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feuse de notre Compagnie, vieille déjà de plus d'un demisiècle. Ses titres, ce sont ses cent et quelques volumes de travaux; son meilleur avocat est son Secrétaire général, dont vous allez entendre le rapport, j'allais dire l'éloquent plaidoyer.

Donc, provinciaux nous sommes, et, avouons-le, c'est un défaut que nous partageons avec quelques bons Francais.

Cependant, la province est pour beaucoup une quantité négligeable. Ecoutez Taine:

« Il y a deux peuples en France: la province et Paris. L'un qui dine, dort, bàille, écoute. L'autre qui pense, ose, veille et parle; le premier trainé par le second, comme un escargot par un papillon, tour à tour amusé et inquiété par les caprices et l'audace de son conduc

teur. >>

Escargots, voilà qui est bientôt dit; et il ne serait pas bien difficile de montrer les provinciaux venant, par un apport continu, renouveler les forces intellectuelles et artistiques de la Capitale qui, sans eux, vite s'éteindraient.

Les écrivains parisiens, qui sont presque tous d'origine provinciale escargots devenus papillons en touchant le sol sacré de Montmartre ont du reste établi une gamme dans l'expression de leur compassion plus ou moins dédaigneuse.

La Bretagne et la Savoie trouvent grâce devant eux pour leur pittoresque; ils comprennent le Poitou, à cause des guerres de la Vendée; la Lorraine, à cause de Jeanne d'Arc, qui, en réalité, était champenoise; les belles Arlésiennes et Mistral font admettre la Provence; tout le Midi du reste s'est levé et a fini par conquérir

Paris. Dans un rang plus inférieur sont la Flandre, l'Auvergne et quelques autres provinces.

Mais notre pauvre Champagne, je crois bien qu'elle est tout au bas de l'échelle, et qu'on lui donne en France la place de la Béotie dans la Grèce antique.

Et puisque aujourd'hui nous sommes en famille, entre Champenois, il m'a semblé qu'il n'était pas sans intérêt de rechercher le pourquoi de cette mauvaise réputation, de définir le caractère vrai de l'habitant de notre pays, de dégager la physionomie morale et intellectuelle, le génie, l'âme de la Champagne.

Pour cela, nous allons d'abord voir ce qu'on a dit de nous dans le passé; puis nous parcourrons rapidement le pays, nous traverserons les villages, nous pénétrerons avec les proverbes dans la pensée intime du peuple; et puisque, malgré le conseil du sage, on ne se connaît pas soi-même, nous recueillerons chemin faisant les opinions des écrivains qui ont parlé de notre vieille pro

vince.

Si nous voulions une étude complète, il nous faudrait analyser ses productions littéraires, énumérer tous ses enfants célèbres. Les hommes de talent sont, en effet, les fils de leur temps et de leur race; ils résument les tendances, les aspirations communes d'une époque, d'un pays.

Mais la tâche serait trop lourde et le temps nous manquerait pour la mener à bien.

Depuis longtemps on a donné comme caractéristique du Champenois la naïveté, quelques-uns prononcent

bêtise, et nous jettent à la tête le fameux proverbe des quatre-vingt-dix-neuf moutons.

Laissons-le, si vous voulez, de côté; car je crois bien qu'il ne s'applique pas à nous, les Champenois du Nord. Il a dû prendre naissance dans la Basse-Champagne; du moins, c'est là qu'on en a été le plus touché. Une des gloires de Troyes, Grosley, lui a consacré une de ses facéties, et plus tard la Société académique de l'Aube a inséré dans ses mémoires une réfutation qui n'occupe pas moins de trente pages.

Je sais aussi qu'au moyen âge, la Nience de Chalons était proverbiale, et que longtemps on a traité les Champenois de lourdauds.

Victor Hugo s'est chargé de les venger.

