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mier reproche commun, c'est celui d'employer le mot droit de préférence au mot devoir.

Le mot droit, abrégé de directum (drictum, droict, droit), est un des dérivés du verbe dirigere, qui est lui-même un des composés du verbe régir 1. Ainsi le mot droit, dans son acception étymologique, signifie tout ce qui dirige, ce qui mène « directement au << but. » Or, diriger, c'est tout aussi bien éclairer la liberté que la contraindre. Le mot droit, dans notre langue, comprendrait-il donc à la fois et l'idée de lumière et l'idée de puissance? Si cela est, il serait fort heureusement choisi. Sa valeur philosophique dépasserait de beaucoup celle du mot correspondant de la langue latine jus, qui fait apparaître seulement à l'esprit l'idée matérielle de la puissance donnant un commandement brutal 5.

10. Mais est-il vrai que, dans l'usage, le mot droit comprenne ainsi tout ce qui dirige l'homme vers son but, soit par la persuasion (morale), soit par la force (lois positives)? On est loin d'en tomber d'accord.

Le mot droit (comme nous le verrons dans plusieurs passages de cet ouvrage) est employé tantôt dans un sens subjectif, tantôt dans un sens objectif. -DANS LE SENS SUBJECTIF, il y a trois manières de

1 Cette racine se retrouve dans les mots règle, recteur, roi, etc..., dans le mot allemand recht, le mot hollandais regt, le mot anglais right, le mot italien diritto, etc.

2 Ahrens, Cours de droit naturel, partie générale, chap. rer, § 2.

3 Soit qu'avec Festus on se contente de faire venir jus de jubere; soit qu'avec Vico on remonte plus haut, pour confondre jus avec le dieu qui commande, Jous, Jovis; comme le mot fatum signifie le destin qui parle, et ce que dit le destin (quod fatur).

l'entendre: 1° les uns font du droit le corrélatif de tout devoir, c'est-à-dire aussi bien du devoir proprement dit non sanctionné par le pouvoir social, que du devoir sanctionné, sous le nom d'obligation, par le pouvoir social; 2° les autres ne voient dans le droit que le corrélatif du devoir sanctionné par le pouvoir social, du devoir indiqué sous le nom spécial d'obligation; 3o d'autres enfin appellent droit l'un des modes d'action du devoir. DANS LE SENS OBJECTIF, on entend par droit, la collection de tous les devoirs et de tous les droits sanctionnés par le pouvoir social; et on distingue du droit la morale, collection des devoirs non sanctionnés par le pouvoir social.

Voilà le langage ordinaire. - Mais qui empêcherait un esprit logique d'étendre davantage le sens objectif du mot droit? d'y voir le synonyme parfait du mot direction? d'y comprendre la direction individuelle, aussi bien que la direction sociale? de faire ainsi de la morale une subdivision du droit?..... Cette manière d'employer le mot droit serait, à notre avis, la meilleure. Mais c'est précisément la moins usitée.

Quoi qu'il en soit, voilà donc cinq sens possibles du mot droit. Or, quel est celui que présentent ces locutions obscures: méthodologie, encyclopédie, philosophie du droit, introduction à l'étude du droit? Elles ne s'en expliquent pas. Ainsi l'œuvre d'initiation élémentaire annoncée par elles est en défaut dès la première ligne.

11. Ce n'est pas tout. Ces locutions se justifieraient

1 Nous reviendrons plus loin sur leur explication détaillée.

peut-être au fond, si le mot droit y était pris dans le cinquième sens que nous venons d'indiquer. Mais précisément ce sens, nous l'avons dit, est fort peu en usage. Il s'agit donc de choisir entre les quatre autres, plus restreints. -- Alors, quelque choix que l'on fasse, au vice d'obscurité viendra se joindre un autre vice, l'inconvénient de paraître préjuger, d'une manière plus ou moins heureuse, les questions dont la discussion fait précisément l'objet principal des ouvrages de propédeutique. — S'agit-il en effet de prendre le mot droit dans le sens objectif qui le distingue de la morale?... Ehquoi! on semble donc annoncer, sans hésiter, que la morale doit être entièrement étrangère à la méthodologie, à l'encyclopédie, à la philosophie du droit, à l'introduction à l'étude du droit1? - S'agit-il de prendre le mot droit dans un des trois sens subjectifs indiqués ci-dessus?... Alors pourquoi ne pas préférer au mot droit le mot devoir?

