de la passion, et il y avait encore dans son amour pour Musset une tendresse maternelle que le poète ne sut peut-être pas cultiver. Ily avait aussi dans l'amour du poète pour Lélia une sorte de besoin de protection, de fructification intellectuelle. L'amour n'est pas qu'un échange de baisers et de morsures, il est surtout peut-être une exaltation de l'individu par la communion de deux intelligences et de deux sensibilités. L'amour réalise, momentanément hélas ! l'être parfait. Cette plénitude physique et intellectuelle, G. Sand et Musset l'ont entrevue, et ils ne se sont jamais consolés ni guéris de leur double et irrémédiable déception. M. L. Vincent nous donne en outre deux gros volumes documentaires sur George Sand: Le Berry dans l'oeuvre de George Sand, et George Sand et le Berry. C'est peut-être la biographie la plus complète de G. Sand où l'auteur a accumulé et résumé tous les documents se rapportant à la châtelaine de Nohant, y ajoutant de nombreuses lettres et renseignements nouveaux. Cette étude de la vie et de la psychologie de Lélia me semble faite avec la plus parfaite honnêteté littéraire, et ces deux volumes, auxquels il faut ajouter encore un essai sur La langue et le style rustique de G. Sand dans les romans champêtres, seront désormais un ouvrage indispensable à tous les écrivains qui voudront connaître l'œuvre et pénétrer le génie de cette femme exceptionnelle et sans doute unique que fut George Sand. Il nous fait méditer sur sa puissance de travail : « Dans certaines circonstances, écrit-il, G. Sand pouvait déployer uce activité qui paraît même au-dessus des forces humaines. » A Venise, par exemple, malgré ses émotions et ses angoisses, elle trouve le moyen d'écrire André, Jacques, Mattea, et les premières Lettres d'un Voyageur : « J'en suis arrivée à travailler, sans être malade. treize heures de suite, mais en moyenne sept ou huit heures par jour, bonne ou mauvaise soit la besogne... » Dans toutes les circonstances de la vie elle a fourni une somme de travail effrayante, et M. Vincent conclut George Sand avait la patience et l'endurance du boeuf berrichon. On retrouvera dans ces pages les hôtes de Nohant, tous ceux qui traversèrent sa vie et son cœur. Un chapitre très curieux sur les ancêtres berrichons de G. Sand: les Dupin, parmi lesquels cette Mme Dupin, seconde femme de soc arrière-grand-père Claude Dupin, qui fut aimée de J-J. Rousseau et repoussa ses hommages «< tout en restant pour lui, jusqu'à la fin. une amie sincère et dévouée. » Me Dupin cultivait les lettres et la philosophie, mais c'étaient les idées de l'abbé de Saint-Pierre qu'elle avait épousées en collaboration avec son mari qui partageait ses goûts littéraires, elle composa un petit traité sur le Mérite des femmes, qui est déjà du féminisme, puisqu'il veut démontrer l'égalité de l'homme et de la femme. Cette question passionna aussi George Sand. Mais M. Vincent a surtout voulu étudier ce que, peut-être, dit-il, on n'avait pas encore examiné d'assez près, les rapports qui unissent George Sand au Berry et l'influence qué ce pays a exercée sur l'auteur de Lélia : « L'enfant appartient bien à cette race berrichonne, amoureuse de la nature et du sol. Elle incarne à un degré extraordinaire certaines dispositions qui caractérisent ce peuple primitif sensibilité, imagination, rêverie, persévérance, endurance, calme, froideur, bon sens, et lenteur. » L'âme et l'œuvre de G. Sand sont tout imprégnés de l'atmosphère du Berry, de ses paysages, de ses coutumes: elle est comme un arbre qui plonge ses racines dans le sol de ce pays et dont les feuilles, les fleurs et les fruits ont le parfum et le goût de ce terroir. Ce petit livre de M. Esch n'apporte pas une grande lumière sur l'œuvre d'Emile Verhaeren, mais il synthétise tout ce que l'on a écrit de l'influence du poète flamand sur la jeune génération. Et à ce propos M. Esch esquisse un petit aperçu des écoles poétiques qui ont suivi le symbolisme et qui, comme le paroxysme, s'inspirèrent de la poésie verhaerenienne. Avec Verhaeren s'est levée dans le monde une poésie démocratique qui sut styliser des pensées, des sentiments et des images dédaignés et rejetés jusqu'alors. Verhaeren, c'est de la poésie socialiste... aristocratisée car Verhaeren, c'est un aristocrate qui s'ignore. Les Grandes Heures de Ribeaupierre. - M. Jean Variot a écrit autour de cette légende alsacienne, jadis fixée dans les bas-reliefs de la grande porte de Saint-Ulrich en Ribeaupierre, avant que le château-fort eût été démantelé par ordre du roi Louis XIV, un drame qui est à la fois un mystère du moyen age et une tragédie shakespearienne. Nous voyons Ribeau pierre