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nous avons rencontré des documents authentiques portant un sévère et fâcheux témoignage contre ceux qui, dans ces temps trop glorifiés, étaient chargés d'administrer la justice. En voici un nouveau qu'il faut lire en son entier, parce qu'il renferme une peinture des mœurs dont la vérité ne peut être mise en doute. Je veux parler du préambule de cet édit des présidiaux d'Henri II, qui, réformant profondément les institutions judiciaires, établit le régime qui se maintint jusqu'aux jours de la révolution de 1789.

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"Considérant les grans soins et diligences de nos prédé cesseurs et de nous pour l'établissement, ordre et conduite. « de justice, et pour la faire administrer promptement à nos sujets, ayant sur ce point faict plusieurs ordonnances bonanes et utiles, et nécessaires pour l'abréviation des procèz, "sans que jusqu'ici l'on en ait pu tirer le fruit que nos dicts prédécesseurs et nous en avions espéré; mais au con<< traire, par la mauvaise foy des parties, ou souvent par "l'excessif gain qu'en tirent les ministres et suppots de la <«< justice, par les mains desquels il faut passer; les d. or<< donnances, quelque bonnes qu'elles soient, semblent quasi • avoir produit et donné moyen de plus grandes longueurs « aux procèz pour les subtilités et involutions que l'on a re" quis et trouvez à prolonger l'expédition d'iceux, et perver«tir l'ordre et formalité de justice; de sorte que la plus part «de nos sujets délaissent et abandonnent leur forme, et manière de vivre avec leurs arts et industries et tous autres "et vertueux et notables exercices auxquels ils sont appelés; « emploient le temps de leur vie à la poursuite d'un procèz sans en pouvoir voir la fin, et consument leurs meilleurs ans avec leurs biens, facultez et substances, en chose << si serve et si illibérale qu'est cette occupation, comme cha« cun sait. L'usage de plaider n'était précédemment si << commun et si fréquent qu'il est à présent; et usaient nos d. sujets les uns avec les autres de meilleure foi, ne craignant << moins d'encourir le nom de plaideurs et estre estimés tels

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« que d'être accusés de crime notoire. Et tout au contraire nos dicts sujets font si grande coutume et habitude de plaider, qu'universellement ils se détruisent; de manière que c'est une maladie qui a pris cours par tous les endroits de « notre royaume, que l'un refuse à tous propos faire raison « à l'autre, s'il n'y est contraint par justice. Et ensuite pour « fuir, dilayer ne craignant d'appeler pour quelque petite matière que ce soit, jusqu'en nos dites cours souveraines, • qui est cause que la plus part de nos sujets se détruisent -mêmement par la variété et multitude des degrés de juridiction où ils appellent et recourent. »

Tels furent les motifs qui décidèrent l'érection des présidiaux. Ils durent être établis « en chacun des baillages et sénéchaussées» des pays d'obéissance royale « qui le pourraient commodément supporter, et que le roi aviserait être le plus utile pour ses sujets. A chacun de ces sièges doivent être attachés « neuf conseillers pour le moins, en y comprenant les lieutenants-généraux et particuliers civil et criminel, » qui jugeront au nombre de sept, en dernier ressort, jusqu'à la somme de 250 fr. en capital et de 10 fr. de rente; et par provision jusqu'à 500 livres de principal et vingt livres de rente. Les sentences doivent contenir « les somme et taxe

des épices, afin que l'on en ait connaissance, et que par « excessive taxe les sujets ne soient molestez ni surchargés. " Les audiences doivent être ouvertes aux plaidoiries au moins deux jours par semaine, et les conseillers ne peuvent obtenir celte dignité sans être « gradués licenciés et avant l'âge de 25 ans.

Il est utile de comparer ce que nous apprennent les motifs de cet édit, des préoccupations du pouvoir pour l'administration de la justice, avec ce que nous avons remarqué sur le même sujet dans l'étude que nous en avons faite pour les temps antérieurs et purement féodaux. Dans ceux-ci, nous avons vu tous les soins, tous les efforts des seigneurs hauts justiciers, tournés vers la conservation et l'augmentation des

profits qui leur provenaient des frais de procédure, amendes et autres taxes; ici, la pensée du pouvoir royal s'absorbe tout entière dans la recherche des meilleures garanties qui peuvent assurer aux justiciables, l'équité de la sentence, sa promptitude, les facilités pour l'obtenir et l'économie des frais. Les premiers ne voyaient dans « l'ordre et distribuation de justice » qu'un droit à défendre, à exercer, à étendre; le pouvoir royal n'y trouve qu'un devoir à remplir.

