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retrouver son influence incontestable jusque dans l'île de Chypre. Aussi Didron a pu écrire : « L'histoire de l'art à Reims ferait le chapitre le plus éclatant de l'histoire de l'art en France. »

Voilà pour le Champenois; on a moins parlé de la Champenoise.

Gars normand et fille champenoise,

Dans la maison toujours noise,

dit un méchant et très faux proverbe.

M. A. de Géronval a dit d'elle, en style Restauration : « Les Champenoises sont à la fois pleines d'innocence et de candeur, d'esprit et de vivacité. »

J'aime mieux l'appréciation de La Fontaine, un connaisseur, sur les « friandes » Rémoises, et nous nous en tiendrons, si vous le voulez bien, Mesdames, aux vers de M. de Chevigné :

L'heureux pays que celui de Champagne...

Le peuple est bon, les maris point jaloux,
Et le beau sexe a le cœur aussi doux

Que les moutons qui peuplent la campagne.

Les citations que nous venons de faire ne donnent qu'un aperçu très superficiel du caractère champenois : il faut étudier plus à fond, plus scientifiquement, le pourquoi des tendances intellectuelles ou morales de nos compatriotes. Dans l'ordre social, en effet, pas plus qu'en histoire naturelle, il n'y a de génération spon

tanée.

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Toute province a sa physionomie propre, et dans l'ensemble en apparence unifié qui constitue la France, chacune conserve heureusement une certaine individualité, une parcelle d'autonomie. On a pu coudre ensemble les anciens « pays »; sous le réseau factice des divisions administratives, transparaissent pour l'œil attentif les différences d'aspect, de couleur, pourrait-on dire, qui distinguaient jadis les grandes divisions territoriales.

Les qualités, les défauts, les aptitudes d'une population s'effacent difficilement, parce que les causes qui les déterminaient persistent plus ou moins puissantes.

Or, l'esprit d'un peuple, d'une agglomération d'individus, est la résultante de trois principaux facteurs : la race, la situation géographique, le milieu. Appliquons ces données à la Champagne; nous insisterons surtout sur l'action du milieu, la plus importante, croyons-nous, celle aussi dont on constate plus facilement les effets.

Les influences ethniques sont évidentes; elles persistent malgré les variations individuelles et les modifications qu'introduisent l'évolution et le progrès.

Trois races principales ont occupé successivement notre sol la race primitive, celte ou gauloise, que nous connaissons un peu par les historiens, et dont, grâce à nos archéologues, nous pouvons apprécier les œuvres industrielles et artistiques; la race envahissante, d'origine germaine, venue de l'Est: Cimbres, Teutons, Alamans, Burgondes, Franks, guerriers de haute taille, aux cheveux blonds et aux yeux bleus; enfin les con

quérants d'une civilisation plus raffinée, administrateurs et organisateurs de premier ordre, les Romains, qui ont fait dans ce pays un si long et si fructueux séjour, perçant des routes, construisant des aqueducs, bâtissant des palais.

Ne retrouve-t-on pas dans l'âme champenoise l'empreinte de ces trois races?

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Elle a pris aux Gaulois l'amour de l'indépendance, sa bonhomie un peu narquoise, ce que Michelet appelle son «< ironique naïveté »; elle doit sans doute aux Germains sa fierté allant parfois jusqu'à la rudesse, tandis que les Romains lui ont légué leur esprit positif, le génie du commerce, la suite et la persévérance dans les entreprises.

Sa position géographique a donné à la Champagne une importance surtout militaire. D'un côté par l'Ile de France et la Picardie, elle touchait au cœur de la France, elle en sentait tous les battements, et ses habitants firent toujours preuve d'un profond patriotisme. De l'autre côté, elle confinait à la Lorraine et aux Flandres. Pays frontière, elle fut constamment envahie, pillée, conquise, reprise, et depuis l'aube de la nation française jusqu'à la malheureuse dernière guerre, elle fut le champ de bataille où cent fois se jouèrent les destinées de la patrie.

Toujours menacés, appelés à chaque instant à occuper les lignes de défense de la Semoy, de la Meuse et de la Chiers, obligés de se réfugier dans leurs églises fortifiées, derrière les remparts de craie ou dans les souterrains des villages, les paysans vécurent dans une alerte per

pétuelle: la race fut foncièrement guerrière. Nul pays ne pourrait donner une liste aussi longue et aussi glorieuse de célèbres soldats.

Encore faut-il s'entendre sur cet esprit militaire.

Tout prêt à prendre son fusil pour défendre le sol natal, le Champenois n'a jamais beaucoup goûté les beautés de la discipline et du service obligatoire.

Quand, au xvi siècle, on leva les contingents de la milice en tirant au sort parmi les célibataires de vingtdeux à quarante ans, les dits garçons, nous apprend le chroniqueur Taté, se réfugièrent dans les clochers et les officiers durent allumer du feu dans les églises pour les forcer à descendre.

Plus tard, lors de la rédaction des cahiers du TiersÉtat, beaucoup de villages champenois demandèrent l'abolition de la milice forcée et son remplacement par la milice volontaire.

Le milieu sur lequel elle vit, c'est-à-dire la nature et la configuration du sol, ont une importance de premier ordre dans le déterminisme du caractère d'une race.

L'étude de cette harmonie entre l'homme et le sol constitue même une science, sinon nouvelle, du moins nouvellement dénommée, l'anthropogéographie.

Nous allons essayer de montrer cette influence de l'habitat sur le caractère champenois. Mais pour rendre la démonstration plus claire et plus facile nous devons nous limiter.

La Champagne est grande; ses différentes parties, réunies administrativement sous l'ancien régime, sont quelque peu disparates. Nous ne nous occuperons que

de la Haute-Champagne, du pays dont Reims était et est encore la véritable capitale, et qui va du Tardenois à la frontière belge. C'est à peu près le territoire des anciennes élections d'Épernay, de Reims et de Rethel, auxquelles sont venues se souder les petites principautés ardennaises.

A l'ouest, la falaise tertiaire se soulève en massifs dont les arêtes, vers Sézanne et Épernay, se couvrent de forêts, tandis qu'aux flancs des coteaux pousse la vigne, fortune et gloire de la Champagne. Certes, l'habitant travaille; il soigne admirablement ses vignes, car il sait que Les bons raisins font le bon vin. Mais la nature lui est douce et le récompense largement : s'il peine une bonne partie de l'année, il gagne gros à la vendange. Bien portant, bon vivant, il dépense largement et n'aime pas à penser au lendemain; ce n'est pas tout à fait un bourgeois, c'est plus qu'un paysan.

Les villages sont riches et propres; tout le pays est comme égayé par le plus pétillant, le plus français de tous les vins.

C'est lui, ce vin,

...doux berceur des syllabes dorées,

qui a inspiré le vieux poète Eustache Deschamps, el nos joyeux chanoines Coquillard, Maucroix, Lattaignant ; c'est à lui encore que les Contes Rémois doivent leur grâce et leur verve légère.

Mais un peu plus loin tout change.

Voici la vraie Champagne, celle dont Michelet a dit: « Le cœur de la Champagne est un morceau de craie.

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