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chevêque dut se réfugier dans une petite étuve où l'on faisait chauffer l'eau des bains. Pendant huit jours, il l'y fallut dormir sur le foin. D'ailleurs, pas même une table, ni un siège pour les repas. Pour nourriture, du pain bis cuit sous la cendre, et un prétendu vin dont à peine on pouvait obtenir quelques gouttes. Et ces barbares étaient sans cesse au jardin dont ils foulaient les plates-bandes, si chères à leur maître; et ils cueillaient tous les fruits, surtout les figues, qu'ils mangeaient presque vertes. Aussi en étaient-ils justement punis, car à chaque instant on les voyait se presser en certain lieu discret où ils se comportaient de telle façon qu'on cut pu, comme dans l'ancienne Grèce, les appeler des Locriens ozoles, c'est-à-dire puants. Cette crise, du reste, ne dura pas trop. Des gens, craignant Dieu, procurèrent à Eustathe une couche moins dure. On lui rendit certaines choses qui lui avaient été enlevées : un mulet, quelques livres, des couvertures. En s'y prenant bien, il obtint même de ses hôtes fâcheux cinquante pièces d'or. Ses prières à saint Démétrius procurèrent ainsi à lui-même et à ce qui restait de ces diocésains une sorte d'abondance, car il faudrait avoir l'ingratitude d'un juif pour penser qu'on puisse inutilement invoquer ce grand saint (1).

Cependant, l'ordre commençait à se rétablir et les plus grandes violences avaient cessé. Néanmoins, à la moindre occasion ou sous le moindre prétexte, les habitants étaient encore insultés et maltraités par les vainqueurs. Même dans des choses en soi indifférentes, l'animosité se faisait jour. Ainsi les Latins se rasaient et portaient les cheveux longs. Les Grecs, au contraire, avaient les che

(1) Eustathe, nos 55, 90 à 97, 113, 114.

veux courts et la barbe pendant sur la poitrine. C'était un sujet de querelles fréquentes. Parfois aussi les soldats ne voulaient que plaisanter. Mais ils n'avaient pas toujours la plaisanterie agréable. Il leur arrivait, par exemple, de démonter les portes et les fenêtres d'une maison et de les transporter au loin ou de les détruire.

Dans les choses de la religion surtout, les difficultés étaient grandes. A la vérité, on avait mis fin aux pillages. Un jour, quelques hommes s'étaient attaqués à la statue de saint Démétrius et déjà ils en avaient enlevé en partie le revêtement d'argent avec l'un des pieds du saint et sa couronne d'or. Était survenu un des chefs de la flotte, qui les avait chassés et rudement traités. Mais il restait toujours matière à conflits. Dans les premiers moments, on avait fermé toutes les églises, ce qui était peut-être nécessaire. Bientôt on les avait rouvertes à certains jours et, suivant l'usage, les serviteurs du clergé s'étaient mis à appeler les fidèles en se servant de leurs crécelles. Les Latins, dont l'usage était différent, virent là une sorte d'appel à l'insurrection et, mettant l'épée à la main, ils menacèrent de tout massacrer. On put s'expliquer cependant et les esprits se calmèrent. Une autre fois, ils entrèrent en foule dans la cathédrale pendant que le clergé célébrait l'office divin suivant le rite. accoutumé et, de leur côté, ils se mirent à chanter suivant le rit romain, criant de toute leur force et couvrant les voix des Grecs. Cette fois, l'archevêque se risqua à réclamer timidement (ɛvλzể∞) et il s'adressa au comte Ardouin, dont il espérait justice. Celui-ci n'aimait pas les Grecs, ou plutôt il les détestait. On lui avait même entendu dire que ses soldats auraient dû exterminer tout ce monde lors de la prise de la ville et qu'il était étonnant qu'on laissàt à de pareils gens leurs têtes sur les

épaules, colère qui, sans doute, avait pour cause la résistance passive, mais opiniâtre des vaincus. Cependant, il entretenait de bons rapports avec l'archevêque, qui avait l'art de se le concilier par des flatteries intelligentes, et, sans intervenir directement dans l'affaire des chants religieux, il voulut réparer au moins en partie le mal qui avait été fait. Par ses ordres, on rendit autant d'or et d'argent qu'il en fallait pour remettre en état la statue de saint Démétrius. Il donna en outre des livres, des porte-cierges en argent, des icônes, des provisions abondantes et des vases sacrés, qu'on put répartir entre plusieurs églises (1).

