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Socialistes ou réactionnaires, tous ont été tantôt fédéralistes russes, tantôt ukrainiens partisans de l'indépendance; tous ont été au service de l'Allemagne, et presque tous ont fini par offrir leurs services à l'Eatente; et les socialistes ukrainiens n'ont pas eu, vis à-vis du bolchévisme, une politique moins vacillante. On ne voit pas ce que ces hommes représentent, parce que leurs idées politiques varient trop au gré des circonstances, et l'on n'aperçoit pas de forces populaires derrière eux. Longtemps, la seule force agissante, en Ukraine, fut celle de très petits groupes, dout les chefs étaient plus ou moins consciemment inspirés par l'Allemagne, puis, après le premier traité de Brest-Litovsk dug février 1918, l'Allemagne domina le pays plus ouvertement, mais depuis qu'elle n'est plus maîtresse, le peuple ukrainien ne se montre pas davantage. Il y a là un des plus remarquables exemples des difficultés de réalisation de la démocratie, dans un pays qui n'en a pas la longue pratique, et au milieu du désordre matériel et de la confusion des idées que subit actuellement la Russie. C'est au nom du peuple que prétend parler chaque chef de parti ou de gouvernement passager, mais le peuple se tait.

Au moment où l'on proclaine le droit des peuples de disposer d'eux-mêmes, la politique devient un jeu d'intrigues auquel ne prennent part que des coteries. On s'efforce, naturellement, de réunir des assemblées, car il faut bien avoir l'air, à notre époque, de s'appuyer sur des institutions que l'on qualifie de représentatives, mais c'est à condition qu'elles ne représentent rien. La fameuse Rada centrale d'Ukraine a été l'une des réunions les plus caractéristiques de ce genre. Elle comptait environ 800 membres, et d'après une résolution votée par elle-même, chaque membre devait représenter au maximum cent personnes, en sorte que, si l'on prend ce maximum, la Rada, comme l'observe M. Maurice Maillard, « aurait représenté quatre-vingt mille personnes au milieu d'un peuple de trente ou trente-cinq millions d'habitants, où les sexes sont égaux en droits ». C'est par cette Rada qu'a été proclamée la séparation de l'Ukraine. Elle avait eu soin de ne parler d'abord que d'autonomie, puis elle a créé, sous le nom de «< secrétariat », un gouvernement local, auquel la faiblesse du gouvernement Kerensky a laissé prendre des allures d'indépendance, et enfin elle a profité des premières circonstances favorables pour déclarer l'Ukraine séparée de la Russie. Ce fut au lendemain du coup de force des bolcheviks (7 novembre 1917). Des troubles ayant éclaté à Kiev, les séparatistes s'unirent aux bolcheviks contre les troupes du gouvernement provisoire, qui furent obligées de se retirer. Dix jours plus tard, les séparatistes de la Rada purent lever le masque. Cette histoire est racontée, malheureusement de façon trop sommaire, par M. Maurice Maillard, qui se trouvait à Kiev, où il était professeur depuis près de vingt ans. On comprend qu'il

ait intitulé sa brochure: Le Mensonge de l'Ukraine séparatiste. Il est cependant étrange que tous les chefs de l'Ukraine en cette période troublée aient été partisans de l'indépendance, — aussi bien Skoropadsky le réactionnaire que Petlioura le socialiste. Ils ne l'ont pas été avec une netteté constante, car leur politique à tous était sujette à trop de variations, mais c'était leur tendance commune et la plus marquée. Les gens qui n'étaient pas très avertis ont nécessairement fini par croire que les Ukrainiens désiraient vraiment leur indépendance complète. C'est mal se rendre compte à quel point le peuple est passif en Russie, à l'heure actuelle. Un Skoropadsky ou un Petlioara pouvaient faire figures de chefs de gouvernement, à distance, simplement parce que l'Allemagne les laissait faire, on parce qu'ils avaient réuni quelques milliers d'hommes armés, recrutés principalement en Galicie. Une Rada quelconque est toujours facile à convoquer. Bien que les partis socialistes ne représentent qu'une minorité de la population, ils sont tout de même beaucoup plus représentatifs de l'opinion populaire que de telles personnalités sans mandat, ou de telles assemblées appelées dans une circonstance particulière et pour une besogne déterminée : ils existaient au préalable. Or, le grand journal socialiste de Kiev, la Kievskaja Mysl, du 15 décembre 1918, publiait sous le titre « l'Unité de la Russie » un article à la suite duquel il fut suspendu :

... Au milieu des destinées variables de la politique ukrainienne durant les derniers dix-huit mois, au milieu de toutes ses hésitations entre les <<< orientations >> et les forces alliées ou ennemies, une idée demeure inébranlable, idée qui doit conduire au résultat le plus vital: l'Unité de la Russie.