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Quand on l'applique à la Champagne, écrit-il, le mot bête change de sens. Il signifie alors seulement naïf, simple, rude, primitif, au besoin redoutable. La bète peut fort bien être aigle ou lion. C'est ce que la Champagne a été en 1814. »

Acceptons cette explication du grand poète, et continuons notre revue rétrospective.

Avec la bonhomie, les auteurs reconnaissent aux Champenois la droiture et la loyauté.

César dit déjà que les Rémois sont remarquables par leur fidélité et leur constance.

Veulx-tu la congnoissance avoir
Des Champenois, et leur nature?
Plaines gens sont sans décepvoir
Qui ayment justice et droiture.

Eustache Deschamps, dont je cite les vers, était de Vertus, et fut châtelain de Fismes sous Charles V. Toute son œuvre serait à analyser, parce qu'elle est peut-être

celle qui peint le mieux l'état d'esprit de nos compatriotes au moyen âge, et que le poète est bien lui-même le type du Champenois.

Il s'élève « contre ceux qui ont deux langages », et contre les «<< grands donneurs de bonjours »; il conseille de s'éloigner de la cour, où il faut souvent mentir, flatter, tromper.

C'est précisément ce que ne savent pas faire les Champenois, qui ont toujours été de bien mauvais courtisans. A la naissance du roi de Rome, Corvisart termine ainsi une lettre à l'Empereur: « Sire, arrêtezvous! la Fortune peut se lasser; vous n'auriez qu'à descendre. » Et Napoléon répond : « Voilà bien un vrai discours de Champenois.

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Malgré son air bonhomme, notre Champenois n'entend pas trop raillerie.

Teste de Champenois n'est que bonne,

Mais ne la choque pas personne,

dit un vieux proverbe, et dans le roman du Renard contrefait, on reconnait qu'il sait se défendre:

Et quant ce viens aus cops donner

Il se sevent bien remuer.

On lui accorde généralement aussi une certaine gaîté, non pas cette joie bruyante et expansive du Midi de la France, mais cette heureuse disposition d'esprit qui fait que l'on prend, comme on dit, la vie du bon côté. La Champagne est, par excellence, le pays des fabliaux, des longs poèmes, des contes gais et facétieux.

Il me semble qu'on peut ajouter à l'actif du caractère champenois une autre qualité, la modestie. Ici, on ne

sait se faire valoir; on se déprécie plutôt, de peur d'être accusé de se vanter.

Je n'en veux que deux exemples:

Au xvII° siècle, le Rémois Oudinet, avocat, et plus tard membre de l'Académie des Inscriptions, dit dans une Satyre Rémoise:

Soit vice de terroir enfin, soit influence,

Il y croît plus de sots qu'en aucun lieu de France.
On y compte bien moins d'André que de Magny,
Et pour un de Maucroix, il est cent d'Origny.

Et Taine, dont nous savons du reste le mépris pour la province, n'a pas la moindre indulgence pour son propre

pays:

« ....... Le blanc cru crayeux de la Champagne est horrible. L'effet prosaïque est complet. Impossible d'apercevoir une forme ou une couleur belle. Jamais les arts ne naîtront ici. Voyez, par contre, l'oeil allumé, la bouche narquoise, le ton goguenard, le grand nez vulgaire, irrégulier des habitants. »

Malgré tout le respect que je professe pour la mémoire de mon très illustre compatriote, je suis forcé de reconnaître le mal fondé de cette appréciation. Tout le monde a remarqué, du reste, le pessimisme de l'auteur des Carnets de Voyage, et on a pu en dire, que jamais touriste ne fut de plus méchante humeur.

Une ville comme Reims, qui a été pendant tout le moyen âge une pépinière d'artistes, méritait mieux que cette condamnation sans appel. L'École architecturale Champenoise est célèbre par la délicatesse, le fini et en mème temps l'idéal élevé de ses conceptions. Elle a produit saint Urbain de Troyes, la cathédrale de Reims, Saint-Nicaise, Notre-Dame de l'Épine, et on vient de

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