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12. Devoir! voilà le mot générateur par excellence. N'est-ce pas mettre l'ombre à la place de la lumière, que de présenter en première ligne à l'égoïsme de l'individu l'image de ce qu'il peut demander à autrui, au lieu de présenter à la charité de l'individu, sur un plan plus avancé, l'image de ce qu'il doit à autrui?

1 M. Cousin, dans son rapport au roi du 30 avril 1840, en demandant la création d'une chaire d'introduction à l'étude du droit, laisse au moins douter, en ne nommant pas expressément la morale, s'il la comprend, ou non, dans les matières de ce cours. Voici comment désigne ces matières : « Vue générale de toutes les parties de la science juridique; objet distinct et spécial de chacune d'elles.... leur dépendance réciproque et le lien intime qui les unit... Méthode générale à suivre dans l'étude du droit, avec les modifications particulières que chaque branche réclame. Désignation des ouvrages importants qui ont marqué les progrès de la science. »

13. Au surplus, quand même on consentirait à mettre le mot devoir à la place du mot droit, nous ferions encore d'autres reproches aux expressions encyclopédie, méthodologie, philosophie, introduction à l'étude du devoir.

Le mot encyclopédie est ambitieux et vague'. Le mot méthodologie est obscur. De plus il est incomplet. Il fait plutôt allusion au classement qu'au fond des vérités à enseigner. Du moins c'est ce qui paraît résulter de la définition qu'on donne de la méthodologie : « Indication raisonnée des classifications les plus scientifiques à adopter, de l'ordre le plus convenable à suivre, des méthodes les plus convenables à employer 2. » Le mot philosophie du devoir mérite les mêmes reproches que le mot encyclopédie.

Enfin le mot introduction à l'étude du devoir semble plutôt indiquer un ensemble de notions accessoires extrinsèques, préparatoires à la recherche du devoir, que la recherche elle-même des bases du devoir.

14. En conséquence, et surtout dans le but de laisser entières, sans les préjuger, toutes les questions que notre sujet comporte, il faudrait choisir un intitulé très général. Nous aurions pu prendre celui-ci : Direction de la liberté par l'intelligence. Il serait de nature à etre adopté par tout le monde. Il domine et

1 Falck (Cours d'introduction générale, traduit par M. Pellat) lui reproche avec raison de tromper le lecteur par un sens non conforme à son acception étymologique. Les mots ¿vxúxλıog æaideía indiquent, non pas une introduction à une science, mais l'ensemble des connaissances constituant l'instruction commune.

2 Eschbach, Cours d'introduction, avant-propos.

comprend, sous sa généralité, ce qu'on appelle droit et morale, et la subdivision du droit en positif et naturel.Il ne contient aucun parti pris sur la possibilité d'identifier ces diverses directions en une seule, ou de les distinguer profondément par des caractères essentiels, ou de signaler seulement quelques nuances accidentelles qui les séparent.-Peut-être, toutefois, laisserait-il déjà entrevoir notre tendance à reconnaître, sous la diversité des applications, l'unité d'une seule et même science; soit qu'elle inspire les législateurs, quand, au moment de donner des institutions aux nations, ils essaient d'en surprendre le secret dans la pensée de Dieu même; soit que, pour le magistrat sur son siége, pour l'avocat au barreau, elle éclaire ou complète les combinaisons des lois positives obscures ou insuffisantes; soit qu'elle dicte le conseil du prêtre dans le confessional; ou qu'elle apparaisse dans le livre du publiciste ou dans la leçon du professeur, demandant le perfectionnement des lois existantes 1. Science de la direction de la liberté par l'intelligence..... Telle est, dans son énoncé le plus exact, la science dont nous nous proposons de tracer, suivant l'expression d'Eschbach, « le centre, la cir«< conférence, les rayons et les tangentes, » en recherchant avec précision « ce qu'elle est, quels en sont les « éléments constitutifs, les principes fondamentaux, quels liens la rattachent aux autres sciences, et

1

<< Ita complectenda in hac disputatione tota causa universi juris ac legum, ut hoc civile quod dicimus, in parvum et augustum locum concludatur naturæ.» (Cic. De legib., lib. I, no 5.)

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