parricide, accablé de son remords comme d'une croix, refaire réellement le chemin de la croix à la suite du Crucifié, et M. Variot a su mettre dans ces scènes un réalisme impressionnant, une émotion prenante et aussi une ironie très philosophique. Que l'on lise la glose de Ponce Pilate, à la re station, où le Procurateur de Judée, en une triste vision de sa réputation future, épilogue sur les mots de la prière liturgique... « A souffert sous Ponce-Pilate » et se lave les mains : « Après tout, c'est une injustice de plus sur la machine terrestre. » MEMENTO. - Je veux signaler ici l'édition des Bibliophiles parisiens (7 fr. 50) des Fleurs du Mal, de Baudelaire, que nous présente, avec une sûre et esthétique érudition, M. Pierre Dufay. On trouvera dans l'introduc tion bibliographique l'historique des Fleurs du Mal ei des diverses éditions qui ont précédé celle-ci. En tête de la très belle et de la très pure édition des Maîtres du Livre », M. Feli Gautier écrivait qu'il avait voulu établir une édition « intégrale », mais pas encore l'édition critique. Ce volume que nous présente aujourd'hui M. Pierre Dufay n'est sans doute pas l'édition critique définitive - il n'y a rien de définitif— des Fleurs du Mal,mais c'en est une édition critique.-Aux « Maîtres du Livre », Les œuvres de Françoys Villan (G. Crès) que nous présente Ad, van Bever. Le texte, nous dit-il, est cla reproduction fidèle, intégrale, de l'excellente leçon établie par Auguste Longnon et revue par Lucien Foulet ». L'éditeur a écarté les variantes fournies par les manuscrits, mais a réimprimé, à la suite du Grant Testament, les Ballades en Jargon Jobelin « volontairement écartées» par ses prédecesseurs. A la « Société littéraire de France », cette petite édition de luxe, avec un frontispice gravé sur bois par Jacques Beltrand, des Antiquités de Rome par Joachim du Bellay, qui nous est une occasion de relire ce beau et pur poème. LE MOUVEMENT SCIENTIFIQUE JEAN DE GOURMONT. La réorganisation des laboratoires scientifiques et la réforme de l'enseignement des sciences. Le bolchevisme et la science. - L'avenir de la chimie pure et appliquée en Angleterre. Paul Boyer, Maurice Caullery, Alfred et Maurice Croiset, Emile Durkheim, H. Gautier, Louis Havet, F. Larnaude, Ernest Lavisse, Henri Marcel, Edmond Perrier, Maurice Prou, G.-H. Roger: La Vie universitaire à Paris, ouvrage publié sous les auspices du Conseil de l'Université de Paris, aver 92 planches hors texte, Armand Colin, to fr. Les conseils de spécialistes, La nationalisation des laboratoires maritimes. L'organisation des bibliothèques. Le protectionnisme universitaire. La réorganisation des laboratoires scientifiques et la réforme de l'enseignement des sciences sont au premier rang des questions d'après guerre. Et cela dans tous les pays. Les bolcheviks eux-mêmes, malgré leur dédain pour les « intellectuels », reconnaissent que la science doit jouer un rôle capital dans les sociétés modernes, et être à la base des réformes sociales. C'est du moins ce qui ressort d'une communication faite cette semaine à l'Académie des sciences au nom de M. Victor Henri : le bolchévisme et la science. Les comptes rendus qu'en ont donnés les journaux ont provoqué des commentaires variés. Nous sommes si ignorants de ce qui se passe actuellement en Russie! Victor Henri revient, lui, directement de Moscou, où il avait été envoyé en mission par l'Académie et par le Gouvernement. Il vient de publier chez Gauthier-Villars un livre fort intéressant sur l'attion photochimique de la lumière. C'est une figure bien curieuse que celle de Victor Henri. Polyglotte, très au courant du mouvement des idées à l'étranger, Victor Henri arriva à la Sorbonne avec le titre de « docteur en philosophie »; il travailla d'abord la psychologie avec Alfred Binet, mais bientôt il se rendit compte de toute l'impor ance de la physique et de la chimie pour l'étude des phénomènes de a vie; avant la guerre, il faisait à la Faculté des Sciences un cours ibre de « chimie physique appliquée à la biologie »; il a créé là un nseignement nouveau et d'avenir; tout jeune encore, il avait déjà ormé dans le laboratoire de Dastre, dont il était le disciple préféré, lusieurs élèves. Comme tous ceux qui ont de nombreuses idées à éaliser, Victor Henri avait souffert du peu de ressources matérielles. offertes par les laboratoires de l'Université; on conçoit aisément son athousiasme lorsque le ministre de l'Instruction publique en Russie ouvrit aux savants russes et à lui-même, délégué de l'Académie des Sciences de Paris, des crédits illimités pour poursuivre leurs recherthes. Ces jours-ci, à la Chambre française des députés, on a fait un premier pas dans cette voie, et Mayéras a déclaré qu'on ne saurait Crop payer les savants qui illustrent notre pays. Le témoignage de Victor Henri est d'ailleurs corroboré par d'aures observateurs impartiaux, en particulier par Arthur Ransome, qui n'est pas non plus un bolchevik. § Il est intéressant de comparer ce qui se passe actuellement en Angleterre, le pays de l'utilitarisme, à ce qui a lieu en Russie, «<le pays de l'idéalisme ». Là aussi on a compris que la suprématie de la science pure était une question vitale pour le pays. Le discours prononcé à la séance annuelle de la Société chimique anglaise en 1918 par sir W.