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LE CHAR DE

L'AGRICULTURE A LA FÊTE DE L'ÊTRE SUPRÊME

Dessin de la Collection Destailleurs

Cabinet des Estampes.

raçonnés somptueusement. Entre quatre cornets d'abondance figurait sur ce char l'image assise de la Liberté tenant à la main une massue; on avait, pour plus de solidité, gaîné d'un cylindre de fer blanc le chêne qui l'abritait 1. La Convention entourait le char; elle marchait en groupe compact, sous la protection d'un ruban tricolore « porté par l'enfance ornée de violettes, l'adolescence ornée de myrtes,la virilité ornée de chêne et la vieillesse ornée de pampres ». Chacun des représentants tenait à la main un bouquet; maugréant contre ces simagrées, ils avançaient indocilement et acceptaient mal les consignes établies par David qu'on voyait, très affairé, parcourant toute la colonne, veillant au bon ordre, maintenant les distances, agitant son chapeau à plumes en criant : « Place au délégué de la Convention 2 ! » Il y avait aussi le char des aveugles qui chantaient un hymne à la divinité. Un corps de cavalerie fermait le cortège.

Robespierre, à vingt pas en avant de ses collègues, attirait tous les regards.

Un écrivain qui, quarante ans plus tard, se souvenait d'avoir vu l'imposant défilé, a conté que son père, l'ayant amené là, lui toucha l'épaule, disant : « Tiens voilà Robespierre ; c'est celui qui marche seul... » L'enfant regarda : il vit un petit homme à figure pâle, sèche et grave; il allait à pas mesurés, son chapeau à la main, les yeux baissés ; sa démarche composée, et parfois incertaine, témoignait

1. Sur la confection et l'ornementation du char, V. les mémoires de Montpellier, sculpteur figuriste, de Bouillé, menuisier, de Rigoulot, charron, de Thelen, sculpteur en ornements. Archives nationales, F4 et 2090 et 2091.

2. E.-J. DELÉCLUZE, Louis David, son école et son temps, 8.

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d'un embarras manifeste, et l'expression morne et inquiète de son visage contrastait avec l'agitation du groupe turbulent des représentants 1. Ce que l'enfant ne pouvait savoir, c'est que cet homme sombre endure, à ce moment même, la plus cruelle de toutes les déceptions de sa vie. Malgré les fanfares, les salves, les chants, les acclamations saluant son passage, il n'entend que les invectives, les brocards dont le poursuivent ses collègues marchant derrière lui; il reconnaît les voix : celle de Bourdon de l'Oise, qui le désigne aux autres et à la foule comme un dictateur, un charlatan ; celles de Ruamps, de Thirion, de Montaut et surtout de Lecointre, le marchand de toiles de Versailles, qui, plus de vingt fois, le traite de tyran et menace de le tuer 3. Merlin, de Thionville, entendant une femme crier Vive Robespierre ! la repousse, indigné : « Crie donc Vive la République ! malheureuse ! » Robespierre intervient : « Pourquoi maltraiter cette pauvre femme ? » dit-il d'un ton très doux, - si doux que Merlin se sent perdu... Un autre représentant remarque ironiquement : « Il n'y eut pas beaucoup d'encens pour le dieu du jour... J'entendis toutes les imprécations... proférées assez haut pour parvenir jusqu'aux oreilles du sacrificateur, malgré l'intervalle laissé entre lui et nous... c'est la haine qu'on lui portait qui déter

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1. E.-J. DELECLUZE, Louis David, son école et son temps, ch. 8. 2. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, II, 19-20. Notes de Robespierre sur plusieurs députés : « Le jour de la Fête de l'Etre Suprême, en présence du peuple, Bourdon s'est permis les plus grossiers sarcasmes et les déclamations les plus indécentes. Il faisait remarquer avec méchanceté les marques d'intérêt que le public donnait au président. »

3. BAUDOT, Notes historiques, 5.

mina cette séparation1. » Il lui faut marcher crispé de rage, méditant contre sa haineuse escorte d'ef froyables représailles. Comment peut-il s'étonner de cette aversion? Ne songe-t-il donc pas que son cortège se compose, sauf peu d'exceptions, de ceux qui s'opposèrent jadis à lui livrer la tête du Roi, et qui, depuis lors, se taisent, attendant leur heure ; d'anciens partisans de la Gironde qui ruminent en silence la revanche ; des amis de Danton qui ne pardonnent point et ne le supportent que par peur ; des montagnards farouches qui regrettent Hébert, Chaumette et leurs manifestations d'athéisme? Sa suite, en ce jour de triomphe, est faite non seulement des vivants qui le bafouent et l'injurient, mais de tous les spectres de ceux qu'il a sacrifiés pour déblayer sa route. Précisément le cortège, sortant du jardin national, parvient à l'emplacement de l'échafaud, démonté dans la soirée de la veille : douze têtes, dont celle d'un volontaire de dix-huit ans, y sont tombées hier, et un citoyen, Prud'homme, dut travailler la nuit «‹ à laver et à couvrir de sable le sang des victimes... 2. » C'est là que Brissot, Vergniaud, Danton, Camille, sa tendre Lucile, la spartiate Manon Roland, et tant et tant d'autres sont morts en maudissant celui qui, le visage clos, l'air impassible, franchit maintenant ce passage tragique.

Les musiques, les choeurs, les batteries de tambour, les sonneries de trompette accompagnent le

1. BAUDOT, Notes historiques, 5 et 5.

2. Pièce de comptabilité émanant de la Trésorerie et faisant partie des documents Ruggieri conservés à la Bibliothèque de la Ville de Paris. Prud'homme toucha, pour ce travail, 52 livres,

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