EN MARGE DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE Dans l'exposé que j'ai fait, il y a quelque temps, dans le Mercure de France (1), de l'état actuel de la littérature aux Etats-Unis, mon but principal était d'offrir un tableau d'ensemble de la vie littéraire. J'ai donc évité autant que possible tous commentaires ou réflexions d'un ordre général portant sur les conditions dans lesquelles se développe cette vie littéraire.Je vais aujourd'hui en présenter quelques-unes en guise de notes complémentaires. En Angleterre il existe pour l'écrivain, comme récompense, en dehors de ce que lui rapporte la vente de ses livres, des ordres de chevalerie, l'Ordre du Mérite et quelquefois la pairie; en France, il y a l'Académie et diverses décorations. En Amérique il n'y a rien de semblable. Autrefois, des postes diplomatiques et consulaires étaient parfois donnés aux hommes de lettres: Washington Irving et Lowell furent ambassadeurs; Hawthorne et Bret Harte remplirent des postes consulaires. De nos jours, les grands industriels, les hauts financiers, les avocats réputés et leurs femmes se sont rendu compte des avantages sociaux qu'offrent de telles situations diplomatiques, aussine sont-elle que très rarement dévolues aux écrivains de carrière. Il est difficile de dire si le pays y gagne (1) Voy. Mercure de France du 16 janvier. ou non; il est fort probable que cela revient au même. De nombreux écrivains pensent qu'il serait bon que les Etats-Unis aient un système de pensions comme il en existe en Angleterre pour les écrivains malchanceux et pauvres. Cela montrerait de la part du pays quelque velléité de protéger la littérature nationale. La dignité et la propre estime de l'écrivain qui en profiterait seraient respectées, comme il arrive en Angleterre où le fait de recevoir une pension de l'Etat est considéré comme un honneur. Mais, en Amérique, une telle innovation demanderait, de la part de ceux qui font les lois, un tout autre état d'âme et d'esprit. Si l'on posait la question à un membre quelconque du Congrès à Washington il y aurait toutes les chances pour qu'il réponde: Un homme qui désire une pension ne peut valoir grand'chose comme auteur. Pourquoi ne peut-il gagner de l'argent? Néanmoins, pour prendre un exemple parmi tant d'autres, une pension n'aurait-elle pas changé la vie d'Edgar Allan Poe qui essaya, mais en vain, d'obtenir un petit emploi des douanes à Philadelphie? Ses désappointements et ses désespoirs au sujet de ce méchant petit emploi, qu'il décrivit dans ses lettres à son ami Thomas, sont tout ce qu'il y a de navrant à lire. Il y a quelques années, à New-York, un écrivain, qui fut à la fois poète et critique dramatique, se trouvant sur la fin de ses jours dans la plus grande détresse, ses amis ne conçurent rien de mieux que d'organiser à grand fracas et à coups d'annonces une représentation théâtrale à son bénéfice. Il est facile de voir combien il aurait mieux valu pour sa dignité personnelle que le gouvernement fédéral eût pu le faire bénéficier d'une pension en reconnaissance de ses services. Mais pour cette réforme, comme pour tant d'autres, il fau'drait que le peuple américain ait pleinement conscience de l'existence d'une littérature américaine et de son intérêt à la protéger. Pour le moment il n'en est pas ainsi. L'écrivain américain doit lutter contre toute l'Europe, et surtout contre l'Angleterre. La valeur moyenne de la production de romans et de poésies en Amérique est supérieure à la production en Angleterre; mais il ne semble pas que les Américains pensent ainsi. On peut dire que les Anglais, H.-G. Wells et John Masefield, |