... Car l'expérience de ces derniers temps a prouvé qu'en dehors de cette unité, non seulement la Russie, mais l'Ukraine, ne seront que des jouets politiques dans les mains étrangères. Si l'Autriche et l'Allemagne étaient intéressées à démembrer la Russie, si ce morcellement leur était nécessaire dans leur lutte contre les puissances de l'Entente, celles-ci sont intéressées à l'unité de la libre Russie démocratique.

L'unité de la Russie, c'est la condition sine qua non, non seulement de l'existence des peuples qui habitent ce pays, mais aussi du triomphe de la démocratie en Europe et dans le monde entier.

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Il est intéressant d'observer que, d'après le raisonnement simple et d'une justesse évidente du journal socialiste, l'intérêt politique de l'Entente droit des peuples mis à part est d'aider la Russie à refaire son unité. C'est également l'intérêt de la démocratie universelle. Mais on voit, de plus, que ce journai ne connaît pas de revendication en faveur d'une nationalité ukrainienne distincte.

M. Maurice Maillard déclare : « Durant tout mon séjour en Petite Russie, avant la guerre, je n'ai jamais entendu parler d'un mouve

ment séparatiste. » Et les Allemands, qui savaient à quoi s'en tenir, et qui désiraient obtenir un accueil bienveillant de la population ukrainienne, n'ont employé dans leurs proclamations que le russe et l'allemand, car ils jugeaient parfaitement inutile de faire plaisir aux Ukrainiens séparatistes, leurs instruments.

Il existait pourtant un mouvement ukrainien, et qui n'était nullement inspiré ni par l'Allemagne, ni par l'Autriche. L'historien M. Kostomarov en a été, en 1846, le promoteur. Mais c'était un mouvement autonomiste et fédéraliste. Kostomarov, à vrai dire, souhaitait pour les diverses parties de la Russie une autonomie extrêmement large, mais l'idée de la séparation de la Russie était très éloignée de son esprit, et même il avait des tendances panslavistes. Le professeur Dragomanov, qui a été ensuite le chef de l'ukrainisme, était aussi très attaché à l'unité russe. Il n'était pas, comme le dit le comte Alexandre Koutaïssov dans son livre Ukraina, publié en anglais à Copenhague, un socialiste, mais un libéral très radical, et a exercé une grande influence, sans avoir été lui-même aucanement influencé par le germanisme.

Ce fut seulement à la suite du traité d'alliance entre l'Allemagne et l'Autriche (1879) que les empires centraux s'intéressèrent à l'Ukraine; en 1887, le philosophe von Hartmann publia une série d'articles où il montrait l'intérêt qu'aurait l'Allemagne à barrer l'expansion russe par la formation d'un Etat ukrainien, et l'on crut ces articles inspirés par Bismarck. C'est alors que commença en Galicie un mouvement de propagande ukrainienne antirusse par les journaux, les tracts et de nombreuses sociétés. Parmi celles-ci, la « Société scientifique en souvenir de Cheftchenko », fondée par le professeur galicien Grouchevsky, paraissait d'ordre purement scientifique, mais elle était subventionnée non seulement par la diète galicienne, mais aussi par le trésor impérial, et Grouchevsky fonda en 1899 le parti national démocratique, qui se proposait la réunion de toutes les parties de l'Ukraine en un Etat « indépendant ». Il parlait bien aussi d'une Russie fédéraliste, en sorte que l'idée de séparation n'était encore que suggérée, non positivement affirmée. On y arriva un peu plus tard. Un accord eut lieu entre le parti de Grouchevsky et les socialistes. Enfin, peu d'années avant la guerre, fut fondée « l'Union pour la libération de l'Ukraine ». L'activité de la propagande devenait prodigieuse, il ne paraissait pas moins de cent journaux quotidiens, et l'agent Rakovsky, en 1912, fit quelques révélations sur ce que l'Allemagne payait à divers journaux et politiciens ukrainiens. Naturellement, ce qu'il avait dit fut démenti, mais aucune explication ne fut donnée d'une telle abondance de publications nouvelles.