Par l'importance des principes nouveaux qu'il introduit dans les institutions judiciaires, cet édit des présidiaux mé-rite d'être compté au rang des plus utiles réformes du XVIe siècle. Les conseillers du présidial jugent nécessairement en nombre, là où le sénéchal ou son lieutenant pouvait décider seul; ils trouvent dans leur réunion une force qui devait souvent manquer à celui-ci pour résister soit au penchant de ses propres passions, soit à la pression d'influences plus jalouses d'imposer leur autorité que de la soumettre aux règles du droit. Les salutaires entraves de la légalité ont, dans tous les temps, irrité l'impatience de l'injustice ou de l'ignorance Les procès de la moindre importance cherchaient, sans la trouver, leur solution, portant de juridiction en juridiction leur tribut d'amendes, d'épices et de frais de toute sorte; l'édit met un frein à l'opiniâtreté des plaideurs, en créant la division des sentences en premier et en dernier ressort, selon l'importance de leur objet. Le plaideur entêté n'entraînera plus pour un différend sans gravité, son adversaire audelà des limites du Duché. Et même dans les causes assez graves pour que la décision souveraine n'en soit pas laissée au présidial, le mauvais vouloir du plaideur sera retenu par la faculté nouvellement introduite de rendre la sentence exécutoire par provision jusqu'à concurrence de 500 fr.; de sorte que l'appel, purement dilatoire, serait sans profit pour l'appelant. La dignité du juge n'est pas encore complètement sauvegardée contre le danger d'une rémunération casuelle, passant directement, sous le titre au moins humble d'épices, de

la poche du plaideur dans celle du juge; cependant l'obligation de déclarer dans la sentence le montant de cet honoraire, rassure l'honneur du magistrat désintéressé, en le soumettant au contrôle de la publicité; et parce qu'il n'aura plus le moyen de s'abandonner à de secrètes prévarications, il ne pourra plus en être soupçonné. Bien plus! un traitement fixe et indépendant, premier exemple de ce qui est en vigueur aujourd'hui, est accordé aux conseillers, « pour ce « qu'ils aient meilleur zèle et affection au bien et distribu"<tion de la justice. » Ainsi se trouvent en pratique ou en germe les principes fondamentaux sur lesquels reposent encore, de notre temps, les institutions judiciaires, et je connais peu de régimes d'administration aussi bien vivants après une aussi longue durée.

L'application de l'édit fut bornée d'abord au ressort du parlement de Paris, et l'ordonnance d'ampliation établit. « en la ville de Molins un siège présidial pour la sénéchaus«<sée du Bourbonnais, sept conseillers et un greffier d'ap« peaux, auquel ressortiront le siège dudit Molins, avec les << enclaves et ressorts, selon l'érection qui en a été faite en «duché par le feu roi dernier décédé, et les sièges de la « Haute-Marche. >>

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Pour pourvoir au paiement des gages fixés à cent livres pour chaque conseiller, les habitants des villes et lieux ressortissant du présidial, sont autorisés à lever, « sur la vente a du sel ou tel autre subside et octroy qu'ils pourront plus << commodément lever sur eux, quinze cent livres tournois, charge qui se doit estimer bien légère eu égard au bien, soulagement et bénéficence qui leur proviendra de l'édit. » Et s'il se trouve quelque chose de bon, les gages payés, il doit être employé aux réparations « des chemins, ponts, pavés et passages venant et adressant à la ville siège pré<«<sidial, afin que les pauvres parties et gens venant audit « siège présidial pour leurs procèz et négoce, y aient plus facile et plus sûr accès. » Voici, pour la commodité des

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justiciables, un dernier trait de sollicitude dont l'autorité féodale ne se fût jamais avisée.

Toutefois, le présidial ne fut pas institué comme un tribunal nouveau substitué à la sénéchaussée, et celle-ci ne fut pas supprimée. Les deux institutions se marièrent plutôt qu'elles ne se confondirent entièrement. Le lieutenantgénéral du sénéchal, membre le plus éminent du présidial au titre de conseiller, conserva, en dehors de cette charge, les fonctions administratives dont il était investi de toute antiquité; et les formules dont se servent plus d'un siècle après les jurisconsultes pour citer les décisions qui forment la jurisprudence, prouvent que les deux institutions étaient indistinctement prises l'ane pour l'autre. Ainsi, des sentences de la même époque sont citées par Jean et François Decullan, en ces termes: Sic judicatur in nostro presidiatu (13 julii 1628). — Et vidit sic judicari J. Decullan, mense julii 1628, illo petrocinante in curia præsidali Molinensi. Et en ceux-ci par Jean Cordier: Sic judicatur a senescallo Molinensi ultimâ die junii 1623; lis hæc fuit coram senescallo Molinensi.... sententia domini castellani confirmata per dominum senescallum (1628)... Enfin, les registres du greffe portent ce titre : Registre du greffe de la sénéchaussée et siège présidial de Moulins.

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Le nombre des conseillers du présidial fut successivement augmenté par la création de conseillers d'honneur en 1609 et 1691, de nouveaux conseillers ordinaires en 1622 et 1646; de conseillers vérificateurs et rapporteurs des défauts en 4694; et à l'époque du recensement de 4696, le présidial comprenait 2 présidents, 1 lieutenant-général, 1 lieutenantcriminel, assesseur, 15 conseillers ordinaires, conseiller clerc, 1 conseiller garde des sceaux, 3 conseillers honoraires, 1 chevalier d'honneur, 2 conseillers rapporteurs des défauts, 3 avocats du roi, 1 procureur du roi; en tout, 32 magistrats; c'est-à-dire, un nombre à peu près égal à celui des membres de la cour de Riom dont le ressort comprend les quatre dé

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