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ma qualité de militaire et d'attaché à un cidevant prince, les soupçons qu'inspire naturellement l'état où nous sommes, les circonstances du moment, tout enfin, réuni contre moi dans ces tristes circonstances, a fait naître de la fermentation et de la défiance dans une petite partie de ma troupe. Vous devez juger qu'avec ma sensibilité, cette position fait le malheur de ma vie, puisque je vois mon honneur et mon repos au moins compromis. Dans les temps où nous sommes, personne ne peut savoir où cela peut s'arrêter.

Vous connaissez dès long-temps mes principes; peut-être y a-t-il quelque mérite à les avoir dits tout haut dès avant la révolution; et depuis la révolution, ils n'ont jamais varié. Je vous réponds de la pureté de mon cœur, je vous en jure par mon honneur et par le vôtre. D'après cela, je demande à vous, mon cher compatriote, à vous qui me connaissez et m'estimez, j'ose le croire, depuis long-temps; à vous, représentant du département où je suis né, je vous demande de vouloir bien écrire et signer ce que vous savez, ce que vous pensez, ce que vous jugez de moi. Je ne veux pas partir d'ici, je ne veux prendre

aucune résolution que ma justification ne soit établie. Je me charge de l'établir; mais comme votre nom justement célèbre doit être d'un poids immense, opposé à ceux des calomniateurs ou des soupçonneurs imbéciles, je vous demande ce nom que j'ai toujours aimé, sans croire qu'il pût m'être utile dans pareille circonstance. Si vous jugez à propos de faire signer par d'autres ce que je demande, M. du Séjour, M. Bailly, M. de Saint-Étienne, ne refuseraient pas. Mais là dessus, je m'en rapporte à ce que votre prudence, votre amitié, verront de mieux à faire.

Pardon, mille fois pardon de vous importuner dans de pareils instans. Mais je pense que votre cœur est de ceux qui croient que dans tous les temps, un honnête homme, un compatriote, un ami, mérite l'attention d'un honnête homme et d'un ami. Je n'en dirai pas plus. J'ai l'âme brisée, en vérité; après tout ce que j'ai fait! après tous les intérêts sacrifiés! je m'attendais peu à ce prix. Faut-il donc, dans la nature entière, ne compter que sur vous seul? Je vous embrasse, et j'attends de vous les biens les plus chers, ma justification et mon repos. Si votre écrit ne suffisait pas,

j'aurais encore recours à vous, que je révère autant que j'aime.

Sceaux, ce 26 juin 1791.

I

Il y aurait bien de l'amour-propre à moi, Ly mon cher et illustre confrère, d'imaginer qu'au milieu des importantes occupations qui remplissent vos jours fortunés, mes pauvres héros maures et castillans eussent trouvé le moment de venir yous faire leur cour. Ce n'est pas à un législateur, à un administrateur, à un procureur général syndïc qu'il faut aller chanter des romances ou raconter des contes bleus. Vous avez vraiment d'autres choses à faire dans le département de l'Ardêche, quand ce ne serait que de jouir de la douce paix, de l'heureux repos que vos grands travaux nous ont procurés. J'ai cru qu'il fallait laisser passer les bénédictions, les actions de grâces, les cantiques de reconnaissance qui retentissent en votre honneur dans la France et dans toute l'Europe. Quand les échos de vos montagnes

1 Gonzalve de Cordoue.

les auront assez répétés, alors je pourrai hasarder de venir jouer de la flûte à la porte de votre maison, comme les bergers de Sicile allaient jouer du chalumeau sur le passage. jonché de fleurs des Platon et des Timoléon.

Cependant, d'après votre bonté extrême, d'après la douce indulgence que vous avez puisée au comité des recherches, d'après surtout votre demande, je prends la liberté de faire remettre chez M. d'Azémar, qui m'a promis de s'en charger, un exemplaire du grand Gonzalve de Cordoue. Notre ami commun, M. de La Harpe, a traité ce capitaine avec autant de sévérité que Gonzalve traitait nos capitaines français dans la guerre qu'il leur fit à Naples. La différence qu'il y a, c'est que Gonzalve nous ôta pour toujours ce beau royaume, et que M. de La Harpe ne m'a presque point ôté de lecteurs. Ma seconde édition va paraître, et mon ouvrage s'est fort bien vendu, malgré les circonstances peu favorables aux lettres, qui font rechercher avec plus de soin le Journal du Soir et le Logographe, que des récits de guerre et d'amour. Ce qui me fait pardonner à ces circonstances, c'est qu'elles me procurent le plaisir de lire

vos beaux discours, vos beaux mémoires d'administration, que je trouve fort éloquens, et que j'ai le projet de mettre en vers un de ces jours, en y joignant de petits morceaux anacréontiques que je viens de faire, sur la force publique et la perception des impôts.

Je ne doute point, mon cher confrère ( et cela sans aucune espèce de poésie ou de plaisanterie ), , que vous ne soyez infiniment utile au pays que vous habitez. Si tout le monde avait votre amour pour le bien et vos moyens de le faire, nous n'en serions pas où nous sommes; mais on a perdu de vue la belle fable que faisait Fontenelle avec ses doigts, lorsqu'il parlait des vérités. De là, je crois, vient tout le mal. C'est à vous de le réparer, ou du moins de l'empêcher de croître ; j'applaudirai à vos succès comme citoyen, comme confrère et comme ami.

Je passe doucement ma vie au coin de mon feu, lisant Voltaire, regrettant Gauvain 1, faisant des fables, et fuyant des sociétés qui sont

Poëme de chevalerie auquel travaillait M. Boissy d'Anglas avant la révolution, et qu'il n'a jamais fini: il en avait lu plusieurs chants à M. de Florian.

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