Cette propagande atteignait l'Ukraine russe, et quelques Ukrai

niens de Russie, en très petit nombre, dans les milieux intellectuels, y prenaient une part active. Mais il importe de distinguer très nettement le fédéralisme radical de Kostomarov et de Dragomanov, qui est russe d'origine, et qui paraît bien répondre au désir profond du peuple ukrainien, du mouvement séparatiste antirusse et austrophile, d'origine galicienne ou même germanique. L'Allemagne a même montré plus directement, au cours de la guerre, l'intérêt qu'elle portait au séparatisme ukrainien, en faisant un traitement spécial aux prisonniers ukrainiens, et organisant parmi eux la propagande. L'Allemagne voulait détruire la puissance russe. Elle avait pour cela deux moyens : le bolchévisme et les séparatismes. Elle les a employés tous les deux, et les effets de chacun se sont trouvés presque partout aggravés par l'autre, aussi bien lorsque le bolchevisme et le séparatisme s'opposaient que lorsqu'ils s'entr'aidaient. Toute vie politique était faussée, devenait impossible. Les Alliés ont besoin, avant tout, de clarté. Ils doivent combattre à la fois le bolchévisme et le séparatisme, car le « droit des peuples de disposer d'eux-mêmes »> ne peut pas être exercé dans les conditions actuelles : son application en Russie doit être ajournée.

Mais, de plus, en ce qui concerne l'Ukraine, les Alliés devraient comprendre, dès maintenant, que son application doit être limitée à la constitution d'une Russie fédérative, et que l'idée d'une Ukraine indépendante est, pour les Ukrainiens de Russie, une idée étrangère que des moyens de propagande formidables n'ont pu acclimater chez eux.

PUBLICATIONS RÉCENTES

P.-G. LA CHESNAIS.

[Les ouvrages doivent être adressés impersonnellement à la revue. Les envois portant le nom d'un rédacteur, considérés comme des hommages personnels et remis intacts à leurs destinataires, sont ignorés de la rédaction et par suite ne peuvent être ni annoncés, ni distribués en vue de comptes rendus.]

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10

Mircea Djuvara: La guerre roumaine, 1916-1918. Préface de M. Emile Boutroux; Berger-Levrault. Henri Domelier: Au G. Q. G. allemand. Préface de M. Maurice Barrès. Avant-propos de M. Léon Goulette; Renaissance du livre. 6 >>> Dr Lucien Graux Les fausses nouvelles de la Grande guerre, tome V; Edition franç. illust.

Gaston Jollivet: La délivrance; Hachette. Vernon Kellogg: Mes soirées au grand

quartier.Préface de Théodore Roosevelt. Traduction de L. Petit; Payot. 3 » Général Nicolas de Monkévitz: La décomposition de l'armée russe. Trad. et préface de Serge Persky; Payot. Robert Pinot Le Comité des forges de France au service de la Nation; Colin. 4 55 Général de Tournadre: Au pays des fourbes : Plon.

4 55

Philosophie

J.-Roger Charbonnel

4 50

4 50

L'Ethique de Giordano Bruno et le Douzième dialogue du Spaccio. Traduction avec notes et commentaire; Champion.

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Maurice Guière : L'angoisse des veilles sous-marines. Préface de André Suares. Bois de l'auteur; Floury.

P. Palgen: Les seuils noirs; Lib. Soupert, Luxembourg.

Politique

J. Tchernoff: Les nations et la Sociétérdes nations dans la politique moderne. Préface d'Albert Thomas; Alcan.

Publications d'Art

4 55

Stanislas Lami: Dictionnaire des sculpteurs de l'Ecole française au XIX siècle. Tome III: G. M.; Champion.

Questions L. Dartigues: La mission sanitaire chirurgicale française du Caucase, uillet 1917-juillet 1918. Avec 45 fig.; Maloine.

7 »

Jean Fiolle: Essais sur la chirurgie moderne; Alcan.

4 55

médicales

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20 >>>

Dr Jean Huard Comment guérir à coup sûr la tuberculose; Soc. Edit.. médicales. 4 H. Piouffle Les psychoses cocaïniques; Maloine.

Questions militaires

12 »>

Lieut.-Colonel Emile Mayer: Le ministère Fidics, Essai d'anticipation a posteriori; Payot.

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