-J. Pope, son président, et publié par la Revue scientifi que en mai dernier :« l'Avenir de la chimie pure et appliquée en Angleterre », est tout à fait significatif à cet égard. L'éminent chimiste anglais commence par déplorer que la science, oujours trop discrète, n'ait pas su, jusqu'ici, attirer sur elle l'attenion publique. Au début du xixe siècle Dalton professa la théorie atomique, Thomas Young énonça la théorie ondulatoire de la lumière et James Watt inventa a machine à vapeur, événements considérables, qui ont bouleversé les onditions de la vie humaine, car ils ont eu sur la prospérité du monde utier une répercussion incomparablement supérieure à celle des guerres apoléoniennes. Que l'on nous demande cependant, à l'improviste, quel ut l'événement des vingt-cinq premières années du xix siècle le plus gros e conséquences, il y a bien des chances pour que nous citions la bataille e Trafalgar. Il y a là une habitude de penser routinière qu'on ne saurait trop ombattre. Le désir d'augmenter le bien-être de la vie est l'un des mobiles es plus puissants qui incitent aux changements politiques. Or, epuis un siècle, les recherches de sciences pures ont facilité d'une açon considérable la réalisation de ce désir. La science a rendu pos sible l'effort collectif, l'un des aspects les plus frappants de la vie moderne. Sir W.-J. Pope cite un certain nombre de faits qui montrent ce pendant à quel point les industriels et les commerçants anglais se sont méfiés jusqu'ici des hommes de science. Ainsi le gouvernement anglais se passa du conseil des savants dans l'élaboration des moyens à adopter pour ressusciter l'industrie des matières colorantes dérivées du goudron. Pour expliquer que la direction de la nouvelle compagnie industrielle ne comprendrait pas d'hommes de science, on prétexta qu'« un directeur qui s'y entendrait dans les affaires de la compagnie aurait un avantage sur ses collègues moins bien renseignés ». On a prétendu d'autre part que l'instruction n'était pas nécessaire pour faire de la nouvelle génération une génération d'hommes d'affaires compétents. Ne s'était-on pas aperçu que, dans le monde commercial de Londres, l'étudiant qui avait été le plus brillant à Oxford n'arrivait à rien, et que celui qui pouvait à peine écrire son nom réussissait souvent? Est-il nécessaire qu'un fermier soit instruit pour fumer son champ? De même, dans le monde médical français, ne déclare-t-on pas que les connaissances scienti fiques -physique, chimie, sciences naturelles ne sont pas néces saires, sont même nuisibles, pour l'exercice de la médecine? On ne saurait trop protester contre cette manière de voir. Les jeunes ont tort de penser qu'il est avantageux pour eux et la prospérité du pays d'apprendre vite, et d'une façon tout empirique, ut métier. L'idée fausse de la nécessité de la surproduction dans tous les domaines a conduit, au sein des sociétés humaines, à une division du travail et à une spécialisation vraiment exagérées, et qui tuent chez les individus l'esprit d'invention, condition indispen sable de tout progrès. Sir W.-J. Pope n'a qu'une confiance limitée dans une instruction purement littéraire, classique, et il demande que l'on donne aux jeunes gens une instruction telle que nos connaissances actuelles sur l'univers leur soient enseignées. Les services administratifs se sont montrés tout à fait insuffisants en Angleterre, pendant la guerre; ? le plus souvent, ils sont confiés à des hommes de culture classique En France aussi la vie universitaire va subir une crise de rénovation. Le Conseil de l'Université de Paris a chargé les doyens Facultés, les directeurs des grandes Ecoles de publier un ouvrage la Vie universitaire à Paris, pour présenter les progres accomplis depuis 40 ans dans notre enseignement supérieur. Ce livr a été édité par la librairie A. Colin; il est fort bien documenté et avec ses 92 photographies hors texte, a un bel aspect. Les deat premiers chapitres, écrits par E. Durkheim, sont consacrés aux ori |