
des sommes considérables, et le Tré-
sor n'accepte pas; les États provin-
ciaux votent un secours de 300,000 flo-
rins, Kretschmann n'en prend que
30,000. La liquidation, le rembour-
sement des créances avancent tou-
jours; la dette publique décroît à vue
d'oeil, la dette spéciale du prince ré-
gnant diminuera bientôt aussi; déjà
de fortes sommes s'accumulent à cet
effet. Puis c'est le château ducal
qu'on meuble, c'est la résidence tom-

KRE

bant en ruine qu'on répare, qu'on
renouvelle, qu'on embellit; c'est
une nouvelle demeure qu'on achète
pour la cour. Des établissements pré-
cieux s'élèvent. Une loi déclare so-
leuuellement que désormais la cour
ne pourra contracter d'emprunt que
si le Collége en déclare l'utilité et y
consent, et le College devra refuser
ce consentement pour toutes dépen-
ses extraordinaires et de plaisir. Il se
trouve des fonds pour créer et déve-
lopper les écoles publiques, pour ré-
parer les routes, pour encourager
les manufactures, pour améliorer le
domaine, pour construire de nou-
veaux bâtiments. Partout les caisses
sont solidement organisées, Une ban-
que de crédit se forme, pourvue de
fonds considérables, régie par de sa-
ges institutions; l'administration ju-
diciaire, financière, ecclésiastique, et
la police sont centralisées en un col-
lége unique, et tous les ressorts sim-
plifiés; toutes les affaires s'expédient
rapidement, et l'employé ne peut
quitter son bureau laissant un travail
inachevé. Les officiers voient pres-
que tous augmenter leur traitement,
soit par suite d'avancement, soit
qu'un remaniement général les re-
porte dans un autre corps. Ces chan-
gements, on le pense bien, ne purent
avoir lieu que sucessivement; mais
les réquisitions et les exactions na-
poléoniennes ne lui permirent pas
de réaliser tout ce qu'il avait voulu.
Malgré l'extrême soin qu'il mettait à
ce qu'elles fussent peu sensibles, et
malgré la justice que rendait le prince
Ernest au mérite de sa gestion, Krets-
chmann pourtant finit par tomber :
il emporta dans sa retraite les regrets
de tous les juges impartiaux et com-
pétents. Après la chute du gigan-
tesque empire français, le chagrin
qu'il manifesta de voir les trois cin-
quièmes du royaume de Saxe passer

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