Ici s'arrête la relation d'Eustathe. Les pages qu'il y ajoute ne nous apprennent rien de plus, et comme la vie de l'auteur s'est prolongée encore au moins douze ans, on ne peut se refuser à croire que cet écrit a été composé au moment des événements, alors que l'armée sicilienne n'avait pas encore quitté Thessalonique. Il faut recourir à d'autres sources pour connaître la fin de l'expédition.

La vendange avait été d'une abondance extraordinaire. On avait singulièrement abusé du vin nouveau, vin fumeux et capiteux, qui envenimait toutes les blessures. L'administration de l'armée était d'ailleurs mauvaise. Tantôt les soldats se gorgeaient de viandes de porc ou de bœuf, tantôt ils vivaient de privations. De là des maladies de tout genre qui, disait le comte Ardouin, avaient enlevé au moins trois mille hommes, ce qui était pour Eustathe, et sans doute aussi pour ses diocésains, un grand sujet de consolation. Le siège n'avait pas coûté moins cher et en outre on avait encore perdu du monde

(1) Eustathe, nos 103, 115, 116, 119, 121, 122.

dans des expéditions de détail (1). L'armée était donc singulièrement réduite lorsqu'elle se mit en marche vers Constantinople. Il fut cependant facile de refouler les troupes d'Andronicus. Mais celui-ci crut à la trahison de ses généraux ; il soupçonna chez des personnages considérables des conspirations qui n'existaient pas et il fit des exécutions. Déjà on était mécontent, car les vaincus ont toujours tort. La populace, qui l'avait acclamé naguère, se souleva furieuse contre lui et, après avoir souffert tous les outrages et toutes les tortures, il fut pendu par les pieds au milieu de l'hippodrome. Son successeur, Isaac l'Ange, fut plus heureux. Il sut rapidement se refaire une armée et, le 7 novembre 1185, son général Uranus gagna contre les Siciliens la bataille décisive de Démétrice (2). Thessalonique et Dyrrachium ne tardèrent pas à être abandonnées.

Eustathe mourut en 1198, sous le règne d'Alexis III, l'Ange. Pendant le cours de sa longue carrière, il avait vu six et peut-être sept empereurs se succéder sur le trône de Constantinople et, par son éloquence et son érudition comme par la dignité de sa vie, il avait tenu incontestablement la première place dans ce siècle de décadence littéraire. Nicitas Choniates (ann. VIII, p. 238 et X, p. 334), et Michel Psellus, dans ses lettres inédites, parlent de lui avec de grands éloges. Nicitas et Euthymus, évêque de Patras, ont écrit en son honneur des oraisons funèbres, qui, dit-on, existent en manuscrit à la bibliothèque Bodléïenne d'Oxford (3).

(1) Eustathe, nos 114, 136 et 137. (2) Schoell, t. VIII, p. 386. pp. 312 sqq., XVIII, pp. 216 sqq. (3) Fabricius, XI, 282.

Art de vérifier les dates, IV,
LEBEAU, liv. 91 et 92.

DE LA

MAISON DE LUXEMBOURG

en France

Communication à l'Académie de Reims, par M. V. DUCHATAUX, Membre titulaire.

Je dois, tout d'abord, m'excuser auprès de vous, Messieurs, de venir encore vous parler du Luxembourg. Mais une fois arrivé à un certain âge, on ne fait plus ce que l'on veut. Et si, par aventure, cette bonne fortune vous advient de rencontrer sur le chemin de vos études un filon peu exploré encore, on s'en empare, on y emploie tout son effort, on l'exploite enfin jusques au fonds et au tréfonds, peu assuré que l'on est d'avoir le temps d'en découvrir un autre. C'est toujours le « carpe diem » d'Horace, car l'on est alors « quam minimum credula postero ».

Aussi bien, sous un titre étranger, est-ce toujours de l'histoire de France que je cherche à écrire.

Après m'être essayé à tracer, d'une plume encore incertaine, le récit des visites fréquentes que firent les Français à Luxembourg pendant les cinq derniers siècles, j'avais entrepris d'écrire l'histoire des Luxembourg en France, je veux dire de la Maison française de Luxembourg, -de ce rameau florissant qui s'est détaché, à la fin du xin siècle, du vieux tronc qui l'avait nourri, pour venir s'implanter sur notre sol de France, aux portes de la Champagne, à Ligny-en-Barrois.

La terre de France lui fut si favorable que, de ce rameau vivace, sortirent de vigoureux rejetons qui por

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